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Les «grandes invasions barbares» ne sont plus ce qu’elles étaient…
Aujourd’hui encore, on croit souvent que les «grandes invasions barbares» (comprenez : germaniques) ont entraîné la chute de l’Empire romain d’Occident. Sont également qualifiées de «barbares» les incursions vikings en Occident. Et si en fait ces «invasions» avaient été un processus parfois violent, mais aussi fort complexe, de mouvements de population ? Retour sur quelques idées préconçues.
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Pour évoquer le phénomène des grandes invasions germaniques, «les sources historiques et les idéologies se sont contaminées» au cours des siècles, a expliqué Bruno Dumézil, maître de conférences à l’université Paris-Ouest (Nanterre) lors du colloque Archéologie des migrations, organisé à Paris les 12 et 13 novembre 2015 par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).
Une contamination qui repose sur des préjugés répandus dès l’Antiquité. Pour les Romains, les Goths et les Francs étaient ainsi, «par essence, des nomades». Chez eux, «ces allusions à la migration étaient surtout destinés à justifier les pertes de provinces de leur empire» soumis aux pressions des tribus germaniques sur leurs frontières, commente l’universitaire.
Par la suite, les historiens du Moyen Age et leurs successeurs reprendront ces préjugés qui viendront justifier leurs propres préoccupations.
Au XVe siècle, l’Europe du Nord protestante, pour qui Luther a traduit la Bible en allemand, redécouvre le Romain Tacite. Lequel, dans son écrit La Germanie, met en exergue la supériorité et les vertus supposées des habitants de ce territoire. Pour les protestants de la Renaissance, les déplacements des populations germaniques vers l’ouest et le sud du Vieux continent dans les premiers siècles de notre ère, sont un thème unificateur dans leur combat contre les catholiques de la Contre-Réforme.
Les Européens du Nord font des Germains leurs ancêtres. Ils voient en eux un seul et même peuple, «pur» depuis l’Antiquité, unis par le sang, la loi, la langue, la culture, la religion. Tacite devient ainsi un précieux renfort idéologique. Ces idées feront leur chemin jusqu’à l’unité allemande en 1871. Et culmineront avec les théories nazies…
Et les «invasions» dans tout ça?
Mais au fait, que disent les textes et l’archéologie à propos de ces mouvements de population dans l’Antiquité tardive et pendant le haut Moyen Age? «Il faut en faire une relecture en profondeur», a insisté Isabelle Cattedu, archéologue à l’Inrap, au cours du colloque. Car le terme d’«invasions», employée par les manuels d’Histoire, est quelque peu réducteur.
Dans l’Antiquité romaine, «le concept de migration n’existait pas», a rapporté Claudia Moatti, professeur à l’université Paris 8 et à l’Université de Californie du Sud. Mais les Romains n’en ont pas moins été continuellement confrontés au phénomène à l’intérieur de leur territoire comme à leurs frontières. Ils ont donc dû élaborer de vraies politiques migratoires.
Les déplacements de peuples germains vers l’ouest, par exemple, existaient avant même que Rome n’édifie son immense empire. César les évoque dans La Guerre des Gaules.
«Mais une fois installé, le pouvoir romain s’est mis à contrôler ces mouvements, pour les empêcher, entraînant alors de vastes mouvements de résistance, ou pour les autoriser. Sous le Haut Empire, les Romains ont donc connu des affrontements, voire des guerres importantes, avec les peuples voisins, mais tout autant des mouvements de population pacifiques libres ou contrôlés. Il convient aussi de distinguer entre les déplacements forcés après une guerre (les barbares étaient envoyés comme esclaves, recrues pour l’armée, colons, etc…) et l’accueil de fugitifs qui demandaient l'asile sur le territoire de l’empire. En l’occurrence des chefs de tribus, puis des peuples entiers, comme les Goths poussés par les Huns à la fin du IVe siècle de notre ère», a poursuivi l’universitaire.
Et d’ajouter : «Ces déplacements restaient étroitement contrôlés. C’est seulement au IVe, avec la désorganisation de l’administration et la corruption généralisée, que le système s’est grippé. On assiste alors à une pagaille gigantesque».
«Barbares», quels «barbares»?
D’une manière générale, au cours du premier millénaire de notre ère, il y a eu plusieurs vagues importantes de mouvements de populations venues de Germanie. «Ce fut notamment le cas entre 250 et 276, période validée par l’archéologie. Des bandes d’envahisseurs ont mené de vrais raids. On a ainsi retrouvé dans le Rhin un bateau qui avait coulé avec leur butin ! Mais ces évènements ne sont pas mentionnés dans les écrits de l’époque car les pilleurs ne sont pas restés», raconte Bruno Dumézil.
L’Histoire et les écrits ont surtout retenu les évènements du Ve siècle qui voient arriver en Gaule nombre de peuples germaniques : Goths, Francs, Alains, Vandales… Des peuples qui vont rester. Et s’installer. Autrement dit, leur influence a été profonde et durable.
On trouve ainsi, dans les textes du temps, de nombreux éléments sur cette présence. Mais curieusement, l’archéologie retrouve fort peu de traces matérielles. Comment, dès lors, expliquer un tel paradoxe, pour ne pas dire une telle contradiction? «Dans certains cas, ces peuples ont cherché à dissimuler leurs traces», constate Bruno Dumézil. Ainsi, le chef vandale Stilicon, qui a sauvé l’Empire à la toute fin du IVe, s’est complètement intégré au monde romain. A tel point qu’il a interdit à ses concitoyens de porter des vêtements vandales ! «C’était donc un migrant assimilé», précise l’universitaire. Tellement assimilé qu’ultérieurement, il fut parfois décrit comme un traître…
L’affaire des «invasions barbares» est donc nettement plus complexe qu’il y paraît. Un exemple montre la complexité de la chose : celui du chef ostrogoth Théodoric, qui régna sur l’Italie au tournant des IV et Ve siècles et établit sa capitale à Ravenne. C’est notamment lui, le prétendu «barbare», qui fit réaliser les célèbres et somptueuses mosaïques de la cité, témoignages jusqu’à nos jours d’une civilisation raffinée!
Du côté des Vikings
Quelques siècles plus tard, on voit débarquer les Vikings, venus de Scandinavie. En 841, ils incendient l’abbaye de Jumièges en basse vallée de la Seine et remontent sur Paris. Au-delà, ces populations de guerriers et de commerçants se sont répandues dans toute l’Europe : à l’Ouest, bien sûr, mais aussi à l’Est, en Ukraine, vers la mer Noire et le Proche-Orient.
«En Occident, il y a eu une longue suprématie des sources écrites rédigés par des clercs terrorisés qui donnaient des Vikings l’image de ces guerriers sanguinaires que nous avons conservée d’eux. Mais au Proche-Orient, les voyageurs arabes qui en parlent dans leurs écrits sont plus objectifs. Il faut dire qu’ils avaient moins peur», a raconté, au cours du colloque, Vincent Carpentier, archéologue à l’Inrap. En clair, les Vikings, attirés par les richesses occidentales, étaient sans doute à la fois ces fiers guerriers attachant une grosse importance au statut social, et des aventuriers prêts à la bagarre. Tout en étant de grands commerçants.
Par la suite, on sait que les Scandinaves se sont implantés durablement, à l’ouest comme à l’est du Vieux continent. Sur le territoire de ce qui allait devenir la France, ils se sont notamment installés en Normandie ainsi qu’à Nantes.
Les sources archéologiques devraient donc être nombreuses. Curieusement, en France, elles sont quasiment inexistantes. Plusieurs sites qui leur ont été attribués sont en fait beaucoup plus anciens. «A Rouen, qui a abrité plusieurs milliers de Danois au Xe, on a les preuves d’une reconstruction urbaine à cette époque, mais on ne trouve aucune trace spécifiquement scandinave», a expliqué Vincent Carpentier.
Les autres recherches, notamment linguistiques, sur les noms de lieux, ne sont elles non plus guère probantes. Et l’archéologue de conclure : «Il n’y a pas eu de choc de civilisations entre Vikings et populations locales. Mais un processus anthropologique complexe, fait de rencontres, d’échanges, d’assimilation et d’acculturation réciproques». Les invasions et les envahisseurs ne sont décidément plus ce qu’ils étaient !
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