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Comment Vladimir Poutine grignote l'Ukraine petit à petit

Jusqu'ici cantonnée à Kiev et dans l'est du pays, la violence gagne Odessa, dans le sud. Et le président russe souffle sur les braises.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président russe Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse à la fin du sommet du G8, en Irlande du Nord, le 18 juin 2013. (MATT DUNHAM / AFP)

Parti de Kiev il y a près de six mois, le conflit ukrainien s'est étendu progressivement. En Crimée d'abord, jusqu'à son rattachement à la Russie, puis dans l'est, où les pro-russes contrôlent une dizaine de villes, et depuis lundi 5 mai, jusqu'à Odessa, dans le sud.

Vladimir Poutine continue de nier toute implication russe et accuse les Occidentaux d'avoir provoqué le chaos. Pourtant, depuis les premières manifestations, le maître du Kremlin abat ses cartes une par une, à tel point que certains le soupçonnent d'avoir un plan pour l'Ukraine.

Francetv info remonte le fil des évènements et rassemble les indices qui montrent comment la Russie attise les violences, patiemment, pour s'accaparer le territoire de l'Ukraine.

Kiev envisage de se rapprocher de l'UE, avant de faire volte-face.

Depuis cinq ans, un accord d'association doit être signé entre l'Union européenne et Kiev. A une semaine de l'échéance, en novembre 2013, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch suspend les négociations. Des dizaines de milliers d'Ukrainiens pro-européens, se sentant trahis, descendent dans les rues de la capitale, brandissant la bannière étoilée de l'Europe. 

Des pro-européens contestent l'arrêt des négociations entre l'Ukraine et Bruxelles, sur la place de l'indépendance, à Kiev, le 29 novembre 2013. ( GLEB GARANICH / REUTERS)

Vladimir Poutine sort son chéquier pour s'assurer de la loyauté de Kiev.

Il nie avoir exercé une quelconque "pression", mais le président russe admet qu'il est intervenu pour empêcher Kiev et l'Union européenne de signer cet accord, qu'il considère comme "une trahison majeure". Pour garder l'Ukraine dans son giron, la Russie s'engage donc, mi-décembre, à investir 15 milliards de dollars et accorde un rabais de 30% sur le gaz qu'elle lui vend. 

Le président ukrainien Viktor Ianoukovitch fait un clin d'œil au président russe Vladimir Poutine, après la signature d'un accord, le 17 décembre 2013, à Moscou (Russie). (SERGEI KARPUKHIN / REUTERS)

L'opposition pro-européenne devient alors plus virulente à Kiev.

Les pro-européens sont sonnés par ce contrat. Les manifestants pacifistes sont découragés, mais Maïdan, la place de l'Indépendance, à Kiev, est occupée tout l'hiver. La promulgation de lois sanctionnant les manifestations publiques, mi-janvier, énerve l'opposition qui réclame la démission du président Ianoukovitch. Policiers et manifestants sont de plus en plus violents

Des manifestants pro-européens affrontent la police ukrainienne, à Kiev, le 19 janvier 2014. ( GLEB GARANICH / REUTERS)

Moscou veut décrédibiliser le mouvement et dénonce l'œuvre de "jeunes fascistes".

La Russie condamne ces manifestations menées, selon le Kremlin, par de "jeunes fascistes". Sur les barricades de Maïdan, quelques centaines de nationalistes armés, casqués, sont prêts à se battre jusqu'au départ de Viktor Ianoukovitch. Ils ne sont pas majoritaires, mais très visibles et violents. Des médias russes affirment que certains sont des mercenaires allemands, l'opposition affirme que les violences sont pilotées par Kiev et Moscou. 

Un opposant arme un lance-pierre géant durant des affrontements avec les forces de l'ordre, au centre de Kiev, le 23 janvier 2014. (VALENTYN OGIRENKO / REUTERS)

Viktor Ianoukovitch, destitué le 22 février, prend la fuite.
Un avis de recherche pour le président destitué Viktor Ianoukovitch, placardé à Kiev, le 28 février 2014. (LOUISA GOULIAMAKI / AFP)

La tension se déplace alors vers la Crimée, grande péninsule russophone.

A Kiev, les pro-européens assurent l'intérim jusqu'aux élections anticipées ; Arseni Iatsenouk est nommé Premier ministre. La colère gronde dans les régions russophones, à commencer par la Crimée, péninsule du sud de l'Ukraine. Très vite, les pro-russes hissent le drapeau blanc-bleu-rouge sur les bâtiments officiels et rejettent le pouvoir de Kiev. 

Des manifestants pro-russes marchent à Simpféropol, la capitale de la Crimée, le 27 février 2014. ( DAVID MDZINARISHVILI / REUTERS)

De mystérieux soldats sans insigne s'activent à Simféropol.

C'est là que Vladimir Poutine demande au Conseil de la Fédération russe l'autorisation de "recourir aux forces armées" en Ukraine, pour "protéger les citoyens russes", samedi 1er mars. Officiellement, les troupes russes restent postées derrière les frontières, mais des centaines d'hommes armés et entraînés, en tenue militaire, sans insigne, s'activent en Crimée. Ils prennent le contrôle des aéroports, attaquent les bases militaires ukrainiennes et aident les manifestants à  prendre les bâtiments officiels. 

Un soldat sans insigne monte la garde dans un blindé, près d'une base militaire ukrainienne, à Perevalnoye, près de Simféropol, le 3 mars 2014. ( DAVID MDZINARISHVILI / REUTERS)

Très vite, Vladimir Poutine récupère la Crimée.

Le Parlement de Crimée organise un référendum le 16 mars, à travers lequel les électeurs choisissent de devenir russes. Dans la foulée, Vladimir Poutine reconnaît l'indépendance puis triomphe en entérinant le rattachement de la péninsule à la Russie, deux jours plus tard. Les sanctions imposées par Washington et Bruxelles sont sans effet. La Crimée (en blanc sur la carte) passe à l'heure de Moscou, des passeports russes sont distribués. Mais le président russe assure qu'il ne cherche pas à intégrer à la Russie d'autres régions d'Ukraine, alors que Kiev le soupçonne d'avoir un "plan" et de vouloir démanteler le pays.

Cette rupture réveille les russophones de l'Est, à Donetsk, Sloviansk et dans une dizaine de villes.

La déclaration d'indépendance de la Crimée suscite l'envie d'autres villes à majorité russophone. Les insurgés réclament aussi leur rattachement à la Russie, ou au minimum plus d'autonomie pour leurs régions. Donetsk, Sloviansk, Kramatorsk, Luhansk sont débarrassées une à une du drapeau ukrainien, tout au long du mois d'avril… Des villes de plusieurs centaines de milliers d'habitants sont contrôlées par des militants pro-russes, avec l'appui de ces soldats plus ou moins anonymes.

L'armée ukrainienne est impuissante face à ces séparatistes armés et entraînés.

A Sloviansk, les forces ukrainiennes lancent l'offensive fin avril, en vain. Les séparatistes, encadrés par des officiers russes qui ne se cachent plus, sont suffisamment équipés pour abattre des hélicoptères. Le destin de cette ville, désormais encerclée par les soldats ukrainiens, pourrait sceller celui de toute la région du Donbass.

Un soldat ukrainien attend, alors que des pro-russes bloquent la route qui relie Kramatorsk à Sloviansk, le 2 mai 2014. (GENYA SAVILOV / AFP)

Le conflit s'étend alors à Odessa, au sud.

Jusqu'à présent, le sud et l'ouest étaient épargné par les violences. Mais le vendredi 2 mai, une quarantaine de personnes, principalement pro-russes, meurent dans l'incendie criminel de la Maison des syndicats, à Odessa. Le feu est parti après des affrontements entre partisans de l'unité ukrainienne et pro-russes, qui redoublent de violence.

Un activiste pro-russe pointe son arme contre des partisans de l'unité ukrainienne, à Odessa, le 2 mai 2014. (REUTERS / REUTERS STAFF)
 

Le Kremlin souffle sur les braises, en qualifiant l'incendie de "nouveau Khatyn"…

Moscou compare cet incendie aux "pires crimes nazis". Des responsables politiques l'appellent le "nouveau Khatyn". En 1943, durant la seconde guerre mondiale, en représailles du meurtre d'un officier nazi, ce village biélorusse avait été rasé et sa population massacrée par un bataillon de collaborateurs, dans lequel se trouvaient des nationalistes venus de l'Ukraine de l'Ouest. 

Un manifestant passe devant l'incendie de la maison des syndicats, à Odessa, le 2 mai 2014. (REUTERS)

Et Vladimir Poutine récolte les lauriers, en niant toujours toute intervention.

Pendant que les Ukrainiens des deux camps s'entretuent, Vladimir Poutine se contente de répéter qu'il est "prêt à intervenir" et qu'il est "très inquiet", tout en accusant les Occidentaux d'être responsables de l'escalade de violence. Personne ne sait quel scénario le Kremlin prépare. Et sur les murs de certaines villes passées sous pavillon russe, les fresques à la gloire du président russe fleurissent. 

Un graffiti représente le président russe Vladimir Poutine tendant la main au peuple ukrainien, sur un mur à Simféropol, en Crimée, le 28 mars 2014. (SHAMIL ZHUMATOV / REUTERS)

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