"On est dans le flou" : l'angoisse des fonctionnaires britanniques qui risquent de perdre leur poste à cause du Brexit
Le gouvernement britannique a activé, mercredi 29 mars, l'article 50 du traité de Lisbonne, lançant ainsi officiellement le divorce avec l'UE. Franceinfo s'intéresse au sort du millier de fonctionnaires britanniques présents à Bruxelles, où siège la Commission européenne.
"Vous avez laissé vos chapeaux nationaux à la porte lorsque vous êtes entrés dans cette institution. Aujourd'hui, cette porte ne se referme pas sur vous." Ce message rassurant a été envoyé par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, aux fonctionnaires britanniques de l'Union européenne, au lendemain du référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'UE.
Huit mois plus tard, alors que la Première ministre britannique, Theresa May, a activé, mercredi 29 mars, l'article 50 du traité de Lisbonne, lançant ainsi officiellement le divorce de son pays avec l'UE, c'est peu dire que ces fonctionnaires britanniques ont le blues. Car avec le Brexit, leur sort se joue au sein des négociations complexes sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni... qui pourront durer jusqu'à deux ans. "Personne ne sait rien sur ce qui va se passer, on reste dans le flou", regrette Chris Jones, un de ces nombreux fonctionnaires à la Commission européenne, interrogé par franceinfo.
Coup d'arrêt pour leur carrière
Plongés dans l'incertitude et angoissés par leur avenir, rares sont ceux qui acceptent de témoigner. Car l'article 29 de la "réglementation du personnel" de l'UE précise qu'un fonctionnaire "est recruté à condition qu'il soit ressortissant d'un des pays membres, sauf si une exception est autorisée par les autorités qui le nomment". Certains des plus de 1 000 fonctionnaires britanniques de l'UE tentent de se rassurer en estimant que les institutions auront toujours besoin de traducteurs en anglais. D'autres évoquent les sept Norvégiens qui travaillent toujours au sein de la Commission alors qu'ils avaient été recrutés en vue de l'adhésion de leur pays à l'UE. Adhésion finalement avortée.
Félix Géradon, secrétaire général adjoint de l'Union syndicale fédérale, principale formation de fonctionnaires européens suit le dossier de près.
On se bat pour éviter des licenciements ou toute autre situation qui les priverait de leurs droits, comme les retraites.
Félix Géradon, secrétaire général adjoint de l'Union syndicale fédéraleà franceinfo
Mais une chose est sûre : le plan de carrière des fonctionnaires britanniques est stoppé net. Car depuis le vote sur le Brexit, le Royaume-Uni est devenu un "pays tiers" avec lequel l'UE va mener des négociations. Du coup, pas question de laisser un Britannique à un poste stratégique au cœur de ces tractations sensibles.
"Les hauts dirigeants vont se retrouver dans des placards, indique Félix Géradon. On ne peut pas imaginer un Britannique directeur du commerce ou des transports à la Commission en train de négocier sur ce genre de secteur stratégique avec Londres." Après dix ans passé à la Commission européenne, Peter Guilford a fondé son agence de relations publiques à Bruxelles, où il vit depuis trente ans. Aujourd'hui, il met en garde ses amis qui sont toujours fonctionnaires auprès de l'UE : "Ils n'auront jamais de postes politiques, ils auront les moins intéressants et les moins importants."
La solution de la double nationalité
Anticipant le résultat du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE, Peter Guilford s'est démené pour obtenir la nationalité belge en août. Une double nationalité qui représente "un soulagement pour ma famille et pour moi". "Beaucoup de fonctionnaires britanniques ont entamé des démarches similaires", confirme Félix Géradon, qui estime également qu'ils sont déjà "nombreux" à en bénéficier. S'ils se tournent logiquement vers la Belgique, où ils vivent, certains utilisent leur histoire personnelle : "Avec un grand-père irlandais, ça passe", glisse Peter Guilford.
Mais la démarche n'est pas aisée, la législation belge ne facilitant pas les choses. Pour obtenir cette nationalité, il faut remplir plusieurs critères : parler l’une des trois langues nationales (français, néerlandais et allemand), participer à la vie économique du pays, prouver son intégration sociale et attester sa présence sur le territoire belge depuis au moins cinq ans. Or, les fonctionnaires européens disposent d'une carte d'identité spéciale qui n'est pas considérée comme un titre de séjours par les autorités belges... L'Union syndicale fédérale suit également ce dossier et promet de la porter devant la justice si besoin.
"Pouvoir vivre et travailler où je veux"
Chris Jones envisage, malgré tout, l'option de la double nationalité, "au moins pour ma femme et mes deux enfants". Pendant deux ans, ce fonctionnaire de la Commission va vivre au rythme des négociations entre l'UE et son pays. "J'essaye de ne pas trop y penser", confie ce père de famille. A 47 ans, il souhaite conserver ses "droits d'Européen : pouvoir vivre et travailler où je veux". "Je ne peux pas imaginer que, du jour au lendemain, des millions d'Européens seraient virés du Royaume-Uni et vice-versa. Je refuse de vivre dans la crainte", martèle-t-il.
Peter Guilford affiche la même sérénité, il se sent "européen et britannique, sans aucune contradiction". "Et même si on quitte l'Union, le Royaume-Uni ne se détachera pas, il restera bien en Europe."
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