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Cinq questions sur l'escalade entre Kiev et Moscou, après la capture par la Russie de trois navires militaires ukrainiens

La Russie a arraisonné trois navires qui tentaient d'accéder à la mer d'Azov, une zone disputée entre Moscou et Kiev. La communauté internationale appelle à la désescalade.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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L'arraisonnement a eu lieu dans le détroit de Kertch, entre la mer Noire et la mer d'Azov. (ALEXEY MALGAVKO / SPUTNIK / AFP)

C'est une escalade sans précédent dans cette zone disputée entre la Russie et l'Ukraine. Après l'arraisonnement par Moscou de trois navires de la marine ukrainienne qui tentaient d'accéder à la mer d'Azov, dimanche 25 novembre, Kiev dénonce un "acte fou" et en appelle à la communauté internationale. Mardi, Vladimir Poutine a mis en garde l'Ukraine contre tout acte "irréfléchi" après la décision de Kiev d'instaurer la loi martiale dans le pays, en réponse à la capture de ces navires. Le dirigeant russe a demandé à Angela Merkel de faire pression sur l'allié des Occidentaux. Franceinfo fait le point sur cet accrochage et ses suites.

Que s'est-il passé en mer d'Azov ?

Dimanche, l'Ukraine a accusé la Russie d'avoir percuté un navire ukrainien et bloqué l'accès à la mer d'Azov. Les bateaux – deux vedettes blindées, le Berdiansk et le Nikopol, et le remorqueur Iani Kapu – tentaient d'entrer depuis la mer Noire dans le détroit de Kertch, qui sépare la Crimée de la Russie et marque l'accès à la mer d'Azov.

La situation s'est rapidement dégradée, l'Ukraine accusant dans la soirée les Russes d'avoir capturé ces navires après leur avoir tiré dessus. Sur 23 militaires à bord, six ont été blessés, dont deux grièvement, selon l'armée ukrainienne. La Russie a confirmé l'arraisonnement et l'"usage d'armes", mais ne fait état que de trois blessés.

La marine ukrainienne assure avoir averti la Russie à l'avance de l'itinéraire de ses navires. Selon elle, ces derniers ont passé plusieurs heures bloqués devant le détroit de Kertch par un navire pétrolier placé sous le pont de Crimée, qui enjambe le détroit.

Pourquoi ce détroit est-il stratégique ?

La mer d'Azov est située dans une région très sensible : entre la Crimée, annexée en 2014 par la Russie, et le sud-est de l'Ukraine, théâtre d'une guerre avec les séparatistes prorusses. Le détroit de Kertch est la seule voie maritime entre la mer Noire et la mer d'Azov. C'est donc un axe stratégique de première importance, pour la Russie comme pour l'Ukraine. Moscou revendique le contrôle des eaux au large de la Crimée depuis l'annexion de la péninsule.

La mer d'Azov est située entre la Crimée, annexée par la Russie, et l'est de l'Ukraine. (GOOGLE MAPS)

De l'autre côté, l'Ukraine et les pays occidentaux accusent Moscou d'"entraver" délibérément la navigation des navires commerciaux via le détroit de Kertch. Les difficultés sont apparues avec la construction d'un pont très controversé de 19 km au-dessus du détroit. L'installation de ses arches en 2017 empêche le passage d'une partie des navires. Cette année, les gardes-frontières russes ont commencé à retenir des bateaux, officiellement pour des contrôles. Mais Kiev estime que Moscou pourrait aller jusqu'à préparer une offensive contre Marioupol, dernière grande ville sous contrôle du gouvernement ukrainien dans l'est du pays.

Comment l'Ukraine réagit-elle ?

Dans la nuit de dimanche à lundi, le Conseil de sécurité et de défense ukrainien, réuni en urgence, a proposé au président Petro Porochenko d'introduire la loi martiale "pour 60 jours". Le Parlement ukrainien a voté lundi soir l'introduction de cette loi pour un mois dans une dizaine de régions frontalières de l'Ukraine. Elle permettra aux autorités ukrainiennes de mobiliser ses citoyens, de réguler les médias et de limiter des rassemblements publics pendant cette période. 

Dans une allocution télévisée à la nation, Petro Porochenko a justifié cette initiative, sans précédent depuis l'indépendance de cette ex-république soviétique en 1991, par "la menace extrêmement élevée" d'une offensive terrestre russe. Pour le président ukrainien, "la loi martiale ne signifie pas une déclaration de guerre" à la Russie, elle est "introduite uniquement pour la défense".

Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkine, a également appelé l'Occident à "former une coalition claire pour résister aux actes d'agression de la Russie". "Sur les instructions du président Porochenko, nous faisons immédiatement appel au Conseil de sécurité des Nations unies", a renchéri Volodymyr Ielchenko, représentant permanent de l'Ukraine auprès de l'ONU. Kiev demande par ailleurs la libération de ses marins, ainsi que de nouvelles sanctions contre la Russie.

Comment la Russie se défend-elle ?

Moscou accuse les navires ukrainiens "de mener des actions illégales dans les eaux territoriales russes". La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a dénoncé les "méthodes de bandits de grand chemin" de l'Ukraine : "D'abord des provocations, puis de fortes pressions, puis des accusations d'agression."

Lundi, le Kremlin a affirmé que "la partie russe a agi en stricte conformité avec la législation, à la fois le droit international et le droit intérieur", critiquant une "intrusion de navires de guerre étrangers dans les eaux territoriales russes". Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a aussi accusé l'Ukraine d'utiliser des "méthodes dangereuses" dans le détroit de Kertch. "Cela pouvait créer et cela a créé une menace et des risques pour le déplacement normal des navires dans ce corridor maritime", a-t-il affirmé, ajoutant qu'il s'agissait d'une "provocation".

Pour sa part, Vladimir Poutine s'est entretenu au téléphone dans la nuit de lundi à mardi avec la chancelière allemande, Angela Merkel. Il lui a fait part d'une "sérieuse préoccupation" de Moscou face à l'introduction de la loi martiale en Ukraine. Vladimir Poutine a "dit espérer que Berlin pourra influencer les autorités ukrainiennes, afin de les dissuader des actes ultérieurs irréfléchis", selon un communiqué du Kremlin. 

Quelle est la réponse de la communauté internationale ?

Les pays occidentaux ont unanimement condamné l'arraisonnement des navires ukrainiens par Moscou. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a condamné sur Twitter "l'usage de la force par la Russie en mer d'Azov". "Les autorités russes doivent rendre les marins et les navires ukrainiens et s'abstenir de nouvelles provocations", a-t-il ajouté. Pour le Quai d'Orsay, "rien ne paraît justifier l'emploi de la force par la Russie".

L'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, a quant à elle dénoncé, lors d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité lundi, une action "illégale" de la Russie, qui rend "impossible" une "relation normale" entre Washington et Moscou. "On n'aime pas ce qui se passe", a commenté le président américain Donald Trump. "Nous travaillons là-dessus" avec les Européens, a-t-il ajouté. 

"Ce qui s'est passé hier est très grave", a estimé de son côté le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg.

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