Législatives : "C'est vraiment un enjeu existentiel", selon Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie

En cas de victoire du parti Rêve géorgien prorusse le mois prochain, Salomé Zourabichvili craint "une répression à l'égard de l'opposition et de la société civile"
Article rédigé par franceinfo
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La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili au Sommet sur la paix en Ukraine, le 15 juin 2024, en Suisse. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"C'est vraiment un enjeu existentiel", selon Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie, vendredi 27 septembre à franceinfo alors que les élections législatives du 26 octobre sont un virage déterminant pour cette ancienne République soviétique du Caucase. La population de 4 millions d'habitants est tiraillée entre une attirance vers l'Europe et un désir de d'influence russe symbolisé par le parti au pouvoir Le Rêve géorgien : "Aujourd'hui, la population géorgienne a compris que le Rêve géorgien n'est pas un rêve, qu'il est un cauchemar", explique la présidente. La Géorgie a obtenu l'an dernier le statut de pays candidat à l'intégration dans l'Union européenne, mais la politique du pouvoir calquée sur celle du Kremlin a des parfums de dérive autoritaire. 

Franceinfo : Quel est le choix qui se présente pour les Géorgiens le 26 octobre ?

Salomé Zourabichvili : C'est le choix qu'a fait la Géorgie depuis son indépendance en 1991 et c'est un choix qu'elle a confirmé pratiquement sans cesse depuis 30 ans pour dire qu'elle voulait être européenne à 80% de la population. Ce pourcentage n'a pas changé, même quand la Russie a fait pression de façon très forte, y compris par la guerre, par l'occupation des territoires qui sont toujours occupés aujourd'hui. Jamais la population s'est dit 'faisons copain-copain avec les Russes et ça ira mieux, on récupérera les territoires'... Parce qu'il n'y a pas cette confiance. On a tout le passé pour savoir comment la Russie s'est comportée de tout temps avec la Géorgie. Aujourd'hui, la population géorgienne a compris que le Rêve géorgien n'est pas un rêve, qu'il est un cauchemar et que ce gouvernement qui est arrivé en inscrivant dans la Constitution l'orientation européenne euroatlantique, a en réalité ou fait volte-face ou a été dès le début, mais de façon prudente, de façon cachée, pro-russe.

Vous ne l'avez pas vu venir ?

Pas du tout ! Pas au départ, en tout cas. Puis progressivement, oui. Surtout, les choses se sont accélérées au moment de la guerre en Ukraine et depuis que l'Europe nous a donné le statut de candidat en décembre dernier. Depuis lors, les autorités se sont lancées dans des attaques en règle qui avaient commencé contre les ambassadeurs américains, puis européens en Géorgie, et puis des critiques contre le deuxième front que soi-disant nos partenaires européens ou américains voulaient ouvrir en Géorgie. Depuis le début de l'année, c'est "nos amis d'hier sont nos ennemis", la Russie est devenue le pays avec lequel on est complaisant. C'est très intéressant de voir que le Premier ministre à la tribune des Nations unies à l'Assemblée générale n'a pas mentionné le mot Russie, alors que nous avons 20% de nos territoires qui sont occupés.

Vous n'avez pas eu le pouvoir d'empêcher les dérives autoritaires de votre pays ?

J'avais un pouvoir qui est essentiellement un pouvoir de parole. C'est une institution qui n'a pas effectivement de moyens. Même mon véto est un véto symbolique puisqu'il peut être renversé par une majorité au Parlement qui existe aujourd'hui en faveur du parti au pouvoir. Mais ça a été un rôle très important pour mobiliser la population, lui faire comprendre ce qui est en train d'arriver.

"Aujourd'hui, j'ai le drapeau européen et j'ai réussi à fédérer en quelque sorte les quatre principaux partis d'opposition qui ont maintenant tous signé la charte géorgienne qui est en réalité notre plan d'action pour retrouver la voie européenne".

Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie,

à franceinfo

C'est de cette façon maintenant que les quatre partis vont aux élections et représentent une majorité qui peut battre le Rêve géorgien. Séparément, ils ne peuvent pas. Ensemble, ils peuvent.

Si le Rêve géorgien gagne les élections, la Géorgie peut dire adieu à l'Union européenne ?

En politique, on ne peut jamais dire que c'est un adieu définitif. Mais c'est effectivement de ne pas pouvoir prendre aujourd'hui cette chance historique que nous a offerte l'Ukraine dans sa tragédie, qui est l'accélération du processus d'intégration européenne que nous avions commencé depuis longtemps, qui a progressé, qui nous a valu d'obtenir la libéralisation des visas, l'accord d'association et beaucoup, beaucoup de choses. Tout ça peut se terminer. C'est ce que nous disent maintenant de plus en plus clairement les Européens et les Américains avec un régime de sanctions qui sont en train de mettre en place. Je viens pour voir mes collègues européens pour être sûre que quand on aura bien voté et qu'on aura obtenu le régime qu'il nous faut, on aura l'accélération du retour à la voie européenne.

Que craignez-vous en cas de victoire du Rêve géorgien ?

Je crains tout ! D'abord, ça va être une répression qui est annoncée publiquement par Monsieur Ivanichvili [l'oligarque multimilliardaire Bidzina Ivanichvili], qui est le vrai leader du Rêve géorgien, dans ses discours électoraux. C'est une répression à l'égard de l'opposition et de la société civile. C'est le modèle russe, ce sont les oligarques. On a une loi qui est passée un peu inaperçue, mais qui est une loi off-shore, qui est là pour faire de la Géorgie un refuge pour les oligarques russes qui pourraient être sanctionnés ou qui sont déjà sanctionnés. On deviendra une société à la russe sous le joug et le contrôle complet. Donc, adieu à l'indépendance, adieu à la liberté, adieu à tous les acquis de ce long processus depuis l'indépendance de la Géorgie en 1930. C'est vraiment un enjeu existentiel.

Qu'attendez-vous des Européens ?

Ce que j'attends, c'est la confirmation du fait que nous avons une voie qui est ouverte et que nous pouvons reprendre. La population ne doit pas avoir peur, elle ne doit pas rester à la maison. Notre diaspora doit être très active, même si on lui donne très peu de moyens. C'est essentiel et c'est un demi-million de jeunes qui votent pour la première fois, qui ont manifesté dans les rues de Tbilissi et que nous avons tous vus sur nos écrans et qui vont aller voter et qui eux sont libres dans leur tête parce que c'est la génération qui est née depuis l'indépendance sur laquelle les moyens et les méthodes russes ne fonctionnent plus.

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