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Royaume-Uni : après la victoire de Boris Johnson aux élections législatives, le Brexit aura-t-il vraiment lieu fin janvier ?

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le Premier ministre conservateur britannique, Boris Johnson, fait campagne à Benfleet, dans l'est de Londres (Royaume-Uni) le 11 décembre 2019, à la veille d'élection législatives anticipées.  (BEN STANSALL / POOL / AFP)

La victoire du Parti conservateur aux élections législatives anticipées, jeudi, donne un mandat clair à Boris Johnson pour mener à bien son slogan de campagne : "Réaliser le Brexit". Sera-t-il toutefois capable de le faire en 2020 ? 

Une victoire "historique", un "raz-de-marée" électoral. Voici comment les unes de la presse britannique sont titrées, vendredi 13 décembre, au lendemain d'élections législatives anticipées au Royaume-Uni. Selon les résultats définitifs, le Parti conservateur du Premier ministre pro-Brexit, Boris Johnson, obtient une majorité absolue de 365 sièges à la Chambre des communes, soit 48 de plus qu'en 2017. Le Parti travailliste, très affaibli, est loin derrière, avec 203 sièges — son score le plus faible en 85 ans. 

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"Réaliser le Brexit est désormais la décision irréfutable, indiscutable du peuple britannique", s'est félicité Boris Johnson tôt dans la matinée vendredi, face à des militants galvanisés. "Nous allons réaliser le Brexit à temps, le 31 janvier 2020", leur a-t-il garanti. "Nous sommes prêts" à négocier la future relation entre le Royaume-Uni et l'UE, a déclaré peu après le nouveau président du Conseil européen, Charles Michel. Ce dernier a appelé de ses vœux "une ratification rapide par le Parlement britannique" de l'accord de sortie négocié entre Londres et Bruxelles, "afin que l'on puisse démarrer dans la sérénité, tranquillement, mais avec une grande détermination, la négociation sur la phase suivante". 

Après cette victoire nette des Tories pro-Brexit dans les urnes, Boris Johnson est-il certain de "réaliser le Brexit""Get Brexit done", en anglais dans le texte, comme il l'a martelé pendant sa campagne ? Pourra-t-il le faire avant la fin de la période de transition, prévue fin 2020 ?  

La fin de "l'impasse" parlementaire 

Boris Johnson a convoqué ces élections législatives anticipées fin octobre, afin de renforcer sa majorité et de mettre un terme aux blocages du Parlement sur l'épineuse question du Brexit. En cela, le Premier ministre, figure de la campagne du "Leave" en 2016, a réussi son pari. Avec 365 conservateurs sur 650 élus à la Chambre des communes, il semble, après plusieurs échecs cinglants en septembre, enfin assuré d'un vote en faveur de son accord négocié avec Bruxelles. D'autant que ces élus tories lui ont promis leurs voix sur le texte, relève Politico*. Même si le texte devait être amendé, il devrait passer sans blocage. 

La ratification de cet accord de Brexit, après une lecture et un vote par les deux chambres du Parlement, pourrait donc aboutir rapidement. D'après des estimations du Guardian*, une seconde lecture du texte de retrait de l'UE pourrait intervenir dès le vendredi 20 décembre, ou le lundi suivant à la Chambre des communes. La Chambre des lords devrait également siéger entre Noël et le Nouvel an pour étudier le texte, poursuit le quotidien britannique. 

Le calendrier législatif reste serré pour aboutir à une ratification complète avant le 31 janvier, mais ce scénario est réaliste, d'après plusieurs chercheurs. "Du côté britannique, il est quasiment certain que nous aurons terminé [le vote de l'accord] d'ici le 31 janvier", commente à franceinfo Joe Owen, directeur du programme sur le Brexit au sein du think tank britannique Institute for Government. "Cela peut prendre un peu de temps du côté de la Chambre des lords, mais après cette victoire électorale, ils feront en sorte de ne pas bloquer une sortie le 31 janvier." "Les lords ont exprimé certaines réserves sur ce texte, mais ils l'approuveront", poursuit Simon Usherwood, professeur de sciences politiques à l'université de Surrey.

Quant au vote des Européens avant l'échéance, "cela ne devrait pas poser souci", souligne l'enseignant auprès de franceinfo. "L'Union européenne a bien dit qu'elle souhaitait l'approuver." Des séances plénières sont d'ailleurs prévues au Parlement européen, à Strasbourg, les 29 et 30 janvier prochains, note le Guardian.

De longues négociations en perspective 

En toute logique, le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne devrait donc être acté dans un peu plus d'un mois et demi. "Le problème, c'est que ce vote n'est qu'une partie du Brexit", prévient Simon Usherwood. Comme le note CNN*, derrière le slogan "Réaliser le Brexit" se cache des discussions difficiles – et potentiellement longues – sur la relation future entre Londres et Bruxelles. Un travail fastidieux, pour lequel une période de transition d'un an semble largement insuffisante, d'après des experts. "Cela semble très irréaliste" de terminer ces négociations à temps, confirme l'enseignant de l'université de Surrey. 

Pour avoir une nouvelle relation stable entre le Royaume-Uni et l'UE, cela risque de prendre entre cinq et dix ans. Vous aurez peut-être un premier accord après quelques années, mais les discussions ne seront pas finies.

Simon Usherwood

à franceinfo

Surtout qu'il faudra, pour lancer ce processus, "des négociations sur les négociations", ajoute Joe Owen. Des discussions préalables seront nécessaires "pour savoir exactement comment ils veulent mener" ce divorce. Car, outre-Manche, le flou entoure encore les modalités de ces échanges. "Nous savons que l'UE a prévu son organisation pour les négociations, mais à quel point le Royaume-Uni est-il prêt ?", s'interroge Simon Usherwood. "Londres pourrait très bien décider de réorganiser ses ministères" pour faire aboutir le Brexit, envisage l'universitaire. Comme le précise le Guardian, le gouvernement britannique dispose de trente jours, à compter de la date de sortie, pour définir ce qu'il souhaite voir aboutir dans les prochaines discussions avec Bruxelles. 

En parallèle, la vision de Boris Johnson sur la future relation entre Londres et l'UE reste vague. Le dirigeant souhaite un nouvel accord commercial fin 2020, mais "y aura-t-il un accord commercial et un accord sur la sécurité ? Des accords complémentaires, sur des secteurs comme l'aviation ? On ne sait pas tout cela. Et on ne sait pas combien d'accords il y aura", constate Joe Owen. La vision du Premier ministre sur le sujet pourrait aussi évoluer, au fil des "pressions de secteurs économiques ou d'industries, qui veulent une relation plus forte avec l'UE", souligne Simon Usherwood. 

Un pari politique risqué ? 

Face à la perspective de négociations plus longues que prévu, un Brexit "dur", sans accord, ne risque-t-il pas d'arriver ? "C'est toujours possible, mais peu probable", estime Simon Usherwood. "Je ne suis pas sûr que Boris Johnson veuille réellement un Brexit sans accord." 

Pour éviter cela, le Premier ministre britannique pourrait être contraint de demander un nouveau report. Cette fois-ci, sur la fin de la période de transition. Il devra le faire avant le 1er juillet, précise le Guardian. "Ce sera la grande question pour Boris Johnson. Demander une extension pourrait constituer une épreuve politique", analyse Joe Owen. Aux yeux de Simon Usherwood, "BoJo" dispose d'un "capital politique suffisant" pour faire passer ce délai supplémentaire. "Il ne pourra toutefois plus dire, comme il l'avait fait pour le dernier report du Brexit, que c'est le Parlement qui l'oblige à demander plus de temps." 

Viendra enfin le temps des réactions européennes aux négociations. Chaque Etat membre de l'UE aura un droit de vote, et un droit de veto, sur la nouvelle relation entre Londres et Bruxelles, relève CNN. Accès au marché européen, circulation des personnes, contrôles sur les biens et services... "Les mêmes questions" seront mises une nouvelle fois sur la table, prévoit Simon Usherwood. De quoi s'attendre, à nouveau, à un processus long et complexe. 

* L'ensemble de ces liens sont en anglais

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