Licences de pêche post-Brexit : "Il y a eu un accord sur le dos des pêcheurs", dénonce l'ex-ministre de la pêche, Frédéric Cuvillier
Les autorités de l'île anglo-normande de Jersey ont accordé mercredi 64 licences de pêche définitives à des bateaux français, 31 provisoires mais ont refusé 75 demandes. Ces pêcheurs ne pourront donc plus travailler dans les eaux britanniques.
Cet accord Brexit "a été une très mauvaise négociation sur le volet pêche", pointe l'ex-ministre de la Pêche, Frédéric Cuvillier, alors que les licences provisoires qui permettent aux pêcheurs français d'exercer leur métier dans les eaux territoriales britanniques expirent. Londres a octroyé douze nouvelles licences sur les 87 supplémentaires que réclamait Paris.
Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a qualifié mercredi 29 septembre les décisions britanniques de "totalement inacceptables et inadmissibles". Mais c'est trop tard pour s'en "émouvoir", selon Frédéric Cuvillier. Il fallait le faire au moment des "négociations décisives", estime celui qui est aussi maire PS de Boulogne-sur-Mer, le 1er port de pêche français, et président de la communauté d’agglomération du Boulonnais.
franceinfo : Chez vous, ça concerne combien de pêcheurs qui attendent leur licence ?
Frédéric Cuvillier : Nous avons une centaine de navires qui sont concernés par la pêche dans les eaux britanniques, avec une diversité de pêches et de métiers. Nous sommes dans le constat que la négociation du Brexit a été une très mauvaise négociation sur le volet pêche. Contrairement à ce qui a été dit, tout le monde était dans l'auto-satisfaction et nous avons les conséquences neuf mois après. Cela met en péril l'activité de l'ensemble du littoral et de la place boulonnaise.
Est-ce l'accord qui est déséquilibré ou est-ce Londres qui ne respecte pas l'accord ?
Les négociateurs du Brexit, M. Barnier en tête et le gouvernement français, disaient que la pêche ne serait pas sacrifiée. Nous voyons aujourd'hui que ce n'est pas vrai. Je l'ai dit à l'époque, le 24 décembre, lorsque tout le monde semblait être content de ce dénouement après tant de coups de théâtre autour du Brexit, la pêche a été le dernier sujet traité dans le cadre de la séparation entre la Grande-Bretagne et l'Europe. Ce qui fait que nous n'avions même plus de moyens pour pouvoir peser sur les négociations face à l'intransigeance britannique et à cela, les autorités britanniques ajoutent des conditions pour l'étude de ces autorisations. Et ces conditions n'ont pas été préalablement établies et négociées.
Londres demande aux pêcheurs de fournir la preuve qu'ils avaient déjà pêché dans ces eaux là avant. Or, il n'y a pas d'antériorité de l'autre côté pour les importations de poissons anglais. Est-ce exact ?
Il y a un certain nombre de demandes de précisions techniques d'antériorité de démontrer que le navire pêchait déjà en 2015 et 2016 dans les eaux britanniques avec tel ou tel type de métiers, que les droits de pêche ont été acquis, il faut donner des preuves informatiques, des choses qui n'étaient pas du tout prévues initialement dans les accords. Et les conditions britanniques sont surabondantes par rapport à la conclusion du Brexit. En isolant la pêche comme le dernier des sujets à traiter, il y a eu un accord sur le dos des pêcheurs. Parce que tout cela a été mal négocié et chacun fait mine de découvrir que nous serions face à un blocage. Nous le savions.
Nous savions très bien que les Britanniques, demain, ne laisseraient pas les pêcheurs continuer leurs activités et que cela aurait des conséquences humaines, économiques et de territoire très grave pour le littoral français.
Frédéric Cuvillierfranceinfo
Mais aujourd'hui, on ne peut pas s'émouvoir, alors même qu'on ne l'a pas fait au moment où il y avait des négociations décisives. Nous avions suffisamment d'armes économiques diplomatiques pour dire que les intérêts économiques du littoral français devaient être préservés et que face à la volonté des Britanniques de quitter l'Europe, les intérêts de l'Europe, de la pêche ne pouvaient pas être sacrifiés.
Craignez-vous que la situation dégénère entre pêcheurs britanniques et français ?
J’ai été ministre de la Pêche et j'ai eu à négocier la nouvelle politique commune des pêches. Je sais comment il est difficile de négocier avec des partenaires tels que les Britanniques. Simplement, aujourd'hui, nous avons le fruit d'un manque de solidarité des pays européens aux côtés des pays pêcheurs de l'Europe. Le fait que la Grande-Bretagne soit dans cette forme de chantage et qu'elle prenne en otage toute l'activité européenne de la pêche ne doit pas nous laisser insensibles, et doit nous amener à avoir des réponses très fortes.
On ne peut pas sacrifier les pêcheurs. On ne peut pas sacrifier nos littoraux. La discussion est prioritairement entre l'Europe, qui doit être intransigeante, et les autorités britanniques. Ceci étant, à l'intérieur de l'Europe, il faut que les pays qu'on appelle les pays pêcheurs puissent avoir une entente qui marque cette solidarité et qui regarde dans quelle mesure le rapport de force peut être inversé.
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