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La Suisse rejette l'immigration «de masse»

L'initiative UDC contre «l'immigration de masse» a obtenu la majorité des cantons et du peuple. Elle devrait déboucher sur «de nouvelles négociations avec l’UE au sujet de la libre circulation des personnes et donc de la régulation et du contrôle autonomes de l’immigration». La victoire du «oui» provoque un choc en Suisse et pourrait peser sur les élections européennes.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Affiche choc des partisans du référendum visant à limiter l'immigration en Suisse.

L'affiche était parlante. Le drapeau suisse piétiné par des ombres sombres et noires symbolisant l'immigration. Concrètement, c'est le parti UDC (droite radicale) qui était à la manœuvre. Ce parti n'en était pas à son coup d'essai sur cette question et a multiplié les initiatives sur l'immigration, le droit d'asile, mais aussi sur des questions renforçant un certain isolationnisme, toujours populaire dans la très neutre Suisse. Les résultats n'avaient pas été anticipé par les sondeurs. Le «oui» ne l'emportant que dans la dernière ligne droite.

Pour la votation du 9 février 2014, qui porte le nom d'«Initiative populaire fédérale "contre l'immigration massive d'étrangers et de requérants d'asile"», l'UDC souhaite notamment remettre en cause la libre circulation des Européens en Suisse. Avec cette initiative, il veut réintroduire des plafonds annuels d’immigrés et des contingents pour les autorisations de séjour en Suisse. Ces limites s'appliqueraient aussi aux frontaliers et aux requérants d'asile. 

Aec la victoire du «oui», la Suisse devrait renégocier les accords avec l'Union européenne. En effet, la Suisse, qui n'est pas membre de l'Union européenne, a multiplié les accords avec l'UE. Parmi ces accords, validés par référendum, figurent les accords de libre circulation des personnes (Schengen).

«Cette victoire suisse  renforcera les Français dans leur volonté d'arrêter  l'immigration de masse et de reprendre la maîtrise de leurs frontières face à  l'Union européenne», s'est immiédiatement félicité le Front National en France. «Elle doit enfin servir d'exemple à nos vieilles  démocraties sclérosées qui n'osent plus donner la parole au peuple, tant les  gens qui nous gouvernent en ont peur», ajoute le parti de Marine Le Pen qui réaffirme sa volonté de voir se mettre en place «un véritable referendum d'initiative  populaire».

Heidiland
Pour le comité défendant cette idée de référendum, il faut mettre un terme à l'immigration «démesurée». Au lieu d'accueillir 8000 Européens par an, la Suisse en compte 80.000 de plus chaque année, note-t-il. La population suisse en subit tous les jours les conséquences nuisibles, selon les partisans de l'initiative. Pour eux, cette immigration menace «notre liberté, notre sécurité, le plein emploi, la beauté de nos paysages et en fin de compte notre prospérité.»

Pour ces Suisses, qui voient encore leur pays comme celui d’Heidi, le nombre d’immigrants annuels est à l’origine de l’augmentation de la population qui atteint les 8 millions d’habitants. Résultat, toutes les peurs se mêlent : craintes sur l’emploi «le taux de chômage frôle les 8% parmi les étrangers», la prospérité, le confort «trains bondés, routes saturées»... Voire même l’angoisse d’une Suisse surpeuplée : «Chaque année, cet accroissement de la population requiert une surface d’habitat et d’infrastructure de la taille de 4560 terrains de football», note le texte. Bref, le syndrome dénoncé par le film «La barque est pleine» semble revoir le jour. 

Affiche du «mouvement des citoyens genevois» en faveur du «oui»

Le seul argument qui semble rencontrer un certain réalisme est celui du poids de l'immigration sur les salaires. Des études universitaires semblent montrer que l'immigration aurait un impact sur certains salaires. Des syndicats confirment ces études. «Les salaires sont sous forte pression», s'alarme Stefan Studer, le directeur de l'association qui représente les salariés de la pharma et de l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux. Bon nombre d'entre eux relèvent du segment intermédiaire qui n'ont pas de convention collective avec salaire minimum, note la Tribune de Genève.

Dans ce pays très particulier, qui a refusé d'adhérer à l'UE mais aussi à l'ONU, la question identitaire peut rencontrer un écho, comme le souligne le magazine on-line, classé très à droite, LesObservateurs : «Oui, beaucoup de Suisses sentent le pays leur échapper (...). Cette votation touche aux éléments les plus essentiels de notre Identité.» 

 
Mais au-delà des craintes économiques, environnementales, malthusiennes, resurgissent les groupes qui avaient été à l’origine du vote anti-minaret avec des arguments plus violents. Certains partisans du référendum n’hésitent pas à mettre en avant «une augmentation massive de la population musulmane» qui modifierait «l'essence de la Suisse». 

Opposition générale
Les opposants à l’initiative de la droite suisse, qui avaient réussi à faire voter un texte contre les minarets, se retrouvaient aussi bien à gauche que dans le monde économique. L’ensemble des partis était contre cette initiative, à l’exception de l’UDC de Christoph Blocher. Les milieux économiques partagaient ce rejet. «Pour eux, un "oui" renforcerait la pénurie de main-d'œuvre, instaurerait une bureaucratie coûteuse et mettrait l'économie suisse sur la touche», notait la Tribune de Genève.

Plus politiques, d'autres estimaient que jamais l’UE n’acceptera «de maintenir l’édifice bilatéral avec une Suisse prospère si celle-ci limite l’accès de leurs ressortissants à son territoire». 

Affiche du parti socialiste vaudois en faveur du «non» au référendum du 9 février. (PS)


«Le 9 février, les populistes et la Suisse jouent gros. L’impact d’un divorce – probablement complet – d’avec l’Union serait massif, augmentant l’incertitude dans tous les secteurs d’activité. Quant aux conséquences sociales, elles seraient dévastatrices, la chute des accords bilatéraux entraînant formellement la fin des mesures accompagnant la libre circulation des personnes. C’est d’ailleurs peut-être le calcul de l’aile économique de l’UDC: casser les contrats actuels et les protections qui leur sont adossées pour laisser jouer à terme le seul dumping salarial», estimait le conseiller national PS, Roger Nordmann.

«Pointer du doigt un bouc émissaire est une pratique hélas courante depuis la nuit des temps. Mais que ce parti s’en prenne à la soi-disant "démesure" en matière de croissance économique, ça c’est nouveau ! On s’en pincerait le bras… ou en pleurerait, c’est selon», se lamentait une responsable économique romande, Cristina Gaggini. Pour elle, «nos attentes sont pour le moins paradoxales : vivre dans un "Heidiland" mais avec le niveau de confort du champion mondial de la compétitivité que nous sommes.»

Lors du même vote, les électeurs qui ont donc dit oui à une limitation de l'immigration ont aussi voté massivement pour conserver le remboursement de l'IVG et en faveur d'un fonds de développement du ferroviaire, contre lequel se battait l'UDC... De quoi  rendre moins clairement caricatural le sens du vote helvétique.
 

 


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