Le social-démocrate Pedro Passos Coelho, vainqueur des législatives, a été chargé de former le nouveau gouvernement
Avec 38,6 % des voix, son parti, le Parti social-démocrate (PSD), formation de centre-droit, a battu largement les socialistes du premier ministre sortant, José Socrates, qui obtiennent 28 % des voix.
Le président portugais, Anibal Cavaco Silva, a décidé d'accélérer le processus normal prévu par la Constitution.
Lui-même issu du PSD, il a demandé à Pedro Passos Coelho d'"entamer immédiatement les démarches" en vue d'"une solution de gouvernement disposant d'un soutien parlementaire majoritaire et solide".
Quatre députés de l'étranger restent encore à désigner. Ils ne seront connus que le 15 juin. La procédure accélérée devrait permettre au prochain gouvernement d'entrer en fonction plus rapidement que prévu pour s'attaquer sans délai à la mise en oeuvre du plan d'aide conclu avec l'UE et le FMI.
Dans un premier temps, il devra notamment décider de nouvelles mesures d'austérité pour compenser l'allègement "susbtantiel" de charges patronales prévu pour soutenir la compétitivité des entreprises. Il devra aussi trouver un acheteur pour la banque nationalisée BPN et mettre fin aux "golden shares" et droits spéciaux de l'Etat dans les entreprises cotées en bourse.
L'exécutif devra également préparer le nouveau paquet d'austérité prévu pour 2012 et mettre en chantier d'importantes réformes structurelles. But: dynamiser une économie qui, depuis dix ans, tourne au ralenti et devrait se contracter d'environ 2 % en 2011 comme en 2012.
Enfin, il va devoir accélérer le rythme des privatisations, à commencer par la vente de la compagnie aérienne TAP. Laquelle est menacée de 15 jours de grève d'ici fin juillet. Une grève, affirme la direction, qui pourrait compromettre la "survie" de l'entreprise.
Le résultat des élections
Sur les 226 sièges pourvus, le Parti social-démocrate en remporte 105 contre 73 pour le Parti socialiste, et disposera d'une large
majorité avec les 24 élus du parti de droite CDS-PP.
La gauche antilibérale obtient 24 sièges, dont 16 pour l'alliance communistes-verts et 8 pour le Bloc de Gauche (extrême-gauche), en net recul.
José Socrates, qui dirigeait le gouvernement depuis 2005, a reconnu sa défaite et annoncé qu'il quittait les fonctions de secrétaire général du PS qu'il occupait depuis 2004. Il "restera comme celui qui aura permis la dépénalisation de l'avortement", rappelle Le Monde.
Malgré l'enjeu du scrutin survenant dans un contexte de grave crise économique et sociale, l'abstention a dépassé les 41 %, un record absolu pour des législatives au Portugal depuis l'avènement de la démocratie en 1974. Le président portugais avait pourtant qualifié ces élections de "moment crucial". De son côté, le président (lui aussi portugais) de la Commission de l'UE, José Manuel Barroso (issu du PSD), avait estimé que ces législatives étaient "les plus importantes" depuis la fin de la dictature d'extrême droite en 1974.
Lourdement endetté (160 milliards d'euros fin 2010), le Portugal a fini l'année 2010 en récession avec un déficit public à 9,1 % du PIB et un chômage à plus de 12,4 %. Dans le sillage de la Grèce et de
l'Irlande l'an dernier, le pays a dû solliciter une aide extérieure pour éviter la banqueroute. Il a ainsi négocié un plan d'aide de 78 milliards d'euros avec l'UE et le FMI en échange d'un exigeant programme de rigueur et de réformes sur trois ans (voir plus loin).
"Beaucoup de courage"
Dans sa première déclaration après la victoire, Pedro Passos Coelho s'est efforcé de rassurer les créanciers du Portugal. "Je ferai tout pour garantir à tous ceux qui nous regardent de l'extérieur que le Portugal ne sera pas un fardeau à la charge d'autres pays qui nous ont prêté ce dont nous avions besoin pour faire face à nos responsabilités et à nos engagements", a déclaré Pedro Passos Coelho. "Nous ferons tout notre possible pour honorer l'accord établi entre l'Etat portugais, l'Union européenne et le Fonds monétaire international, pour reconquérir la confiance des marchés", a-t-il ajouté.
Contrairement à la Grèce et l'Irlande, au Portugal, tous les partis, à l'exception de la gauche antilibérale, se sont engagés à respecter strictement les conditions du prêt négocié par le gouvernement démissionnaire sur trois ans. Durant la campagne, Pedro Passos Coelho, 46 ans, a promis d'aller "bien au delà" des exigences posées par la "troïka" (UE, FMI, BCE), notamment en matière de privatisations mais aussi de réformes du marché du travail, des services publics et des politiques sociales. "Il faudra prendre de nombreuses mesures difficiles", a déclaré le chef du futur gouvernement. "Les années qui nous attendent vont exiger beaucoup de courage de la part du Portugal tout entier", a-t-il ajouté.
Conformément à sa promesse de "transparence" et de "parler vrai", il avait déjà prédit des "années très difficiles" à son pays. Il avait aussi évoqué, outre les sacrifices "déjà promis", d'autres qui s'imposeront "par la force des circonstances".
Pedro Passos Coelho: portrait
Pedro Passos Coelho s'apprêtant à faire une déclaration après la victoire de son parti. Les difficultés commencent... (AFP - FRANCISCO LEONG)
Grand et mince, cet éternel jeune premier de la droite portugaise, âgé de 46 ans, a fait montre pour son premier grand combat politique de tranquillité et de décontraction, confirmant sa réputation d'"animal à sang froid".
Né à Coimbra (centre) le 24 juillet 1964, Pedro Passos Coelho passe son enfance en Angola, alors colonie portugaise, où son père est médecin. A l'indépendance en 1975, la famille revient au Portugal et s'installe à Vila Real (nord).
Dans le sillage de son père, dirigeant local du Parti social-démocrate, le jeune Pedro adhère à 13 ans aux jeunesses du parti. A 20 ans, il en devient le secrétaire général puis le président en 1990.
Elu député en 1991, ses positions libérales en matière de drogue ou de service militaire font grincer les dents des barons du parti qui supportent mal son indépendance.
En 1999, à 35 ans, il décide de quitter le Parlement pour, dit-il, reprendre le cours de sa vie". Deux ans plus tard, sa licence d'économie en poche, il devient consultant puis directeur financier d'un groupe d'investissement. Il a aussi travaillé dans une grande entreprise du secteur énergétique. "J'ai fait ce que j'ai fait pour ma famille, pour moi aussi, en me disant que si un jour, je devais revenir à la politique, il ne faudrait pas que je dépende d'elle pour vivre", explique-t-il.
L'intermède est pourtant de courte durée. En 2005, Passos Coelho revient sur la scène politique, élu à la vice-présidence du PSD qu'il quitte moins d'un an plus tard en désaccord avec la ligne du parti.
Candidat malheureux à la présidence de la formation de centre-droit en 2008, il est écarté des organes dirigeants et empêché de se présenter un an plus tard aux législatives. Lesquelles seront perdues par les sociaux-démocrates malgré l'impopularité croissante du gouvernement socialiste.
Six mois plus tard, cet homme réputé têtu et orgueilleux prend sa revanche. Elu président du PSD par un vote direct des militants, il revendique d'emblée un programme plus libéral que ses prédécesseurs pour sortir le pays du marasme économique. Il défend le désengagement de l'Etat de l'économie et une limitation de son rôle social. Ses propositions de travail communautaire pour les chômeurs font polémique, de même que sa remise en cause du principe de gratuité de l'éducation et de la santé inscrit dans la Constitution.
La crise de la dette le met à dure épreuve et, pendant plusieurs mois, Pedro Passos Coelho peine à clarifier son discours. Un
discours tiraillé entre son "opposition déterminée" au gouvernement socialiste et son soutien "patriote" aux mesures d'austérité imposées pour assainir les finances publiques.
Fin mars, alors que la pression des marchés s'accroît sur le Portugal, il provoque pourtant la démission du gouvernement minoritaire en refusant d'endosser un quatrième plan d'austérité en moins d'un an.
Depuis, il s'est engagé non seulement à respecter le programme négocié par le gouvernement sortant avec l'UE et le FMI. Il a aussi promis d'"aller plus loin" en matière de privatisations comme de réformes.
Sa proximité avec les milieux d'affaires pourrait lui causer quelques difficultés. Les socialistes dénoncent ainsi un "conflit d'intérêts": l'homme qui va mener la privatisation des entreprises d'énergie a lui-même travaillé dans ce secteur.
Sur le plan privé, père de trois enfants, il est marié en secondes noces avec une femme originaire de Guinée-Bissau.
Les marchés rassurés
La presse portugaise s'inquiète des délais impartis au nouveau gouvernement pour lancer le programme de rigueur et de réformes, soulignant que la première "inspection" de la troïka (UE, FMI, Banque centrale européenne) est attendue fin juillet à Lisbonne. M. Passo Coehlo aura donc moins d'un mois pour s'y préparer.
Pour autant, les marchés financiers ont accueilli favorablement la victoire de M. Passos Coelho. "De notre point de vue, il s'agit d'un résultat positif dans la mesure où un gouvernement majoritaire est une condition nécessaire au succès du programme UE-FMI", écrit la Barclays Capital dans une note d'analyse. La Banco Espirito Santo de Investimento (BESI) se dit "tranquillisée" soulignant que "M. Passos Coelho prétend aller au delà des mesures prévues afin de restaurer la crédibilité du Portugal et la confiance des marchés le plus rapidement possible".
Pour les observateurs, la large victoire électorale du PSD va, dans un premier temps, lui donner les coudées franches pour lancer des mesures impopulaires. "La prochaine étape sera de voir à quel rythme seront adoptées certaines décisions impopulaires et quelle sera la décision de la société", pense David Schnautz, spécialiste des marchés obligataires à la Commerzbank. La population est "largement résignée" aux sacrifices qu'on attend d'elle, estime Le Monde.
Le plan d'austérité: "pénible mais juste"
Selon l'accord conclu début mai avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI), le nouveau gouvernement devra réduire le déficit public de 9,1 % du PIB l'an dernier à 5,9 % cette année, et descendre à 3 % d'ici 2013.
Le programme impose notamment un blocage (à 485 euros) du salaire minimal, une baisse de la rémunération des heures supplémentaires, une réduction de la durée et du montant des allocations chômage. Les retraites supérieures à 1500 euros devront baisser et les autres pensions, à l'exception des plus basses, seront gelées. Les salaires des fonctionnaires, déjà réduits de 5 % en 2011, seront eux aussi gelés. La TVA à 23 % est maintenue, tandis que certains taux réduits seront supprimés. Les impôts sur les salaires vont être augmentés.
Les dépenses de santé devront diminuer de 500 millions.
Dans le même temps sera mis en oeuvre un programme de privatisations qui touchera la Poste ainsi que les secteurs de la banque, de l'énergie et des transports. Parmi les premières sur la liste: la compagnie aérienne TAP.
Pour les négociateurs de l'UE, ce programme est "pénible mais juste". Il devrait placer le pays en récession pendant deux ans, alors que le taux de chômage (12,4 %) est le plus élevé depuis 30 ans.
Ce plan "n'apporte pas de croissance. Et le succès de la politique économique" du futur gouvernement "dépendra beaucoup de la dette souveraine dans la zone euro", estime le directeur d'un cabinet de consultants à Porto, Filipe Garcia. En clair: le pays est loin d'être tiré d'affaire...
Générations précaires
Le Portugal compte 620.000 chômeurs officiellement recensés (pour une population de 10,7 millions de personnes) Parmi eux, près de 50 % ont moins de 35 ans et 10 % sont diplômés.
Il faut aussi tenir compte de 720.000 personnes travaillant sous le régime du contrat à durée déterminée. "A cela s'ajoutent un peu plus d'un million de travailleurs indépendants, dont l'immense majorité serait en réalité des employés illégalement privés d'un contrat de travail, selon les organisations de précaires", affirme Libération.
Fin 2010-début 2011, de très importantes grèves générales et manifestations ont réuni des centaines de milliers de personnes.
"Indignés" manifestant le 28 mai sur la place Rossio à Lisbonne (AFP - PATRICIA DE MELO MOREIRA)
Quand des Portugais doivent refaire leurs valises...
50 ans après leurs grands-parents, des milliers de jeunes Portugais, souvent diplômés, font à leur tour leurs valises, pour échapper à la crise, au chômage et à la précarité.
Marlene et Pedro Frazao Pinheiro ont 25 ans chacun. Jusqu'à février, ce couple d'infirmiers vivait à Entroncamento, dans le centre du Portugal. Elle travaillant en CDD pour un groupe privé, lui "dans le public", mais à temps partiel et sans contrat. Ils ont fini par partir en Grande-Bretagne, à Northampton (100 km au nord de Londres).
"On était des 'précaires' comme on dit", résume Marlene. "Notre situation n'était pas des pires mais on ne se voyait pas d'avenir. Nous, on avait envie de pouvoir avoir une maison un jour", explique-t-elle. "Quand on a décidé de partir, tout est allé très vite. On a mis nos CV sur internet et en une semaine, on était embauchés tous les deux dans un hôpital public et en CDI", poursuit l'infirmière.
Aujourd'hui, la jeune femme, diplômée depuis seulement trois ans, gagne 1900 livres (2200 euros) par mois. Soit le double de son salaire portugais.
Selon elle, les infirmiers portugais sont "des centaines en Angleterre". De plus, "on reçoit beaucoup de demandes d'anciens camarades d'école ou de collègues qui veulent savoir comment faire pour émigrer aussi. Nous, on a choisi l'Angleterre, parce qu'on parlait anglais. Mais on a des collègues qui sont partis pour la France, la Suisse..."
Sur l'internet, les sites et blogs consacrés à l'émigration se multiplient. S'y croisent demandes de conseils et témoignages: les auteurs des contributions sont infirmiers, mais aussi psychologues, architectes ou ingénieurs.
La plupart des candidats à l'émigration souhaitent partir dans un pays européen. Mais nombreux sont ceux qui se disent tentés par une expatriation en Angola, ancienne colonie portugaise en pleine reconstruction où vivent déjà plus de 90.000 de leurs compatriotes.
Faute de données officielles globales, l'ampleur de cette nouvelle vague d'émigration est difficile à mesurer, variant selon les sources entre 50.000 à 100.000 départs par an. "Il est difficile de faire le compte car rien n'oblige quelqu'un qui part travailler six mois ou un an dans un pays européen, à se recenser", explique le sociologue Antonio Barreto. Selon lui, "l'émigration est revenue au niveau des années 60".
Selon l'Observatoire de l'émigration, organisme public récemment créé, le Portugal compte actuellement 2,3 millions d'émigrés "nés au pays" et, donc vivant à l'étranger. Soit plus d'un cinquième de sa population.
"C'est une véritable hémorragie", tempête Cristina Blanco, candidate d'extrême gauche aux législatives du 5 juin. "Les Portugais sont expulsés de leur propre pays: pas seulement les jeunes diplômés, ce sont aussi des contingents de chômeurs, la plupart sans qualification, qui affluent chaque jour dans les gares des principales villes européennes", affirme cette économiste installée en France depuis 1975."Et ce n'est pas fini. Les mesures d'austérité que l'UE et le FMI veulent imposer au Portugal, vont inévitablement accentuer le phénomène en aggravant le chômage", prédit-elle.
Dans ce contexte, Marlene et Pedro n'envisagent "pas du tout" de rentrer au Portugal. "On est bien ici et les Anglais sont des gens très bien élevés", s'enthousiasme Marlene. Pourvu que cela dure...
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