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"Puissantes explosions", "actes délibérés"... Que sait-on des quatre fuites sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique ?

Survenues soudainement, ces fuites seraient la conséquence d'"actes délibérés" selon le Danemark. La Suède s'est saisie d'une enquête pour "sabotage aggravé" et l'Union européenne a mis en garde contre toute attaque ciblant ses infrastructures. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 7 min
Vue aérienne publiée le 27 septembre 2022 par les forces armées danoises et montrant la fuite de gaz sur le gazoduc Nord Stream 2, au large de l'île baltique danoise de Bornholm.  (DANISH DEFENCE / AFP)

Des bouillonnements en pleine mer. Dans des circonstances troubles, les gazoducs Nord Stream 1 et 2 reliant la Russie à l'Allemagne ont été subitement touchés par des fuites, en mer Baltique, lundi 26 et mardi 27 septembre. Les autorités des différents pays concernés n'ont pas trouvé d'explications à ce stade mais n'excluent pas l'hypothèse d'un sabotage. Conséquence de la guerre en Ukraine, les pipelines ne sont pas opérationnels, mais tous les deux sont encore remplis de gaz.

Quatre fuites "extrêmement rares" et inexpliquées

Au total, quatre incidents ont été détectés par les autorités suédoises et danoises. Une première fuite a été identifiée lundi sur Nord Stream 2, puis deux autres mardi, sur Nord Stream 1. Les gardes-côtes suédois ont déclaré jeudi avoir repéré une quatrième fuite. Elles sont localisées au large de l'île danoise de Bornholm, en mer Baltique, en deux points séparés de plus de 70 km : l'un dans les eaux territoriales suédoises, l'autre dans les eaux danoises.

Le compte Twitter officiel des forces armées danoises a diffusé une vidéo et des photos des fuites.

"Les fuites de gazoducs sont extrêmement rares", a commenté le directeur de l'Agence danoise de l'énergie, Kristoffer Böttzauw. Assez rares pour obliger les autorités à "augmenter le niveau de vigilance", a-t-il ajouté. Le niveau d'alerte a été porté à orange, le deuxième plus élevé. La navigation est interdite dans un rayon de cinq milles nautiques (un peu plus de neuf kilomètres), ainsi que leur survol dans un rayon d'un kilomètre.

Des mesures concrètes pour augmenter la sécurité des usines et des installations du gazoduc vont devoir être instaurées par les entreprises du secteur, notamment concernant l'accès, la surveillance et la bonne tenue des installations. Selon les autorités, les incidents sont sans conséquences pour la sécurité ou la santé des résidents des îles danoises voisines de Bornholm et de Christiansø. L'impact environnemental devrait lui être local et limité, selon les premières évaluations.

Des explosions sous-marines entendues

Le Réseau sismique national suédois (SNSN) a déclaré mardi qu'une trentaine de stations suédoises de mesure de l'activité sismique avaient enregistré "deux puissantes explosions sous-marines", aux endroits des fuites de gaz sur le pipeline Nord Stream. Une donnée qui alimente l'hypothèse d'un sabotage.

La première détonation a été captée à 2h03 lundi matin et la seconde à 19h04 lundi soir, aux deux endroits où des fuites ont été signalées respectivement à 13h52 et 20h41, a détaillé le directeur du SNSN, Björn Lund, à la télévision publique suédoise. Il précise que la zone est rarement utilisée par l'armée, qui n'a pas indiqué procéder à des exercices à ce moment-là, "comme elle le fait habituellement"L'institut norvégien de sismologie Norsar, spécialisé dans la détection de tremblements de terre et d'explosions nucléaires, a estimé la deuxième détonation à 700 kilos. L'explosion "correspond à plusieurs centaines de kilos équivalent TNT", explique à l'AFP un haut responsable militaire français.

Une enquête menée par la Suède pour "sabotage aggravé" 

La sûreté suédoise (Säpo) a annoncé, mercredi 28 septembre, prendre la tête d'une enquête pour "sabotage aggravé" après les explosions suspectées d'avoir provoqué les fuites. Il "peut s'agir d'un crime grave qui pourrait être au moins en partie dirigé contre les intérêts suédois", affirme le service de renseignement dans un communiqué, ajoutant qu'il "n'est pas exclu qu'une puissance étrangère soit impliquée".

"Il est difficile d'imaginer que c'est accidentel", avait déjà estimé mardi la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, affirmant que les dégâts étaient dus à "des actes délibérés". De son côté, la Norvège, désormais principal fournisseur de gaz de l'Europe, a décidé de renforcer la sécurité autour de ses installations pétrolières. Peu de temps après, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a elle aussi clairement évoqué un "sabotage".

Mercredi, l'Union européenne a mis en garde contre toute attaque ciblant ses infrastructures énergétiques, dans une déclaration publiée par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. "Toutes les informations disponibles indiquent que les fuites sont le résultat d'un acte délibéré", a-t-il souligné. "Toute perturbation délibérée des infrastructures énergétiques européennes est totalement inacceptable et fera l'objet d'une réponse vigoureuse et unie", a affirmé Josep Borrell, au nom des 27 Etats membres de l'UE.

Les autorités russes se disent, elles aussi, "extrêmement préoccupées par la situation". De son côté, l'exploitant des pipelines, le consortium Nord Stream, dépendant du géant russe Gazprom, a dit ne pas avoir pu voir ni évaluer les dégâts, mais a reconnu le caractère exceptionnel de la situation. "Un incident durant lequel trois tuyaux éprouvent simultanément des difficultés, le même jour, n'est pas ordinaire", a déclaré un porte-parole à l'AFP, mercredi.

Les autorités allemandes n'ont pas officiellement réagi, mais une source proche du gouvernement, citée par le quotidien allemand Tagesspiegel (en allemand), déclare que "tout parle contre une coïncidence" et en faveur d'une "attaque ciblée".

Pourquoi l'hypothèse du sabotage est-elle privilégiée ? 

L'opération nécessite d'intervenir par 70 mètres de fond. "C'est du lourd. Abîmer deux gazoducs au fond de la mer est un événement important, donc un acteur étatique est probable", note Lion Hirth, professeur à la Hertie School de Berlin, écartant implicitement l'acte terroriste ou crapuleux. La zone est "parfaitement adaptée à des sous-marins de poche", explique à l'AFP une source militaire haut placée, évoquant soit l'option de nageurs de combat envoyés pour poser des charges, soit celle de la mine mobile ou du drone sous-marin. "La cible est fixe donc ce n'est pas très compliqué", avance-t-il. En revanche, l'hypothèse de la torpille, utile plutôt pour une cible en mouvement, est selon lui moins plausible.

L'opération est certes complexe, mais nullement hors de portée d'une armée compétente. Et elles sont nombreuses dans la zone. "Dans le passé, l'URSS basait des sous-marins espions avec des capacités spéciales d'ingénierie sur les fonds marins", rappelle l'analyste naval indépendant HI Sutton sur Twitter (lien en anglais). Depuis, les pays baltes sont passés du côté de l'Otan. Mais les fuites sont survenues dans les eaux territoriales internationales où chacun peut circuler. "Aujourd'hui, la marine russe dispose de la plus grande flotte de sous-marins espions dans le monde. Ils sont basés en Arctique. Ils seraient capables de dégrader un pipeline dans la Baltique", assure HI Sutton. Il juge toutefois l'hypothèse "improbable".

L'affaire vire à la foire d'empoigne diplomatique 

Mardi 27 septembre, les autorités ukrainiennes ont réagi à l'annonce des fuites. Pour Kiev, elles seraient le résultat d'un acte terroriste piloté par Moscou. "La fuite de gaz à grande échelle de Nord Stream 1 n'est rien de plus qu'une attaque terroriste planifiée par la Russie et un acte d'agression contre l'Union européenne", a affirmé sur Twitter le conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a également suggéré mardi une implication russe. "Nous voyons clairement que c'est un acte de sabotage, qui marque probablement la prochaine étape de l'escalade de la situation en Ukraine", a-t-il déclaré. 

Il est "stupide et absurde" de suspecter la Russie, a contre-attaqué mercredi le Kremlin, rappellant que le gaz qui s'échappe des gazoducs "coûte cher" et lui appartient. "Il était assez prévisible" que certains mettent la Russie en cause, a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

"D'autres pays ont intérêt à ce que le pipeline ne puisse plus jamais fonctionner", souligne une source militaire française. Les adversaires de Nord Stream 2 sont nombreux depuis des années, Etats-Unis en tête. Le 7 février dernier, peu avant l'invasion russe en Ukraine, le président américain Joe Biden avait évoqué la possibilité d'y "mettre fin"Interrogé sur la méthode employée, il avait répondu : "Nous serons capables de le faire." La vidéo circule abondamment depuis 24 heures sur les réseaux sociaux.

Moscou n'a pas manqué de réagir, interpellant mercredi le président américain Joe Biden sur les fuites. "Le président américain est obligé de répondre à la question de savoir si les Etats-Unis ont mis à exécution leur menace", a lancé sur Telegram la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova. Une insinuation qualifiée le même jour de "ridicule" par la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, Adrienne Watson. Le Kremlin a affirmé avoir l'intention de demander une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur le sujet. 

Des gazoducs déjà au cœur d'un bras de fer géopolitique

Les deux pipelines font l'objet d'une bataille géopolitique ces derniers mois. Construit en parallèle au gazoduc Nord Stream 1, le pipeline Nord Stream 2 était destiné à doubler la capacité d'importation de gaz russe en Allemagne. Mais sa mise en service a été suspendue par Berlin, en représailles contre l'invasion de l'Ukraine par Moscou. Gazprom a par ailleurs progressivement réduit les volumes de gaz livrés par Nord Stream 1 jusqu'à la fermeture complète du gazoduc à la fin du mois d'août, accusant les sanctions occidentales d'avoir retardé les réparations nécessaires du pipeline.

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