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"Il est temps de partir !" : à Bruxelles, le ras-le-bol des élus et des fonctionnaires européens face au Brexit qui s'éternise

Theresa May ne parvient toujours pas à faire voter un accord sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Et le temps commence à manquer. Des fonctionnaires et des élus européens nous racontent leur lassitude.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La Première ministre britannique, Theresa May, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lors d'une conférence de presse à Strasbourg, le 11 mars 2019. (VINCENT KESSLER / REUTERS)

"Je souffre de quelque chose qui ressemble à la fatigue du Brexit... C'est un désastre." Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a résumé il y a quelques semaines le sentiment qui gagne Bruxelles et Strasbourg, rappelle Politico (en anglais). Quasiment trois ans après le début des négociations, le Brexit – initialement prévu vendredi 29 mars – est toujours dans l'impasse. Les 27 ont accordé, jeudi, un court répit à Theresa May en le repoussant a minima de deux semaines. Mais la Première ministre doit encore convaincre son Parlement d'approuver le projet d'accord de sortie de l'Union européenne négocié avec Bruxelles. Un projet déjà rejeté par deux fois.

"Tout le monde ici assiste médusé, et un peu effrayé, à ce qui se passe à Londres, note Maïa de La Baume, journaliste à Politico. Même le négociateur [Michel Barnier] en a un peu marre, confirme un fonctionnaire européen interrogé par franceinfo. Nous sommes désormais spectateurs, dans l'attente que le Royaume-Uni prenne une décision finale." Theresa May doit soumettre l'accord au vote une troisième fois avant le 29 mars, pour obtenir un report du Brexit au 22 mai. En cas d'échec, elle aura jusqu'au 12 avril pour trouver un plan B. Jusqu'ici, jamais les parlementaires britanniques ne sont parvenus à trouver un consensus.

Le président du Conseil européen Donald Tusk (de dos) discute avec le négociateur de l'UE, Michel Barnier, et le président français, Emmanuel Macron, le 25 novembre 2018, à Bruxelles (Belgique). (JOHN THYS / AFP)

"Il y a un ras-le-bol absolu, de tout le monde, dans toutes les institutions européennes impliquées dans ce processus", assure Maïa de La Baume. Selon la reporter politique, les négociateurs de l'UE "ont l'impression que les efforts qu'ils font ne donnent pas grand-chose au Royaume-Uni". "Theresa May nous a demandé, encore et encore, de donner des garanties aux députés britanniques. Et nous l'avons fait, assure un responsable européen, interrogé sous couvert d'anonymat. Le Royaume-Uni a décidé de quitter l'UE. Ce n'est pas notre responsabilité de les aider à mettre en œuvre cette décision."

Nous avons fait preuve de patience et de flexibilité. Mais notre patience a ses limites.

Un responsable européen

à franceinfo

"Nous avons épuisé toute la marge de négociation possible, tout en préservant la force de l'Union, qui est son marché unique", ajoute un fin connaisseur du dossier, qui se dit "amer". Selon cette source interrogée par franceinfo, le Brexit  "a révélé un malentendu de fond avec le Royaume-Uni". "Les Britanniques n'ont jamais intégré que l'UE est un Etat de droit, avec des règles décidées par tous, souligne-t-il. Il n'est pas possible de les mettre de côté parce que ça les arrangerait."

"Un déni de réalité" chez les Britanniques

A Bruxelles, beaucoup jugent les demandes de Londres "irréalistes", voire "irrationnelles". La Chambre des communes a rejeté le principe d'un "no deal", mais elle a également voté contre l'accord sur le Brexit, note ainsi l'eurodéputé belge Philippe Lamberts. "Il ne suffit pas de dire non à une sortie sans accord, encore faut-il proposer une solution ! s'agace l'écologiste, membre du comité de pilotage sur le Brexit au Parlement. Il y a un déni de la réalité chez les conservateurs comme chez les travaillistes, parce que les intérêts de leurs partis écrasent toutes les autres considérations." Une blague, "très appréciée par les Européens", selon Valéry Lerouge, résume cette situation. 

Ils comparent les décisions de la Chambre des communes au 'Titanic' qui voterait pour déplacer l'iceberg avant l'impact.

Valéry Lerouge, correspondant de France Télévisions à Bruxelles

à franceinfo

"Certains, au Parlement britannique, croient aux licornes, assène un responsable européen avec ironie. Ils n'ont visiblement pas encore réalisé qu'ils quittaient l'Union européenne et qu'ils doivent en tirer les conséquences." Selon lui, Londres n'a pas saisi qu'il était impossible "de partir tout en gardant les avantages" de l'UE. "Ils ne peuvent pas avoir le même poids qu'auparavant dans les discussions alors qu'ils sont désormais considérés comme une tierce partie, face au bloc des 27", poursuit-il.

Les Européens sont d'autant plus incrédules face à ce manque de réalisme que "les Britanniques sont réputés pour être d'excellents négociateurs", selon une fonctionnaire de la Commission. "Ils nous ont habitués à être clairs, précis, à être force de proposition. Mais sur le Brexit, ils sont complètement débordés, s'étonne-t-elle. Ils sont perdus parce qu'ils n'ont jamais cherché à définir ce qu'ils souhaitaient faire de leur pays après le Brexit."

"On ne sait toujours pas ce qu'ils veulent"

"Ils ont dit ce dont ils ne voulaient pas, mais on ne sait toujours pas ce qu'ils veulent", insiste Gabriele Zimmer, eurodéputée allemande membre du comité de pilotage sur le Brexit. L'élu belge Philippe Lamberts pointe également la "mauvaise stratégie de Theresa May". L'écologiste regrette qu'elle ait longtemps refusé d'organiser des "votes indicatifs à la Chambre" pour évaluer les solutions qui pourraient obtenir le soutien de ses députés. Ces derniers ont finalement adopté un amendement en ce sens, lundi 25 mars. Ils pourront s'exprimer sur la forme que doit prendre le Brexit, mercredi, lors d'une série de votes indicatifs.

Certains membres du gouvernement français s'inquiètaient depuis plusieurs semaines déjà de "l'entêtement de la Première ministre à faire revoter le même texte", rapporte Valéry Lerouge. "Ils ont l'impression qu'elle ne sait pas bien où elle va", précise le correspondant de France Télévisions à Bruxelles.

La Première ministre britannique, Theresa May, lors d'un débat sur le Brexit à la Chambre des communes (Londres, Royaume-Uni), le 12 mars 2019. (JESSICA TAYLOR / AFP)

Alors qu'elle demandait une extension de l'article 50, Theresa May a ainsi donné l'impression à ses homologues de ne "pas avoir de plan", rapporte le Guardian (article en anglais)"Peut-on lui faire confiance pour convaincre ses députés, après qu'elle les a accusés d'être responsables de cette situation de crise ?" s'inquiète encore Gabriele Zimmer. Aucun des élus ou des fonctionnaires européens interrogés par franceinfo ne croit que Theresa May parviendra à faire adopter le texte lors d'un troisième vote.

En attendant, certains dossiers "sont gelés"

Le scénario redouté du "no deal" semble donc plus probable que jamais. La Commission a d'ailleurs annoncé, lundi 25 mars, avoir terminé ses préparatifs en cas de sortie brutale du Royaume-Uni sans accord. "Nous avions tout prévu pour le 29 mars : des équipes devaient se rendre outre-Manche pour récupérer les éléments sensibles, l'accès des Britanniques à certaines bases de données devait être fermé à minuit... Nous avons juste décalé la date", détaille un responsable européen. "Tout est prêt depuis longtemps, confirme une fonctionnaire. Nous attendons uniquement de savoir quelle est la décision de Londres pour mettre en œuvre les mesures prévues."

L'attente est d'autant plus pénible pour les responsables européens que le Brexit phagocyte le reste de l'agenda. Lors du sommet du 21 mars, les dirigeants des 27 ont passé près de huit heures à débattre de la réponse à apporter à la demande de report déposée par Theresa May. Résultat, une discussion sur la relation commerciale avec la Chine a dû être reportée. 

Le Brexit a un impact énorme sur le travail quotidien de la Commission, au-delà des négociations. Il monopolise du temps, de l'énergie, des financements exorbitants...

Une source européenne

à franceinfo

Au sein de chaque direction générale de la Commission, des équipes ont été chargées d'évaluer les conséquences de chaque scénario pour l'UE. "Nous avons établi des séries de mesures de contingence en cas de 'no deal', un plan d'action si le plan est approuvé, etc., précise une fonctionnaire. Pour chaque nouveau dossier que nous traitons, nous sommes obligés de nous demander si le Brexit y changera quelque chose." Tant que le divorce avec le Royaume-Uni n'est pas acté, "certains dossiers sont gelés", révèle une autre source à franceinfo.

"Les 27 ont mis les Britanniques au pied du mur"

A Bruxelles, on se dit prêt à aller de l'avant. "Le sommet du Conseil prévu début mai à Sibiu, en Roumanie, doit être l'occasion de travailler aux sujets qui permettront de réénergiser l'Europe, relève la journaliste de Politico Maïa de La Baume. L'UE voudrait que ce soit le grand marqueur de sa renaissance." Bruxelles préférerait donc éviter un report long du Brexit, qui risquerait de perturber les élections européennes et de paralyser les institutions. 

"En laissant au Royaume-Uni jusqu'au 12 avril pour trouver un accord, les 27 ont mis les Britanniques au pied du mur", estime un fonctionnaire européen. "Si, en trois semaines, ils ne sont pas capables de se faire une idée de ce qui emporterait l'adhésion de la majorité, et de mettre cette solution au vote, à quoi sont payés ces députés ?" lâche Philippe Lamberts.

L'accord négocié avec Theresa May est le seul sur la table. Aux Britanniques de décider s'ils l'approuvent, s'ils veulent révoquer l'article 50 [qui déclenche le Brexit] ou s'ils veulent interroger à nouveau le peuple.

Philippe Lamberts, eurodéputé

à franceinfo

A Bruxelles comme à Strasbourg, on appelle désormais Londres à trancher rapidement la question. "Nous devons avancer. Il y a bien d'autres sujets qui préoccupent les 27, ces tergiversations ne peuvent pas se poursuivre durant des mois ou des années, souffle un responsable européen, exaspéré. Peu de gens ici ont envie de voir le Royaume-Uni quitter l'UnionMais si c'est vraiment ce que les Britanniques veulent, il est temps de partir."

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