Entreprises, touristes ou expatriés français : voici ce qu'un Brexit sans accord changerait à votre quotidien
Le rejet de l'accord sur le Brexit par les députés britanniques fait planer la menace du "no deal". Quelles seraient les conséquences pour la France ? Eléments de réponse.
Le temps est compté : Londres, dans l'impasse après le rejet du projet d'accord sur le Brexit par le Parlement, n'a plus que neuf semaines pour trouver un plan B. Sans cela, le Royaume-Uni quittera l'Union européenne de façon "désordonnée" et sans accord, le 29 mars à minuit (heure de Bruxelles). Edouard Philippe a annoncé, jeudi 17 janvier, le déclenchement d'un plan pour faire face à ce scénario catastrophe. L'objectif de cette série de cinq ordonnances, selon le Premier ministre : "Faire en sorte qu'il n'y ait pas d'interruption de droits et que les droits de nos concitoyens ou de nos entreprises soient effectivement protégés." Quelles seraient les conséquences d'un "hard Brexit" sur votre quotidien ? Voici une liste non-exhaustive.
Des pertes et de la paperasse pour les entreprises
L'accord négocié par Theresa May laissait le temps aux 27 pays membres de l'UE et au Royaume-Uni de négocier de nouveaux accords commerciaux et douaniers. Mais en cas de "no deal", les échanges entre l'île et le continent seraient encadrés par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Des taxes seraient alors mises en place sur les biens importés depuis le Royaume-Uni. "En moyenne faibles (de l'ordre de 3%), ces taxes à l'importation peuvent être très élevées dans certains secteurs (13% en moyenne dans l'agriculture par exemple, et près de 40% pour les produits laitiers)", précise Vincent Vicard, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales.
Selon les estimations de l'assureur-crédit Euler Hermes, ce scénario se solderait par une perte de 3 milliards d'euros d'exportations pour la France en 2019, rapporte La Tribune. "Les secteurs les plus affectés seraient l'automobile (378 millions d'euros de pertes d'exportations de biens en 2019), les machines et équipements (324 millions d'euros), l'électronique (177 millions d'euros), l'aéronautique (160 millions d'euros) et les boissons (157 millions d'euros)", détaille un communiqué cité par le quotidien.
Comme le rappelle BFMTV, les entreprises auraient également de nouvelles formalités à remplir : déclarer leurs marchandises, les faire homologuer à nouveau, s'adapter aux classifications de produits de l'OMC ou encore demander l'agrément de la future autorité britannique du médicament pour tous les traitements exportés outre-Manche. Les organisations patronales et le gouvernement se sont inquiétées du manque de préparation des entreprises françaises face à ces nouvelles obligations, note Le Monde. En effet, beaucoup d'entre elles espéraient que le Brexit entrerait en vigueur en douceur, avec un accord. Selon le quotidien, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) les appelle désormais à "vérifier le plus rapidement possible l'origine des produits alimentant leur chaîne d’approvisionnement", à "protéger leurs marques, dessins et modèles auprès de l'IPO [Intellectual Property Office]" et à faire transférer en France les autorisations et les certificats établis au Royaume-Uni.
Des embouteillages monstres pour les transporteurs routiers
Les formalités supplémentaires vont particulièrement affecter les transporteurs routiers. Quelque 4,2 millions de camions traversent la Manche chaque année selon Le Temps, qui précise que la route représente 70% des échanges commerciaux entre la France et le Royaume-Uni. Ces importations et exportations sont pour l'instant soumises à une procédure douanière simplifiée, qui réduit la durée des contrôles de marchandises à la frontière. En cas de "no deal", les contrôles seraient toutefois renforcés.
"Le retour des douanes, c'est notre principale préoccupation, explique Isabelle Maître, déléguée permanente de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) à Bruxelles. Depuis 1993 et le marché unique, il y a la libre-circulation des personnes et des biens. Aujourd'hui, on devrait donc à nouveau s'occuper d'import-export, de déclarations douanières et donc recruter des personnes qualifiées en la matière." Plus longs, les contrôles douaniers et sanitaires des camions provoqueraient jusqu'à 27 kilomètres d'embouteillages à l'entrée du port de Calais.
Le gouvernement français a annoncé 50 millions d'euros d'investissement pour adapter les infrastructures à ces procédures (notamment en construisant de gigantesques parkings où les camions pourront patienter). "Six cents recrutements seront réalisés dans les semaines qui viennent (...), il s'agit d'emplois de douaniers, de contrôleurs vétérinaires, de toute une série d'agents de l'Etat, qui vont permettre, là encore, d'être à la hauteur des enjeux, d'être à la hauteur des contrôles nécessaires", a ajouté Edouard Philippe.
Des pêcheurs français peut-être obligés d'aller chercher leur poisson ailleurs
Autre secteur durement affecté par un éventuel "no deal" : la pêche. L'accord négocié par Theresa May prévoyait une période de transition de 21 mois, "créant les conditions adéquates et nécessaires à la définition d'un accord de pêche et de libre-échange", résume le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) cité par Le Figaro. Mais, en cas de Brexit dur, les flottes françaises risquent de ne plus avoir le droit de jeter leurs filets dans les vastes eaux territoriales britanniques. Or, les prises des pêcheurs du nord de la France, notamment des Hauts-de-France, dépendent parfois à 50% de l'accès aux eaux britanniques, précise le quotidien. La situation est la même en Bretagne. Quelque 150 équipages pourraient ansi se trouver en difficulté dans la région, estime France 3 Bretagne.
Ce scénario obligerait en outre les pêcheurs à reporter leurs quotas sur d'autres secteurs, comme dans le golfe de Gascogne ou en Bretagne. "Si tous les bateaux qui travaillent en zone britannique viennent travailler dans nos zones, on va tous ramener le même poisson pendant une période, s'inquiète un pêcheur breton. Donc les cours vont chuter et les ressources s'épuiser." Edouard Philippe a expliqué qu'une réflexion était en cours sur l'accompagnement à apporter aux pêcheurs français en cas de "no deal". Les conclusions devraient être dévoilées courant février.
Des voyages perturbés et des frais supplémentaires pour les touristes
Le premier effet visible du "no deal" pour les touristes français ? Les vols annulés ou perturbés. Dès le 30 mars, "tous les accords de circulations, réglementations communes et licences d'opérations [deviendraient] caduques", explique L'Express. En clair, les compagnies aériennes britanniques (Easyjet, British Airways...) n'auraient plus accès au ciel européen et ne pourraient plus atterrir dans les aéroports des pays membres. Idem pour les compagnies continentales, comme Air France, qui n'auraient plus le droit de se rendre au Royaume-Uni.
Pour éviter un tel chaos, la Commission européenne a d'ores et déjà annoncé que les compagnies conserveraient leurs autorisations de vol durant un an en cas de "no deal", rapporte Le Figaro. Les compagnies britanniques n'auraient en revanche plus le droit d'effectuer d'escale sur le territoire européen, car l'objectif de cette mesure est d'assurer "uniquement la connectivité de base". Le trafic aérien pourrait toutefois être très perturbé, selon Londres, qui a encouragé ses ressortissants à prendre des billets échangeables ou des assurances.
Selon le Daily Mirror (en anglais), des précautions doivent également être prises pour l'Eurostar. La compagnie britannique n'aurait en théorie plus le droit d'opérer en France en cas de "no deal". Là encore, l'UE et le gouvernement français ont pris des mesures pour éviter un tel scénario catastrophe, mais le trafic pourrait néanmoins être perturbé. Selon un rapport commandé par la commission Transports de l'Assemblée et cité par Les Echos, un Brexit dur "affecterait négativement la compétitivité d'Eurostar, et sa capacité à opérer d'un point de vue pratique et économique".
Par ailleurs, les Français en voyage outre-Manche devront faire attention à leur facture de téléphone. Actuellement, la réglementation permet aux résidents de l'UE d'utiliser leurs portables (que ce soit pour appeler, envoyer des SMS ou surfer sur internet) dans tous les pays membres, sans payer de frais supplémentaires. Ce ne serait plus le cas si le Brexit était brutal. "Pour les habitants du littoral frontalier, à Calais notamment, dont le téléphone se met régulièrement sur le réseau anglais, la facture pourrait rapidement grimper", note France 3 Hauts-de-France. Les touristes tricolores auraient également des frais bancaires supplémentaires, en cas de séjour au Royaume-Uni, et verraient leurs transactions bancaires ralenties.
Une procédure pour éviter aux expatriés français d'être en situation irrégulière
Quelque 300 000 Français résident outre-Manche. Selon un sondage OpinionWay publié en novembre, 62% d'entre eux comptaient rester au Royaume-Uni après le Brexit. Mais en cas de "no deal", les règles migratoires actuelles deviendraient caduques. Pour éviter que des millions d'expatriés européens ne se retrouvent en situation irrégulière, le Royaume-Uni a lancé, lundi 21 janvier, une application mobile permettant de demander le statut de résident permanent. "L'application, uniquement accessible sur Android pour le moment, permet à l'utilisateur de prendre en photo son passeport biométrique et son visage pour confirmer son identité", expliquent Les Echos. Le demandeur doit ensuite renseigner son adresse, sa situation fiscale et des informations sur son casier judiciaire, "une lourde condamnation pouvant aboutir à un rejet de la demande".
La procédure de "settled status", c'est-à-dire de résident permanent, était initialement prévue dans le cadre de l'accord rejeté par le Parlement britannique et ouverte aux citoyens européens arrivés avant fin 2020. Le gouvernement s'est toutefois engagé à maintenir le processus d'enregistrement lancé lundi en cas de "no deal". Mais dans ce cas de figure, seuls les expatriés installés au Royaume-Uni avant le 29 mars pourront faire leur demande, d'ici le 31 décembre 2020. "Dans ces circonstances, ceux qui auront déjà le [statut de résident permanent] auront un avantage", assure au Monde le fondateur du groupe The 3 Million, Nicolas Hatton, qui représente les Européens du Royaume-Uni.
Un délai pour les ressortissants britanniques qui souhaitent rester en France
Et pour les ressortissants britanniques installés dans l'Hexagone ? "Si nous ne faisions rien, [ils] seraient en situation irrégulière au 30 mars, rappelle la ministre des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, dans les colonnes de L'Obs. Il est évidemment hors de question de les mettre dans cette situation de fragilité." Dans le cadre de son plan sur le "no deal", le gouvernement doit adopter une ordonnance permettant aux ressortissants britanniques de "continuer de résider en France sans titre de séjour" pendant un an.
Cela leur donnerait le temps de régulariser leur situation après la perte de leur statut de citoyen de l'Union européenne. Cette mesure serait adoptée à condition que le même délai soit accordé par le Royaume-Uni aux 300 000 Français vivant sur son territoire. Les droits sociaux dont bénéficient les Britanniques, par exemple pour la retraite ou le chômage, seraient également préservés. Là encore, Paris espère "un niveau équivalent côté britannique".
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