L'Angle éco. L’Irlande et l’Islande, laboratoires de sortie de crise
Avec une croissance encore faible, la reprise reste incertaine en France. Nos voisins européens ont tous fait mieux que nous au deuxième trimestre 2015, affichant une croissance parfois bien plus élevée. Deux pays en particulier se démarquent : l’Irlande et l’Islande. Revenus de loin, ils sont érigés comme modèles de sortie de crise. Faudrait-il s’en inspirer ?
Reprise ou re-crise ? François Lenglet et l'équipe de "L'Angle éco" se posent la question le lundi 5 octobre. Si en France, certains chiffres témoignent d'une relative embellie économique, pourrait-on s'inspirer de deux pays qui semblent quant à eux sortis de la crise, l'Irlande et l'Islande ?
Les chiffres le prouvent, la reprise est désormais bien engagée en Europe. Tous les pays de la zone euro – et de l’Union européenne – affichent un PIB en croissance, selon Eurostat. Tous, ou presque. En Europe, seule la France affiche une croissance nulle au deuxième trimestre 2015, après un premier trimestre à 0,7%.
Un pays sort néanmoins du lot, loin devant les autres. Avec 1,9% de croissance entre avril et juin, l’Irlande est la meilleure élève de l’Union européenne. A ce rythme, le gouvernement irlandais prévoit une croissance du PIB avoisinant 6% en 2015. Le Tigre celtique a déjà connu une croissance de 4,8% en 2014. Rares sont ceux qui affichent une reprise aussi vigoureuse. Avec 4,2% de croissance du PIB prévue en 2015, et 3,3% rien qu’au deuxième trimestre, l’Islande fait aussi partie de ces pays décrits comme “modèles” de la sortie de crise.
Faut-il pour autant s’en inspirer ? Les deux pays, parmi les plus durement frappés par la crise mondiale de 2008, reviennent de loin. Mais leur économie, encore fragile, repose aussi sur des spécificités nationales et une conjoncture mondiale favorable.
Un “miracle” irlandais encore incertain
Le Tigre celtique connaissait une situation économique des plus favorables avant la crise. Son taux de chômage, longtemps l’un des plus bas de la zone euro, oscillait autour de 4,5%, soit une situation de plein emploi. Quant à son taux de croissance, il dépassait facilement les 5% entre 2005 et 2006. Mais dès 2007, l’Irlande est frappée par une première crise : la bulle immobilière, gonflée depuis la fin des années 1990, éclate. Les banques irlandaises, moteur de cette bulle, sont frappées de plein fouet par la crise mondiale qui s'ensuit.
Alors que l’économie irlandaise est la première de la zone euro à entrer en récession, l’Etat se porte garant des banques, acceptant d’assumer les pertes du secteur. Le déficit public explose. Il atteint 13,9% du PIB en 2009 et 32,5% en 2010. Fin 2010, l’Irlande n’a d’autre choix que d’accepter le plan de sauvetage de l’Union européenne et du FMI, d’une valeur de 85 milliards d’euros. Dublin doit alors financer 17,5 milliards d’euros d’aides aux banques, en plus de l’argent public déjà versé pour les maintenir à flot.
Le Tigre irlandais doit se plier à un plan de rigueur
En parallèle, les autorités adoptent un plan de rigueur drastique de quatre ans, qui prévoit 10 milliards d’euros d’économies et 5 milliards de revenus supplémentaires. La population fait face à une baisse du salaire minimum et des allocations familiales, à une hausse de la TVA et de l’âge de départ à la retraite. Au total, l’Irlande subit 30 milliards d’euros d’économies en six ans.
Ces mesures portent leurs fruits. En décembre 2013, l’Irlande devient le premier pays de la zone euro à sortir du plan de sauvetage de l’UE et du FMI. Le FMI salue l’application “sans relâche” des réformes budgétaires de Dublin. Le déficit public se rapproche de la limite européenne : de 5,8% du PIB en 2013, il chute à 4,1% en 2014. La croissance retrouve son niveau d’avant-crise, et le taux de chômage continue sa descente engagée depuis début 2012. Il est même passé sous le seuil de 10% au printemps.
Comment expliquer cette reprise si forte ? Le pays n’a pas hésité à lancer un “choc de compétitivité”, baissant les salaires non seulement dans la fonction publique, mais aussi dans le privé.
Certains ménages ont vu leurs salaires reculer de 10% à 15%. L’Irlande a également bénéficié des atouts qui ont fait sa réputation de “tigre celtique” avant la crise : un impôt sur les sociétés très faible, de 12,5% – attirant des géants comme Google et Facebook –, une main-d’œuvre qualifiée, mais surtout un très fort niveau d’exportations. L’économie irlandaise, fortement dépendante de la conjoncture mondiale mais moins dépendante des pays de la zone euro, a ainsi été portée rapidement par la reprise mondiale. Les exportations représentent aujourd’hui plus de 100% du PIB.
Cependant, le “modèle” de reprise irlandais reste à nuancer. Le chômage recule, mais reste élevé, notamment chez les moins de 25 ans. L’Irlande a aussi vu ses actifs partir les uns après les autres : pendant la crise, le pays est passé du plus fort taux d’immigration d’Europe au taux d’émigration le plus élevé. Près de 400 000 personnes sont parties en six ans, en quête de meilleures perspectives économiques. Et le poids des dettes privées reste très fort pour de nombreux Irlandais. Pour eux, la crise se ressent encore au quotidien.
Islande, le choix du non-conformisme
L'Islande est l’exemple à part, aux antipodes des politiques menées dans bien d’autres pays pour faire face à la crise. Certes, le pays n’étant pas membre de la zone euro, ses politiques seraient difficilement applicables dans d’autres circonstances. Elles se sont pourtant avérées particulièrement efficaces. L’Islande affiche aujourd’hui une reprise des plus dynamiques, alors qu’elle était le premier pays frappé par la crise de 2008.
L’économiste américain Paul Krugman résume bien l’exemple islandais. “Là où tous les autres sauvaient les banquiers et laissaient le peuple payer le prix, l’Islande a laissé ses banques s’effondrer et a augmenté son filet social”, écrivait-il dans une chronique pour le New York Times en 2011. “Là où tous les autres s’obstinaient à calmer les investisseurs internationaux, l’Islande a imposé des contrôles provisoires aux mouvements des capitaux pour se donner des marges de manœuvre.”
Cette politique, l’Islande l’a choisie dès le début de la crise, en octobre 2008. Alors que ses trois principales banques sont en cessation de paiement, le pays les laisse faire faillite avant de les nationaliser. Leur poids aurait été bien trop lourd à porter. En cinq ans, le système bancaire islandais, bénéficiant d’afflux massifs de capitaux, était devenu plus de dix fois plus important que le PIB du pays. L’Etat garantit alors uniquement les dépôts des Islandais. En refusant de rembourser les épargnants étrangers de la banque en ligne Icesave, l’Islande crée un différend majeur avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
Les autorités font aussi le choix de contrôler les capitaux, pour éviter les sorties d’argent du pays. Le gouvernement lance une politique de dévaluation de la couronne islandaise, entraînant un taux d’inflation de 12% en 2009. Pour Peter Dohlman, en charge du suivi de l’Islande au FMI, cette dévaluation “a permis à l’Islande de maintenir sa compétitivité, et de recentrer son économie autour des secteurs tournés vers l’export”.
L'Etat-providence islandais ne disparaît pas
Bien sûr, l’Islande n’échappe aux politiques de rigueur budgétaire. Le pays obtient 2,1 milliards de dollars d’aide de la part du FMI, qu’il rembourse dès 2012. En parallèle, les dépenses publiques reculent fortement : de 55,4% du PIB en 2008 à 44,2% en 2013. Les salaires réels reculent de 11% entre 2007 et 2010, selon le New York Times. Mais le gouvernement s’engage à maintenir l'Etat-providence malgré l’austérité.
Il met en place un impôt sur le revenu progressif et un impôt sur la fortune, et redirige les aides sociales vers les plus modestes. Les coupes dans le budget de la santé sont “50% moindres que dans les autres secteurs, celles dans l’éducation 25% moindres”, explique Pascal Riché dans son livre Comment l’Islande a vaincu la crise : reportage dans le labo de l’Europe (éd. Versilio-Rue89). Les dettes des ménages sont également allégées.
Aujourd’hui, l’Islande est bel et bien sortie de la crise. L’OCDE prévoit une croissance supérieure à 3% en 2015. Son taux de chômage était de 4,2% en juin dernier, et les salaires réels ont progressé de près de 5% entre 2013 et 2014. La dévaluation de la couronne a quant à elle permis de doper les exportations. Le tourisme islandais est en plein boom : 800 000 personnes ont visité l’Islande en 2013, 60% de plus qu’en 2008.
Mais des questions restent en suspens. Le 8 mai, le Premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson a annoncé la levée prochaine du contrôle des capitaux. Prévue en avril 2016, celle-ci n’est pas sans risques. La couronne islandaise se verrait fortement déstabilisée par une sortie massive de capitaux. Le contrôle a également découragé les investissements, en chute de 36,5% depuis 2008 selon La Tribune. La sortie de crise islandaise restera-t-elle un modèle une fois ce contrôle levé ?
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.