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"Il est infatigable" : Steve Bray, l'homme qui braille "Stop Brexit !" devant Westminster depuis un an et demi

La presse l'a surnommé "monsieur Stop Brexit". Ce partisan du maintien au sein de l'UE campe chaque jour face au Parlement pour protester contre le résultat du référendum de 2016. "La première et la plus longue manifestation de ma vie", témoigne-t-il.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard - envoyée spéciale à Londres
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Steve Bray, plus connu sous le sobriquet de "monsieur Stop Brexit", manifeste devant le Parlement à Londres, le 26 février 2019. (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

"Arrêtez le Brexit ! Ça ne se passe pas bien, pas vrai ?" Chapeau bleu roi enfoncé sur la tête, un drapeau européen attaché sur les épaules en guise de cape, Steve Bray tourne son gigantesque porte-voix argenté vers les fenêtres du Parlement britannique. "On se réveille, Jeremy Corbyn !" tonne-t-il, dans l'espoir d'être entendu par le chef de l'opposition. Il faut au moins cela pour couvrir le brouhaha d'Abingdon Street, qui grouille de voitures, de touristes, de fonctionnaires affairés et de Londoniens pressés en cette fin de mois de février.

Depuis dix-huit mois, celui que le Guardian (en anglais) a rebaptisé "monsieur Stop Brexit" manifeste du lundi au jeudi au milieu de cette foule hétéroclite. Son but ? Mobiliser les Britanniques contre la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. 

Steve Bray devant Downing Street
Steve Bray devant Downing Street Steve Bray devant Downing Street

"Je suis devant Westminster tous les jours où les députés siègent, de 8 heures à 18 heures", assure le Gallois de 49 ans lorsque franceinfo le rencontre. Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente, Steve Bray est sur le pont. "Il m'est arrivé d'être malade ou de perdre un peu ma voix. Mais le Brexit ne s'arrête pas, alors moi non plus !" 

"J'ai décidé de m'installer ici"

Pourtant, cet auto-entrepreneur n'était "pas vraiment engagé politiquement" avant le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE. "Cette consultation était biaisée, les gens ont voté sur la base de faux postulats, assène-t-il. Il s'agit d'un changement majeur pour le pays et nous n'avons toujours pas de plan de sortie." Durant la campagne de 2016, Steve Bray a commencé à militer contre ce divorce sur les réseaux sociaux. Quitte à froisser ses proches.

J'ai coupé les ponts avec la plupart de mes amis, qui ont voté pour le 'leave'. L'un de mes plus vieux copains s'est avéré être sectaire, un autre intolérant et raciste.

Steve Bray

à franceinfo

La victoire du Brexit, plébiscité par 51,9% des votants, n'a pas douché les ardeurs de Steve Bray. Il a d'abord mené quelques "actions" chez lui, à Port Talbot, une "ville défavorisée" du sud du pays de Galles. Avant de se rendre compte que "personne ne venait au Parlement". "J'ai donc décidé de m'installer ici", raconte-t-il en montrant les bâtiments gothiques de Westminster. En septembre 2017, celui qui vit de sa passion de numismate vend une partie de sa collection de pièces. De quoi entamer "la première et la plus longue manifestation de sa vie" et tenir quelques mois à Londres.

"Sa détermination est une véritable motivation"

"Au début, j'ai passé beaucoup de temps tout seul", reconnaît Steve Bray. Les renforts sont toutefois vite arrivés. Certains "réguliers" viennent une à deux fois par semaine. D'autres profitent d'un voyage d'affaires à Londres pour venir clamer leur attachement à l'Europe. "On sait qu'on ne sera jamais seul si on vient manifester ici", souligne David Hughes, originaire de Cardiff, de passage dans la capitale pour la journée. "C'était important pour moi de venir les soutenir après le travail, même pour quelques heures seulement." Ce lundi après-midi, ils sont une douzaine à avoir fait le déplacement. "D'habitude, on est plus nombreux", se targue monsieur Stop Brexit.

David Hughes (au centre) et d'autres militants anti-Brexit se regroupent à Londres (Royaume-Uni), le 25 février 2019. (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

Et puis il y a "le noyau dur". Soit une petite dizaine de militants qui forment avec Steve Bray le Mouvement européen de désobéissance (Sodem). Plusieurs d'entre eux manifestent quotidiennement aux côtés de monsieur Stop Brexit. "Il est infatigable", s'enthousiasme Elspeth Williams, emmitouflée dans un sweat-shirt aux couleurs de l'UE. "Sa détermination est une véritable motivation", abonde Sue Harding, qui milite "à plein temps" depuis l'automne. Le programme du Sodem est intense. Chaque matin, les anti-Brexit installent leurs pancartes face à Westminster. Puis Steve Bray discute avec les passants, interpelle les parlementaires qui traversent la place, publie les vidéos de ses entretiens avec les députés et les lords sur les réseaux sociaux.

Le plus dur, c'est quand je ne parviens pas à motiver des passants ou avoir un échange intéressant à publier sur Twitter. J'ai l'impression de laisser tomber les gens.

Steve Bray

à franceinfo

A intervalles réguliers, il file à Downing Street pour porter son cri de "stop Brexit" jusqu'aux oreilles de Theresa May. La résidence de la Première ministre n'est qu'à quelques rues du Parlement. 

"Jeremy Corbyn t'a entendu, Steve !"

A la tombée de la nuit, les militants replient banderoles et drapeaux. Steve Bray les empile tant bien que mal dans sa voiture, au cours d'une "partie de Tetris quotidienne". Après un dernier "Stop Brexit !" tonitruant, l'équipée se sépare. Les manifestants les plus assidus louent une maison à proximité du Parlement. S'ils ne sont que quatre ce lundi soir, ils peuvent être une dizaine les veilles de votes importants. "En ce moment, nous sommes dans la même rue que l'European Research Group", un collectif de députés pro-Brexit, relève Sue Harding. "Un pur hasard !", promet Steve Bray. L'adresse de monsieur Stop Brexit varie selon les semaines et les disponibilités sur Airbnb. Mais vivre en plein cœur de Londres à un coût : "400 livres [environ 465 euros] par jour" lorsqu'il logeait en face du luxueux manoir du député Jacob Rees-Mogg, l'un des plus ardents défenseurs du divorce avec l'UE.

Steve Bray tente de ranger ses pancartes dans sa voiture, le 25 février 2019, à Londres (Royaume-Uni). (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

S'étonnant des moyens financiers du Sodem, certains partisans du "leave" l'accusent d'être soutenu par le milliardaire George Soros, bête noire de l'extrême droite et des complotistes. Assis dans le salon d'un confortable Airbnb de Tufton Street, Steve Bray réfute cette théorie. "Nous organisons des campagnes de levées de fonds, qui servent principalement à payer notre logement et à fabriquer banderoles et pancartes, explique-t-il. Je crois que nous avons récolté 30 000 livres [près de 35 000 euros] au total." L'argent sert aussi à fabriquer des badges et des drapeaux, vendus aux soutiens du mouvement.

On réinvestit tous les bénéfices dans du nouveau matériel car nos banderoles sont régulièrement dégradées ou volées.

Steve Bray

à franceinfo

Alors que Sue Harding s'affaire dans la cuisine, le Gallois enlève enfin son haut-de-forme. Il s'efforce de discipliner quelques épis, grommelant au sujet de "la coiffure terrible" que lui fait le couvre-chef. Groupés autour de la table, les membres du Sodem font le bilan de la journée et "rattrapent l'actu". Le Labour a annoncé en début de soirée qu'il soutiendrait un second référendum sur le Brexit. "Il faut croire que Jeremy Corbyn t'a entendu, Steve !", se réjouit Elspeth Williams, qui a quitté l'Espagne il y a cinq semaines pour venir gonfler les rangs du mouvement.

"Je ne suis pas une star, je suis juste un messager"

Selon cette quinquagénaire, le "noyau dur" du mouvement est devenu "un véritable groupe d'amis". "S'il y a une seule bonne chose qui ressort du Brexit, ce sont les gens que j'ai rencontrés", abonde Steve Bray. Célibataire durant plusieurs années, il a fait la connaissance de sa compagne "sur la place du Parlement". En charge des finances, elle fait également partie du Sodem, précise-t-il pudiquement. Avant son aventure anti-Brexit, le Gallois "passait la plupart de ses journées sur son ordinateur à chercher des pièces de monnaie".

J'étais un solitaire, mais cette campagne a changé mon regard sur les autres. Je suis devenu une meilleure personne.

Steve Bray

à franceinfo

Celui qui "n'aimait pas être pris en photo" pose désormais volontiers sur les selfies des touristes. "Je ne suis pas une star, je suis juste un messager", tempère monsieur Stop Brexit. Et tout est bon pour promouvoir son mouvement. Des drapeaux européens flottent en haut de longues perches, de façon à toujours apparaître sur les images des chaînes d'information qui couvrent Westminster. Steve Bray n'hésite pas à interrompre les directs des journalistes en hurlant "Stop Brexit".

Une stratégie média qui lui permet d'être "présent à l'écran jusqu'à 20 minutes certains jours". Et qui irrite inévitablement certains reporters. "En privé, je crois que beaucoup approuvent son engagement, glisse un cameraman britannique à franceinfo. Il fait désormais partie du paysage, même si c'est toujours pénible d'être interrompus par l'un de ses cris." "Je n'aime pas faire ça, mais les bénéfices dépassent largement les tensions que cela peut créer avec les journalistes, se défend Steve Bray. Si je ne peux pas être vu, alors je dois être entendu.

"Le Brexit n'aura pas lieu, je vous le garantis"

Sans surprise, monsieur Stop Brexit agace également les partisans du "leave" qui manifestent, eux aussi, devant Westminster. Le Sodem se réveille avant 6 heures afin d'arriver avant la faction adverse et de disposer un maximum de banderoles sur les grilles de la place. "Les 'leavers' doivent se contenter des petits trous", raille Steve Bray. Ce matin du mardi 26 février, le Gallois s'invite au milieu des quelques militants pro-Brexit, tentant de masquer leurs slogans avec sa pancarte. "Stoppez le Brexit !", crie-t-il aux passants. "Il ne supporte pas de ne pas être le centre de l'attention, persifle une supportrice du "leave". Pourquoi est-ce qu'on n'a pas le droit d'exprimer notre opinion ? C'est un tel manque de tolérance !"

Steve Bray tente de masquer les pancartes des manifestants pro-Brexit, le 26 février 2019, à Londres (Royaume-Uni). (MARIE-VIOLETTE BERNARD / FRANCEINFO)

Les relations entre les deux groupes sont néanmoins "pacifiques", selon Robert Wright, un militant pro-Brexit. "Il n'y a jamais eu d'altercation physique. Parfois on joue un peu des coudes pour montrer nos banderoles, mais je crois que ça fait partie du jeu", explique le comptable à la retraite. Même lorsqu'un passant l'alpague pour critiquer sa campagne, monsieur Stop Brexit répond avec une calme ironie. Robert Wright poursuit : "Je n'ai aucun problème avec Steve, au contraire !"

A force d'irriter les gens en criant tout le temps, il est devenu notre meilleur atout.

Robert Wright

à franceinfo

Le Gallois s'inquiète peu d'agacer les "leavers". Il se moque également de la rumeur qui court dans le camp adverse, selon laquelle il utiliserait un faux nom (même s'il montre volontiers sa carte de sécurité sociale pour prouver son identité). "Ils ne comprennent pas que quelqu'un puisse être ici tous les jours pour défendre cette cause, balaie-t-il nonchalamment. Sortir de l'UE serait pourtant une véritable catastrophe." Steve Bray continuera donc à donner de la voix tant que le divorce entre Londres et Bruxelles ne sera pas annulé. Et si le Brexit entre en vigueur comme prévu, le 29 mars prochain ? "Port Talbot ne me manque pas. J'adore la capitale, alors quoi qu'il arrive je pense que je m'installerai ici, confie-t-il. Mais ne vous inquiétez pas ! Le Brexit n'aura pas lieu, je vous le garantis."

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