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Pêche post-Brexit : par crainte de perdre leur licence, les pêcheurs français ne changent pas leurs bateaux

La France réclame encore une centaine de licences au Royaume-Uni pour que ses bateaux puissent pêcher dans les eaux britanniques. Un des blocages concerne les navires de remplacement car l'accès aux zones de pêche peut être refusé aux pêcheurs français s'ils modernisent leur flotte. Reportage à Saint-Malo.

Article rédigé par Grégoire Lecalot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Le "Sirocco", un bateau de pêche construit en 1983, dans le port de Saint-Malo, décembre 2021. (GRÉGOIRE LECALOT / RADIO FRANCE)

Sous un ciel gris de gros temps, le Sirocco s’approche d’un quai de granit au fond du port de Saint-Malo. Son capitaine, Victor Massu, sait l’importance de la météo pour ce vieux bateau construit en 1983. "On évite de sortir par tempête." Pas de quoi réjouir les équipages, par rapport à ceux de fileyeurs plus modernes. "Cela peut engendrer une certaine forme de jalousie chez les matelots qui touchent un peu moins par rapport à d’autres bateaux, explique le capitaine. Et puis, il faut vivre avec son temps et changer de véhicule."

Sauf que changer de bateau ou envisager de le faire est risqué par les temps qui courrent. C'est même un des points de blocage dans les discussions entre la France et le Royaume-Uni sur les licences de pêche, depuis le Brexit : les pêcheurs qui ont changé leur bateau récemment ou qui envisagent de le faire, c'est le problème des navires de remplacement, auxquels les Britanniques refusent des licences. Le délai donné au Royaume-Uni par la Commission européenne expire vendredi 10 décembre. L'échéance a été rejetée par les Britanniques alors que la France réclame encore une centaine de licences pour ses bateaux. 

Victor Massu, capitaine du Sirocco, un bateau de pêche construit en 1983, dans le port de Saint-Malo, décembre 2021. (GREGOIRE LECALOT / RADIO FRANCE)

Changer son fileyeur, il en est question pour Victor Massu. Pendant que les marins débarquent des caisses et des caisses d’araignées de mer pêchées dans le secteur de Jersey-Guernesey, il retrouve son armateur. Issu d’une famille de marins de Saint-Malo, Loïc Escoffier a repris en 2016 l’entreprise créée par son père en 1982. Des trois bateaux qu’il a, le Sirocco est le plus ancien. "C’est emblématique de Saint-Malo, s'exclame Loïc. Le bateau fait 16,80 m de long pour 6,50 m de large, c’est 80 tonnes de chêne. C’est encore un très bon navire mais pour les marins ce n’est pas ce qu’il y a de plus reposant. Ce bateau consomme aussi énormément de gazole, ce n’est pas top au niveau empreinte carbone."

L'armateur Loïc Escoffier craint de perdre sa licence de pêche britannique s'il change de bateau, à Saint-Malo décembre 2021. (GREGOIRE LECALOT / RADIO FRANCE)

Loïc voudrait remplacer son Sirocco par un navire plus moderne, comme son Franck-Annie, amarré juste en face. Un catamaran à moteur plus économique et plus sûr avec ses deux coques. Mais s’il change de bateau, l'armateur perd sa licence de pêche britannique au motif qu’un navire qui est plus moderne va pêcher davantage. Loïc ne comprend pas. "C’est le même nombre de marins, le même nombre de kilomètres de filets et les mêmes clients, ce n’est pas du tout pour pêcher plus", argumente l'armateur.

"Si c’est pour nous donner l’autorisation mais pour nous dire : de toute façon, vous n’avez pas le droit de faire évoluer votre bateau, vous n’avez pas le droit de les revendre ni de les changer... Il n’y aura bientôt plus de bateaux dans les eaux de Jersey et de Guernesey."

Loïc Escoffier, armateur

à franceinfo

Loïc espère donc une solution, sans quoi "on va être hors-la-loi, on va quand même faire nos objectifs. Pour ça, il faudra que le gouvernement français nous soutienne. Si demain on se fait arraisonner, il faudra qu’il viennent nous chercher.” Le vieux Sirocco, lui, n’a pas encore dit son dernier mot et avec son équipage, il repart en mer par la marée du soir. 

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