Cet article date de plus de huit ans.
La Suisse vote sur un «salaire universel» de 2.300 euros: tromperie ou utopie?
2.500 francs suisses par citoyen (l’équivalent de 2.300 euros)? Les Suisses se prononcent le 5 juin 2016 par référendum sur l'idée d'un «revenu de base inconditionnel» versé à tous les résidents. Ce référendum montre que cette idée de salaire universel, qui traverse les camps politiques, gagne de plus en plus de pays.
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Temps de lecture : 10min
La Suisse va-t-elle révolutionner les notions de salariat et de fiscalité en versant à chacun de ses résidents une allocation suffisante pour vivre? C’est en tout cas la volonté des partisans de ce revenu universel à la mode helvétique. Et comme le coût de la vie en Suisse est élevé et le niveau de richesse important, le montant de ce revenu fait rêver.
L’idée serait donc de verser à chaque citoyen un revenu de base inconditionnel (RBI) de 2.500 CHF par adulte et de 625 par mineur (en euro, cela donne environ 2.300 euros et 570 euros). Certes, Le montant n’est pas précisé dans le texte de l’initiative soumise à référendum, mais il est indiqué qu’il doit être suffisant pour pouvoir mener une existence digne et de participer à la vie publique. Un montant de 2.500 CHF a été proposé par les initiants. Ce serait ensuite aux parlementaires d'en fixer le niveau, en cas d’approbation par le peuple.
Face à la robotisation
Les partisans de cette initiative font le constat que «la robotisation et la digitalisation remplacent de plus en plus le travail humain. Un vieux rêve de l’humanité se voit ainsi progressivement réalisé. Toutefois, reposant encore sur l’emploi salarié, notre contrat social exige d’être rénové, afin que même après l’avènement robotique et digital chacun ait toujours la garantie d’un revenu pour vivre.» Fort de ce constat, les partisans de ce revenu de base estiment que «la conséquence (de cette robotisation) est un déséquilibre du marché de l’emploi en défaveur des travailleurs, un chômage en augmentation constante et une pression à la baisse sur les salaires. Si les actionnaires profitent de cette évolution, la classe moyenne constituée principalement de travailleurs voit son pouvoir d’achat baisser. La diminution de la consommation de masse réduit à son tour les besoins de production et les possibilités de croissance économique.»
Selon ses défenseurs, le système du revenu de base permettrait de régler les problèmes générés par cette évolution de l'économie. Une évolution mise en avant par de nombreuses études.
«La technologie devrait tuer 5 millions d’emplois d’ici 2020», estiment ainsi les auteurs d'une étude pour le Forum économique mondial (WEF). «L'intelligence artificielle, la robotique et la biotechnologie, perturberaient le monde des affaires d'une manière similaire aux révolutions industrielles précédentes», note le WEF. «7,1 millions d'emplois dans les pays les plus riches de la planète pourraient être perdus grâce à la redondance et l'automatisation», ajoutait l'organisme lors du dernier sommet de Davos.
«Verser un RBI à chacun, c’est reconnaître la nécessité et l’utilité de beaucoup d’activités qui ne se vendent pas. C’est reconnaître que le travail bien fait, l’innovation, la créativité ont besoin de temps et d’argent pour se développer», clame l’affiche des partisans de cette rémunération.
Selon ses défenseurs, le RBI remplacerait les prestations financières d’aide sociale. Alloué sans condition, il supprimerait la pauvreté et l’assistanat forcé. Les prestations complémentaires et l’assurance-chômage en sus du RBI seraient maintenues.
Le sujet a bien sûr suscité de nombreux débats sur sa faisabilité financière (pour le budget du pays), ses conséquences économiques (pour les entreprises mais aussi pour la monnaie, les prix, le marché en général) et sociales (stabilité des emplois...).
Ni de droite, ni de gauche ?
Pourtant cette notion de «revenu de base» ou de «salaire universel» a le vent en poupe. Au point d'être défendue aussi bien par des gens de gauche que de droite. Une idée pourtant pas nouvelle. Sans remonter à des philosophes comme Thomas More (16e siècle), dans les années 70, un économiste belge, Philippe Van Paris, la présentait comme une prestation universelle, individuelle et inconditionnelle, visant à permettre à chacun de choisir ou non de travailler. En quelque sorte «le droit à la paresse» revendiqué par Paul Lagargue (le gendre de Marx) à la fin du 19e siècle.
Pour un élu vert suisse, «l’idée du RBI n’appartient pas à la gauche ou à la droite. Elle a été soutenue aussi bien par Karl Marx («à chacun selon ses besoins») que par l’ultralibéral Milton Friedmann (impôt négatif). Elle a un aspect social, puisqu’elle vise à éradiquer la pauvreté. Elle a aussi un aspect libéral, car elle vise à accroître l’autonomie et la responsabilité des personnes, à stimuler l’emploi et à réduire la bureaucratie étatique.»
Aujourd'hui, ce projet est mis en avant dans les débats de la «Nuit debout» notamment par le libéral Alain Madelin prêt à aider les bas salaires par un «revenu minimum garanti». En France, les ultra-libéraux de Génération Libre, comme Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, défendent ce type de revenu, mais en modifiant tout ce qui est redistribution et fiscalité. Les approches entre la gauche et la droite sur ce sujet varient fortement.
A gauche, on se méfie de voir un tel système mettre à bas tous les systèmes de redistribution. «Pour les libéraux, octroyer un revenu de base permettrait de débarrasser le marché du travail de toutes ses "rigidités" (salaire minimum, prestations financées par des "charges sociales")», note l’économiste de gauche Liem Hoang Ngoc. Une analyse partégée par la Fondation Jean Jaurès: «Peu élevé, universel et indifférencié, ce revenu de base d’essence libérale serait financé par un impôt proportionnel sur le revenu. C’est cette approche qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, le revenu de base ayant été principalement expérimenté par des gouvernements et municipalités de droite.»
Pourtant, l'idée est aussi défendue à gauche. Avec un tel revenu, «le rôle des employés est renforcé, puisque ils pourraient choisir un poste de travail sans autant de pression économique», explique un syndicaliste. Dans cette famille politique, ce revenu universel ne mettrait pas fin aux autres mécanismes de redistribution. Ce revenu est «un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur une base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement », estime le Mouvement Français pour un Revenu de Base qui ne parle pas de fiscalité proportionnelle mais progressive.
Cependant, de nombreux économistes de gauche restent méfiants face à ce type de politique. «C’est la porte ouverte aux jobs à 1 euro, à l’ubérisation généralisée, chacun tentant de compléter ce revenu de base (ou plutôt de survie) par quelques prestations pas trop chères », écrivent Denis Clerc et Michel Dollé, cités dans Le Monde.
Les critiques contre un tel système restent cependant nombreuses, surtout dans le monde économique. En Suisse, gouvernement et Medef local appellent à voter non. Pour Economie Suisse, le patronat helvétique, «il est antisocial d’imposer à une société de subvenir aux besoins de personnes ne souhaitant pas contribuer à la prospérité de cette société alors qu’elles le pourraient». Les socialistes suisses (ainsi que la plupart des partis, à l'exception des Verts) sont, eux aussi, opposés au RBI, estimant que ce serait dangereux pour les salariés.
Des initiatives dans le monde entier
Outre l'initiative suisse, qui est la plus aboutie, l'idée d'un salaire universel gagne de nombreux pays. En Finlande, des études sont en cours pour mettre en œuvre un tel système, le gouvernement y étant favorable. Une étude de faisabilité doit être remise à l'automne, mais ici on parle d'une somme tournant autour de 550 euros.
Des expériences ont eu lieu dans des villes canadiennes, avec semble-t-il des effets mitigés. En Alaska, un revenu est attribué à tous les résidents, basé sur les recettes pétrolières et minières. Mais il reste relativement faible puisqu'il ne dépasse pas les 1.800 euros... par an. Dans les villes néerlandaises d’Utrecht, de Maastricht et de Groningen, un projet pilote sur le revenu de base a été lancé en janvier 2016, mais aucune évaluation n’est encore disponible.
En France, qui a déjà le RSA, qui n'est pas universel, le Conseil du numérique, dans un rapport de janvier 2016 évoquait la mise en œuvre d'un revenu universel. Le rapport est dans les tiroirs du ministère du Travail.
Au niveau européen, une «initiative pour un revenu de base inconditionnel» tente de rassembler un million de signatures afin de pouvoir soumettre à la Commission européenne un projet en ce sens.
En cas de vote positif, à priori improbable, la Suisse serait donc pionnière.
Selon ses défenseurs, le RBI remplacerait les prestations financières d’aide sociale. Alloué sans condition, il supprimerait la pauvreté et l’assistanat forcé. Les prestations complémentaires et l’assurance-chômage en sus du RBI seraient maintenues.
Le sujet a bien sûr suscité de nombreux débats sur sa faisabilité financière (pour le budget du pays), ses conséquences économiques (pour les entreprises mais aussi pour la monnaie, les prix, le marché en général) et sociales (stabilité des emplois...).
Ni de droite, ni de gauche ?
Pourtant cette notion de «revenu de base» ou de «salaire universel» a le vent en poupe. Au point d'être défendue aussi bien par des gens de gauche que de droite. Une idée pourtant pas nouvelle. Sans remonter à des philosophes comme Thomas More (16e siècle), dans les années 70, un économiste belge, Philippe Van Paris, la présentait comme une prestation universelle, individuelle et inconditionnelle, visant à permettre à chacun de choisir ou non de travailler. En quelque sorte «le droit à la paresse» revendiqué par Paul Lagargue (le gendre de Marx) à la fin du 19e siècle.
Pour un élu vert suisse, «l’idée du RBI n’appartient pas à la gauche ou à la droite. Elle a été soutenue aussi bien par Karl Marx («à chacun selon ses besoins») que par l’ultralibéral Milton Friedmann (impôt négatif). Elle a un aspect social, puisqu’elle vise à éradiquer la pauvreté. Elle a aussi un aspect libéral, car elle vise à accroître l’autonomie et la responsabilité des personnes, à stimuler l’emploi et à réduire la bureaucratie étatique.»
Aujourd'hui, ce projet est mis en avant dans les débats de la «Nuit debout» notamment par le libéral Alain Madelin prêt à aider les bas salaires par un «revenu minimum garanti». En France, les ultra-libéraux de Génération Libre, comme Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, défendent ce type de revenu, mais en modifiant tout ce qui est redistribution et fiscalité. Les approches entre la gauche et la droite sur ce sujet varient fortement.
Un revenu de base inconditionnel qui baisserait les salaires ? Votez NON le 5 juin. #RBI #CHVote pic.twitter.com/vIrgIm1hBU
— PS Vaudois (@psvaud) May 16, 2016
A gauche, on se méfie de voir un tel système mettre à bas tous les systèmes de redistribution. «Pour les libéraux, octroyer un revenu de base permettrait de débarrasser le marché du travail de toutes ses "rigidités" (salaire minimum, prestations financées par des "charges sociales")», note l’économiste de gauche Liem Hoang Ngoc. Une analyse partégée par la Fondation Jean Jaurès: «Peu élevé, universel et indifférencié, ce revenu de base d’essence libérale serait financé par un impôt proportionnel sur le revenu. C’est cette approche qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui, le revenu de base ayant été principalement expérimenté par des gouvernements et municipalités de droite.»
Pourtant, l'idée est aussi défendue à gauche. Avec un tel revenu, «le rôle des employés est renforcé, puisque ils pourraient choisir un poste de travail sans autant de pression économique», explique un syndicaliste. Dans cette famille politique, ce revenu universel ne mettrait pas fin aux autres mécanismes de redistribution. Ce revenu est «un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur une base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement », estime le Mouvement Français pour un Revenu de Base qui ne parle pas de fiscalité proportionnelle mais progressive.
Cependant, de nombreux économistes de gauche restent méfiants face à ce type de politique. «C’est la porte ouverte aux jobs à 1 euro, à l’ubérisation généralisée, chacun tentant de compléter ce revenu de base (ou plutôt de survie) par quelques prestations pas trop chères », écrivent Denis Clerc et Michel Dollé, cités dans Le Monde.
Les critiques contre un tel système restent cependant nombreuses, surtout dans le monde économique. En Suisse, gouvernement et Medef local appellent à voter non. Pour Economie Suisse, le patronat helvétique, «il est antisocial d’imposer à une société de subvenir aux besoins de personnes ne souhaitant pas contribuer à la prospérité de cette société alors qu’elles le pourraient». Les socialistes suisses (ainsi que la plupart des partis, à l'exception des Verts) sont, eux aussi, opposés au RBI, estimant que ce serait dangereux pour les salariés.
Des initiatives dans le monde entier
Outre l'initiative suisse, qui est la plus aboutie, l'idée d'un salaire universel gagne de nombreux pays. En Finlande, des études sont en cours pour mettre en œuvre un tel système, le gouvernement y étant favorable. Une étude de faisabilité doit être remise à l'automne, mais ici on parle d'une somme tournant autour de 550 euros.
Des expériences ont eu lieu dans des villes canadiennes, avec semble-t-il des effets mitigés. En Alaska, un revenu est attribué à tous les résidents, basé sur les recettes pétrolières et minières. Mais il reste relativement faible puisqu'il ne dépasse pas les 1.800 euros... par an. Dans les villes néerlandaises d’Utrecht, de Maastricht et de Groningen, un projet pilote sur le revenu de base a été lancé en janvier 2016, mais aucune évaluation n’est encore disponible.
En France, qui a déjà le RSA, qui n'est pas universel, le Conseil du numérique, dans un rapport de janvier 2016 évoquait la mise en œuvre d'un revenu universel. Le rapport est dans les tiroirs du ministère du Travail.
Au niveau européen, une «initiative pour un revenu de base inconditionnel» tente de rassembler un million de signatures afin de pouvoir soumettre à la Commission européenne un projet en ce sens.
En cas de vote positif, à priori improbable, la Suisse serait donc pionnière.
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