Les critiques se multiplient en Europe contre la politique du gouvernement hongrois du conservateur Viktor Orban
Et ce alors que la Hongrie vient de prendre la présidence tournante de l'Union européenne pour six mois.
Le parti au pouvoir, le Fidesz, qui gouverne le pays depuis avril 2010 avec une majorité des deux tiers au Parlement, s'est emparé de "presque toutes les institutions indépendantes", observe l'hebdomadaire britannique The Economist.
Dans le même temps, il mène une politique étrangère ultra-nationaliste.
La presse encadrée
L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a dénoncé la récente adoption d'une loi sur la presse qui "encadre strictement la liberté de la presse", note Le Monde. Le nouveau texte, qui entre en vigueur le 1er janvier, organise le fonctionnement de tout le paysage médiatique, internet compris. L'ensemble est placé sous l'autorité d'une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH), dont les cinq membres appartiennent au parti majoritaire, le Fidesz. Une institution sans exemple dans d'autres démocraties, souligne l'OSCE.
La NMHH pourra décider unilatéralement d'infliger des amendes sévères aux organes de presse dont les productions "ne sont pas équilibrées politiquement" ou "entravent la dignité humaine", selon la loi. "La loi vise l'incitation à la haine contre les individus, des communautés ou des minorités ethniques, mais aussi contre des 'majorités'", note Le Monde. Contre les majorités ? "C'est-à-dire les 'Hongrois de souche' agressés par des minorités, comme ces Roms auquel un tribunal de Miskolc a récemment distribué plus de quarante ans de prison pour haine anti-magyare", précise le quotidien français.
"Les journalistes seront en outre sommés de dévoiler leurs sources et de soumettre leurs articles avant publication lorsque la NMHH l'exigera", précise par ailleurs Le Figaro.
La nouvelle loi a déjà été appliquée pour le journal socialiste Nepszabadsag "pour un article paru en ligne le 10 décembre. L'article commentait les nouvelles fonctions d'Annamaria Szalai, la présidente de la NMHH proche du premier ministre. Cette dernière, écrivait Nepszabadsag, détiendrait ainsi 'un pouvoir décisionnaire absolu' au sein de la nouvelle Autorité. "Sommé de corriger ses propos, le journal a refusé net et se trouve désormais sous la menace d'une lourde amende", rapporte Le Figaro.
De son côté, le chef du gouvernement rejette les critiques de ceux qui lui reprochent des méthodes dictatoriales. "Nous vivons dans une démocratie. Dans une démocratie, il n'y aurait pas eu autant de discussions", a-t-il expliqué à l'agence APA dans un récent entretien.
Réduction des pouvoirs de la Cour constitutionnelle
Le gouvernement de Viktor Orban a modifié la désignation des juges de la Cour constitutionnelle donnant la possibilité à la majorité parlementaire de faire élire des magistrats proches du pouvoir. De plus, les pouvoirs de l'institution, notamment en matière financière, ont été "sévèrement restreints", note L'Economist.
En matière financière, justement, le Parlement a voté en novembre un texte nationalisant les caisses de retraite privées. Le moyen de faire rentrer dans les coffre-forts de l'Etat 3000 milliards de forints, soit 11 milliards d'euros. Ce qui va permettre au budget d'enregistrer un excédent budgétaire de 5 % du PIB pour 2011, au lieu d'un déficit d'un peu moins de 3 %. Précisons au passage que la Hongrie a le plus faible taux d'emploi de l'Union européenne, et qu'un Hongrois sur trois vit au niveau ou sous le seuil de pauvreté, notamment les membres de la minorité Rom (source The Economist).
Les trois millions de Hongrois cotisant à une caisse privée ont jusqu'à fin février pour décider s'ils rejoignent le système public avec l'argent accumulé jusque-là. Ceux qui refuseront perdront, dans les faits, tous leurs droits à la retraite d'Etat, notent les observateurs. Les caisses privées ont saisi le Conseil constitutionnel qui se prononcera en janvier. Mais la réduction des pouvoirs de ce dernier ne leur est pas favorable...
L'indépendance de la Banque centrale menacée
"Pour l'instant, la seule institution à avoir tenu tête à M. Orban est la Banque centrale" hongroise, constate The Economist. Le gouverneur de la banque, Andras Simor ne s'est pas gêné pour critiquer les réformes fiscales du pouvoir. A ses yeux, ces réformes vont freiner le flux des capitaux dans le pays et ne pourront pas baisser le niveau du déficit public à long terme. Des critiques qui n'ont visiblement pas plu en haut lieu...
Andras Simor a ainsi "résisté aux appels du Fidesz lui demandant de démissionner", poursuit le journal britannique. Résultat: le gouvernement a l'intention de réformer le mode de nomination des membres du conseil monétaire de la banque, lequel fixe les taux d'intérêt. L'objectif étant de nommer lui-même la majorité des membres du conseil. Ce qui lui permettrait de facto de fixer les taux d'intérêt, mais contredirait les engagements internationaux de la Hongrie.
Une politique étrangère ultra-nationaliste
Dans le même temps, le gouvernement de Viktor Orban mène une politique étrangère dont on pourrait dire qu'elle réveille les blessures de l'Histoire. Notamment celles liées aux conséquences de la Première guerre mondiale, quand la Hongrie s'est séparée de l'Autriche, entraînant la fin de la "monarchie royale et impériale" austro-hongroise. La politique étrangère aggrave les tensions avec le voisin slovaque.
Dès le 26 mai 2010, à peine arrivée au pouvoir, le gouvernement de Viktor Orban a fait voter une loi controversée sur la double nationalité. Celle-ci donne la possibilité aux Hongrois de souche vivant dans des pays voisins d'obtenir la nationalité hongroise. Le texte concerne 3,5 millions de personnes vivant la plupart en Roumanie et en Slovaquie, mais aussi en Serbie, Croatie, Ukraine et Autriche. Rien qu'en Slovaquie, les Hongrois de souche représentent près de 10 % des 5,4 millions d'habitants.
Dans le même temps, le parti Fidesz a voté (avec le parti d'extrême droite Jobbik arrivé troisième aux législatives d'avril) une loi faisant du 4 juin, date anniversaire du traité de Trianon (signé en 1920), une "Journée commémorative nationale". Lequel traité avait amputé la Hongrie des deux-tiers de son territoire, dont la Slovaquie, et de la moitié de sa population. Le texte stipule que "chaque membre de la nation hongroise, même tombé sous l'autorité de plusieurs Etats différents, fait partie de la nation hongroise et l'appartenance à travers les frontières est un fait réel".
"Une formulation qui illustre le traumatisme dans leur identité nationale, toujours vécu par nombre de Hongrois 90 ans après la signature du Traité", analyse l'Agence France Presse.
Le ministre des Affaires étrangères hongrois, Janos Martonyi, au Parlement à Budapest le 2-12-2010 (AFP - ATTILA KISBENEDEK)
Même s'il n'y a pas eu de réactions négatives dans des pays comme la Roumanie ou la Serbie, la Slovaquie a vivement réagi au vote du 26 mai. Son premier ministre d'alors, Robert Fico, a ainsi fait adopter le même jour par son Parlement une loi privant de leur nationalité slovaque les citoyens d'origine hongroise qui décideraient d'adopter la nationalité du voisin. "Il existe un conflit de valeurs entre la Hongrie, aux traditions profondément antifascistes, et ce pays extrémiste qui exporte sa 'peste brune'", a été jusqu'à dire Robert Fico. Le président de la Commission de l'UE, José Manuel Barroso, a demandé à la Hongrie d'engager "un dialogue constructif" avec la Slovaquie "dans un esprit européen".
Il faut noter que les relations entre les deux pays ont été très tendues entre 2006 et 2010, période pendant laquelle le petit parti nationaliste xénophobe SNS a appartenu à la coalition gouvernementale slovaque. A noter aussi que les élections législatives d'avril en Hongrie avaient été marquées par l'entrée historique au Parlement du parti Jobbik (extrême droite), après une campagne axée sur l'antisémitisme, la stigmatisation des Roms et l'opposition à l'UE.
Les dirigeants des deux Etats se sont rencontrés le 14 décembre à Bratislava, capitale de la Slovaquie. Ils ont réaffirmé leur désaccord sur la question de la double nationalité, sur laquelle "nos opinions demeurent diamétralement opposées", a souligné la nouvelle première ministre slovaque, Iveta Radicova. Les deux dirigeants n'en ont pas moins salué le caractère "rationnel" du dialogue entre les deux pays.
"Faire taire les voix critiques"
"Le pouvoir hongrois veut faire taire les voix critiques", titrait Le Monde le 25 novembre. Notamment celle de "l'un des journalistes autrichiens les plus réputés pour sa connaissance de l'ex-Europe de l'Est, Paul Lendvaï, 81 ans, d'origine hongroise et auteur d'ouvrages de référence sur son pays natal".
Ce dernier se voit ainsi attaqué par Heti Valasz, un hebdomadaire proche du parti au pouvoir, le Fidesz. Il y est dénoncé comme un "informateur volontaire" des services de renseignement de l'époque communiste, sur la base des archives de la police politique. Ancien militant des Jeunesses socialistes, Paul Lendvaï avait échappé de justesse à l'Holocauste et s'était réfugié en 1956 en Autriche après l'écrasement de l'insurrection hongroise par l'URSS.
L'extrême droite hongroise a elle aussi donné de la voix à l'étranger dans cette affaire. Elle a ainsi organisé des manifestations à Zurich (Suisse) et Francfort (Allemagne) pour empêcher la présentation du livre.
Apparent motif de l'accusation, selon le site d'information en ligne hongrois Pester Lloyd: le dernier livre de Paul Lendvaï, intitulé "Mon pays perdu", sur la période post-stalinienne en Hongrie. L'ouvrage décrit un "tableau sans fard de l'incompétence et de la corruption" (selon Le Monde) des équipes socialistes, libérales et conservatrices qui se sont succédé au pouvoir depuis 20 ans. Il décrit aussi comment l'actuel premier ministre, Viktor Orban "accumule un pouvoir sans exemple dans l'Europe démocratique".
Populisme et montée de l'extrême droite
Viktor Orban est souvent taxé de "populisme" pour ses initiatives. "Le chef de la droite ultra-conservatrice hongroise puise autant dans le socialisme que dans le conservatisme. C'est un populiste partisan d'un Etat fort, paternaliste et interventionniste", observe Libération. Il n'a ainsi pas hésité à instituer un impôt frappant le système financier, justifié par la nécessité de "punir" les banques, coupables à ses yeux de "spéculations". Le quotidien français le décrit comme "un néo-conservateur", "qui dérive vers l'autoritarisme".
Défilé du mouvement d'extrême droite Jobbik le 2-12-2007 à Budapest
(AFP - ATTILA KISBENEDEK)
On ne trouve "ni antisémitisme ni racisme" chez le chef du gouvernement ou les autres dirigeants du Fidesz, rappelle Libération. Le 15 juillet dernier, Viktor Orban, disait s'opposer au mouvement d'extrême droite Jobbik (dont des représentants ont participé le 13 novembre à un meeting de l'un des dirigeants du FN français, Bruno Gollnisch, à Villepreux dans les Yvelines) et à son idéologie.
Pour autant, les responsables du Fidesz "ne se sont jamais clairement distancés de l'extrême droite", note Libération. Le 16 novembre dernier, ladite extrême droite faisait défiler certains de ses députés devant la statue du premier chef d'Etat de la république hongroise, Mihaly Karolyi, raconte Le Monde. Une statue "coiffée d'une kippa et affublée d'un écriteau: 'Je suis coupable de Trianon'", raconte Le Monde. "Trianon", en clair le traité du même nom qui a amputé le pays des deux tiers de son territoire en 1920. "Au pouvoir jusqu'en 1919, [Mihaly Karolyi] n'avait pourtant joué aucun rôle dans le traité", précise Le Monde.
Et l'opinion dans tout ça ?
Pour l'instant, l'opinion hongroise semble soutenir son premier ministre. L'opposition de gauche, muselée par sa défaite aux législatives, n'a pu réunir récemment que 1500 personnes pour une manifestation de protestation devant le Parlement à Budapest. Et surtout, Viktor Orban a remporté haut la main les municipales d'octobre, malgré un faible taux de participation (46,3 %).
Lors de ce scrutin, le Jobbik est à nouveau arrivé en troisième position, avec des scores dépassant 20 % dans l'est du pays. La campagne du mouvement d'extrême droite a été marquée par une virulente rhétorique anti-Roms. Le commentaire de l'un de leurs films électoraux affirme ainsi que "Sur 10 délits, 10 sont commis par des Roms, sur 20 délits, 20".
Une amputation de l'Etat de droit comme la restriction des compétences de la Cour constitutionnelle ne provoquera pas de protestation de la part de la population, estime le sociologue juriste Zoltán Fleck sur le portail d'opinion de gauche Galamus: "Quelle est la situation actuelle ? Nous avons un pouvoir gouvernemental insatiable, constitué de politiques rustres qui n'ont aucune culture constitutionnelle. D'un point de vue technique, ce gouvernement sans scrupules détient tout le pouvoir, ce qui lui permet de modifier la Constitution comme bon lui semble. … En outre, nous avons une société quelque peu apathique, qui reste hermétique aux valeurs de l'Etat de droit".
Et comment réagissent les autres pays de l'UE ?
Désormais, les critiques commencent à se multiplier dans l'Union européenne contre la Hongrie, et sa réforme de la législation sur les médias.
A Bruxelles, la Commission de l'UE n'a pas réagi spécifiquement sur la loi sur la presse. "La Commission attache une valeur très importante à la liberté de la presse et au pluralisme des médias et nous suivons cette affaire de très près", a toutefois déclaré un porte-parole.
L'Allemagne a été plus loin. Elle a ainsi demandé au gouvernement hongrois de prendre en compte les critiques de l'OSCE. "En tant que pays qui va prendre la présidence de l'UE, la Hongrie assume une responsabilité particulière pour l'image de l'ensemble de l'Union dans le monde", a souligné un porte-parole du gouvernement d'Angela Merkel.
Quant au ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, il estime que les nouvelles dispositions prises en Hongrie sur la presse "violent à l'évidence l'esprit et la lettre des traités" de l'UE. A tel point qu'il se demande "si un tel pays mérite de diriger l'Union européenne".
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