Reportage Royaume-Uni : un an après le Brexit, les habitants de Ramsgate déplorent une sortie de l'Europe "qui ne s’est pas faite proprement"
Cette ville de pêcheurs, située sur la côte nord-est du comté de Kent, avait voté pour le Brexit à près de 64%. Un an après, les habitants sont toujours pro-Brexit mais la réalité ne ressemble pas du tout à ce qu’ils espéraient.
Le Royaume-Uni est sorti de l’Europe il y a un an. Impossible de tirer un bilan définitif de ce choix politique majeur dont les conséquences vont s’étaler sur des dizaines d’années. À Ramsgate, fief de Brexiters, on ne regrette pas ce vote mais ce que les politiques des deux côtés de la Manche en ont fait.
Derrière son comptoir hors d’âge, protégée du Covid par une barrière de plastique transparent, la serveuse de Shakey Shakey a dégainé son arme secrète. Quelques frites assaisonnées avec le condiment de la maison. "Une recette de ma mère, précise-t-elle. Dîtes-moi si ça vous plaît." Du poivre, des herbes et du sel de mer relèvent parfaitement le cornet tâché de gras. Dans High street, la rue principale de Ramsgate qui descend vers le port, ce fish and chips ("la plus grande invention britannique", proclament des centaines d’enseignes à travers le pays) familial est réputé pour être le meilleur de la ville.
"Je ne peux pas vous servir de haddock aujourd’hui, nous n’en avons pas. Je pourrais en trouver, mais avec les quotas fixés pour les pêcheurs, ils n’en prennent pas beaucoup en ce moment et les prix sont trop élevés."
La serveuse du fish and chips Shakey Shakeyà franceinfo
Shakey Shakey travaille avec la pêche locale et en connaît bien les tourments. Pour aujourd’hui, ce sera donc du cabillaud avec les frites et la sauce tartare maison. Mais pas de dessert, bien que le menu propose un Mars passé à la friteuse ou des biscuits Oreo ayant subi le même traitement. Les inventions culinaires britanniques sont sans limite.
Le conflit sur la pêche ravive un nationalisme jamais vraiment disparu
À la pointe sud-est de l’Angleterre, Ramsgate n’est qu’à deux heures de route de Londres, quelques dizaines de kilomètres de Calais à vol d’oiseau. Les 40 000 habitants se sentent pourtant loin de leur capitale, de la France et de l’Europe. Dans le coin, le vote Brexit avait recueilli 63,8% des suffrages en 2016. Un vote motivé par la peur de l’immigration, le ras-le-bol des pêcheurs face aux règles imposées par Bruxelles et un passé glorieux, souvent fantasmé. La population de Ramsgate est âgée et ne se résout pas à voir les années passer. Le conflit sur la pêche entre la France et le Royaume Uni a ravivé un nationalisme jamais vraiment disparu. Les Français ne sont pas toujours bien accueillis ces temps-ci et les "french ass-hole" fusent assez rapidement pour ceux qui posent des questions.
John Nichols reste beaucoup plus courtois. Sur le port qu’il connaît si bien et face aux chalutiers qui déchargent leurs poissons, le président de l’association des pêcheurs de la région revendique son vote pour la sortie de l’Europe. Là-dessus, son avis n’a pas changé même s’il reconnaît que le Brexit pose un problème. "La faute aux gouvernements" selon lui et à "une sortie qui ne s’est pas faite proprement". Pas suffisamment pour que chacun sache exactement ce qu’il doit faire, en tout ca, dit-t-il. "Je n’ai rien contre le fait que les Français, les Belges ou les Néerlandais accèdent à nos eaux mais ça doit se faire selon nos conditions", estime John.
Quand Clément Beaune, le secrétaire d’Etat Français aux Affaires européennes, affirme que le gouvernement britannique ne comprend que "le langage de la force", la majorité conservatrice se braque et un député compare Emmanuel Macron à "un petit Napoléon qui s’accroche au pouvoir". Cible parfaite, le président français est accusé de vouloir soigner sa popularité dans l’hexagone, alors que démarre la campagne présidentielle, en tapant sur l’Angleterre. Même s’il n’est pas un grand fan de Boris Johnson, John Nichols reçoit parfaitement ce message : "Nous n’avons pas le temps de nous amuser mais si les Français veulent s’énerver, nous pouvons le faire aussi."
"L’Angleterre et la France ont été en guerre très souvent, depuis des centaines d’années. Ce n’est bon pour personne. Nos pêcheurs respectent des règles, les Français doivent s’y soumettre également."
John Nichols, président des pêcheurs de la régionà franceinfo
Le septuagénaire raconte l’époque glorieuse où une trentaine de bateaux revenaient au port de Ramsgate les filets remplis de poissons. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une dizaine et la pêche n’est plus aussi fructueuse. Un souvenir que partage Tony, un retraité en balade sur la plage. "Quand j’étais gamin, on allait ramasser des crabes, des coquillages, pêcher aussi, se souvient-il. Maintenant, on ne trouve plus rien à cause de la surpêche et des bateaux étrangers qui ont tout ratissé." Le Brexit ne ramène pas cette époque. Ni les pêches miraculeuses, ni la jeunesse envolée. "Mais nous avons pris la bonne décision, assure Tony. Même si l’Europe veut tout faire pour nous compliquer la tâche, en particulier la France. Leurs chalutiers n’ont plus rien à faire chez nous. Il faut vous y faire."
"J’espérais que les choses seraient claires avec le Brexit"
Au XIXe siècle, la Reine Victoria aimait profiter de l’air marin à Ramsgate. Ses venues fréquentes avaient transformé la cité balnéaire en "place to be". Ce n’est plus le cas. Margate, à quelques kilomètres au Nord, attire plus de touristes et d’habitants qui fuient les villes. "Ce serait formidable de revenir dans le passé", assure Michael, le poissonnier installé sur le port.
Dans sa cahute blanche, il vend la marchandise tout juste débarquée sous le regard envieux des mouettes. "Les pêcheurs français ne peuvent plus venir ici et faire ce qu’ils veulent. J’espérais que les choses seraient claires avec le Brexit. Ce n’est pas exactement ce qui se passe. Il faudrait maintenant que la France apprenne à respecter nos lois", dit-il.
En 1975, le réalisateur Michel Lang avait choisi Ramsgate pour tourner son film À nous les petites Anglaises. Cette époque est bien révolue dans l’esprit des habitants de ce port du Kent. Avec le Brexit, les Français ne doivent plus s’approprier les merveilles locales.
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