Cinq questions sur les élections législatives en Géorgie, cruciales pour l'avenir européen et démocratique du pays

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants éclairent un drapeau de l'UE lors d'un rassemblement organisé le 20 octobre 2024 à Tbilissi, une semaine avant des élections cruciales pour l'avenir de la Géorgie. (VANO SHLAMOV / AFP)
Le parti Rêve géorgien, au pouvoir depuis douze ans, a développé un discours anti-occidental et voté des lois inspirées du voisin russe, au point de faire dérailler le récent processus d'adhésion à l'UE. L'opposition avance en ordre dispersé, mais un gouvernement de coalition est possible, en cas de victoire.

Quel avenir pour la Géorgie ? Des dizaines de milliers de manifestants pro-européens se sont rassemblés dans la capitale Tbilissi, dimanche, une semaine avant des élections législatives cruciales pour l'avenir démocratique du pays. Quelque 3,5 millions d'électeurs sont appelés dans les bureaux de vote, samedi 26 octobre, pour élire les 150 membres du Parlement, dans un scrutin considéré comme l'un des plus importants dans le pays depuis la chute de l'URSS.

Une nouvelle victoire du parti Rêve géorgien aurait de lourdes conséquences pour la vie politique dans le pays. Le gouvernement a d'ores et déjà annoncé qu'il interdirait les partis d'opposition pro-occidentaux s'il obtenait une majorité constitutionnelle (113 élus) pour faire adopter cette mesure. Ce qui ouvrirait la voie à un parti unique.

1 Qui est actuellement au pouvoir ?

Cet Etat du Caucase est dirigé depuis douze ans par le parti Rêve géorgien, fondé par l'oligarque Bidzina Ivanichvili. Ce dernier a fait fortune en Russie, après la chute de l'URSS, avant de revenir en Géorgie au début des années 2000. Son patrimoine est estimé par Forbes à près de 5 milliards de dollars, autant que le cinquième du PIB du pays. Insaisissable et discret, il a fait bâtir une immense demeure de verre et d'acier sur l'une des collines surplombant la capitale.

Bidzina Ivanichvili n'a jamais été élu. A 68 ans, et sans même occuper de fonction gouvernementale, il tient en sous-main les rênes du pouvoir. Ephémère Premier ministre, entre 2012 et 2013, il est parvenu, au fil des ans, à placer ses proches à la tête des institutions de l'Etat et de l'appareil sécuritaire, selon des travaux de l'ONG Transparency International.

L'oligarque Bidzina Ivanichvili, homme fort du pays (au centre), avec à ses côtés le président du parti Rêve géorgien, Irakli Garibachvili (à gauche), et le Premier ministre, Irakli Kobakhidze (à droite), le 29 avril 2024 à Tbilissi (Géorgie). (DAVIT KACHKACHISHVILI / AGENCE ANADOLU VIA AFP)

Les représentants de Rêve géorgien reprennent régulièrement à leur compte les éléments de langage pour dénoncer les pays occidentaux. Président honoraire du parti, Bidzina Ivanichvili avait déjà évoqué une alternative "entre l'esclavage et la liberté, la soumission aux puissances étrangères et la souveraineté, entre la guerre et la paix", lors d'un rare discours prononcé le 29 avril. Il s'est de nouveau exprimé lundi, lors d'un entretien télévisé, ce qui montre l'importance que revêt à ses yeux le scrutin.

2 Ce parti est-il ouvertement pro-russe ?

L'objectif d'une adhésion à l'Union européenne est inscrit dans la Constitution du pays et près de 80% des Géorgiens interrogés y sont favorables. Rêve géorgien, officiellement, soutient ce processus, au point d'arborer le drapeau étoilé durant sa campagne. Mais depuis deux ans, le vent semble avoir tourné et dans les faits, la formation donne l'impression de vouloir faire dérailler ce projet. "Nous avons un quasi-référendum sur le choix entre l'Europe ou le retour à un passé incertain russe", résumait début octobre l'actuelle présidente Salomé Zourabichvili, dans un entretien à l'AFP.

Les députés de la majorité, notamment, ont adopté deux textes importants cette année, tous deux inspirés de lois en vigueur en Russie pour museler l'opposition et la société civile. La "loi sur les agents de l'étranger", tout d'abord, utilisée depuis des années par Moscou pour réprimer les voix dissidentes. Celle-ci impose un contrôle étroit des autorités sur les ONG et les médias indépendants, ainsi qu'une forme de chantage financier. En réponse, fin juin, Bruxelles a officiellement suspendu la procédure d'adhésion de la Géorgie à l'UE. Trois mois plus tard, les élus de Rêve géorgien ont remis le couvert avec une loi pour interdire la "propagande LGBT". Comme en Russie, là encore.

Une affiche électorale de Rêve géorgien mêle le logo du parti et les étoiles de l'UE, le 13 octobre 2024 à Tbilissi. A droite, une image d'église détruite en Ukraine, accompagnée du slogan "Dites non à la guerre, choisissez la paix". (MAURIZIO ORLANDO / HANS LUCAS / AFP)

La Géorgie a déjà connu deux attaques de son voisin, avec lequel elle partage 1 000 kilomètres de frontière. Elle a perdu le contrôle de l'Abkhazie en 1993, après une guerre marquée par l'appui militaire de Moscou aux séparatistes locaux. Plus récemment, en 2008, elle a dû céder l'Ossétie du Sud, après une invasion déclenchée par Vladimir Poutine. Tbilissi a toujours l'interdiction de déployer l'armée le long de la ligne de démarcation, constellée de bases militaires russes.

Malgré ces événements passés, les représentants de Rêve géorgien n'ont jamais condamné l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes quand elle a été lancée par le Kremlin. Mieux, ils y voient une forme d'avertissement. Le Premier ministre, Irakli Kobakhidzé, espère que "la majorité des Géorgiens voteront pour le Rêve géorgien, de façon à empêcher l''Ukrainisation'" de leur pays. Et Bidzina Ivanichvili qualifie désormais l'Occident de "parti mondial de la guerre" et la Géorgie, de victime, traitée comme de la "chair à canon".

3 L'opposition a-t-elle une chance ?

L'opposition géorgienne a longtemps pâti de ses divisions, laissant les coudées franches à Rêve géorgien. Cette fois, quatre alliances semblent en passe de recueillir plus de 5% des voix, le seuil requis pour décrocher des sièges dans ce scrutin organisé pour la première fois à la proportionnelle intégrale.

La première alliance, emmenée par le Mouvement national uni (MNU), rival historique de Rêve géorgien, est en perte d'influence, et son fondateur, l'ancien président Mikheïl Saakachvili, est toujours emprisonné. La Coalition pour le changement, ensuite, est emmenée par plusieurs partis lancés par d'anciens responsables du MNU. Géorgie forte est portée par le parti Lelo de l'ancien banquier Mamuka Khazaradze. Celui-ci aurait pu faire équipe avec l'ancien Premier ministre Giorgi Gakharia, mais les deux hommes se sont disputés. Le second cherche à s'imposer comme une alternative au duel historique entre le MNU et Rêve géorgien, dont il compte plusieurs dissidents.

L'homme d'affaires Mamuka Khazaradze, l'un des fondateurs du parti Lelo, lors d'une manifestation à Tbilissi (Géorgie), le 20 septembre 2023. (DAVIT KACHKACHISHVILI / ANADOLU AGENCY VIA AFP)

Aucune des quatre coalitions n'est en mesure de battre seule Rêve géorgien. Et plusieurs sondages donnent des résultats très différents, selon la couleur politique du média qui les a commandés.

Toutes les quatre ont signé la Charte géorgienne imaginée par la présidente Salomé Zourabichvili, ancienne protégée de Bidzina Ivanichvili mais aujourd'hui farouche adversaire du gouvernement. Le rôle de la dirigeante est essentiellement symbolique, puisque le Premier ministre concentre la plupart des pouvoirs exécutifs. Ces derniers mois, elle s'est efforcée de redonner un semblant d'unité à l'opposition, en vue du scrutin. En cas de victoire, la constitution d'un gouvernement de coalition ferait l'objet d'âpres discussions entre les quatre alliances d'opposition.

4 Dans quel climat s'est déroulée la campagne électorale ?

Rêve géorgien a mené une campagne offensive contre les leaders de l'opposition, n'hésitant pas à les représenter tenus en laisse sur ses affiches de campagne. La formation au pouvoir a placardé des affiches présentant des paysages détruits de l'Ukraine, assurant que le même sort attend la Géorgie en cas de victoire des coalitions d'opposition. Trois médias d'opposition ont refusé de diffuser les clips de la formation au pouvoir, jugeant qu'elle instrumentalisait la guerre en Ukraine pour intimider les électeurs. En retour, la chaîne progouvernementale Imedi a annoncé qu'elle cesserait de diffuser les clips de campagne des partis d'opposition.

Des dizaines de milliers de manifestants pro-européens se sont rassemblés dimanche à Tbilissi, notamment sur la place de la Liberté, avec des drapeaux de la Géorgie et de l'UE. Après l'adoption de la loi sur les "agents de l'étranger", en mai, d'importantes manifestations avaient déjà agité les rues de Tbilissi, le long de cortèges animés notamment par la jeunesse. Dans la foulée, la capitale avait été le théâtre d'une campagne d'appels téléphoniques anonymes ciblant les manifestants et leurs proches. Certains leaders avaient été tabassés par des hommes cagoulés, les "titouchkis", et d'autres avaient fait l'objet de campagnes d'affichage hostiles ou de tags. Une vidéo d'hommes encagoulés pointant des lasers a fait surface après la manifestation de dimanche.

Une affiche du parti au pouvoir Rêve géorgien représente les leaders de l'opposition avec des laisses, avec le slogan suivant : "Non à la guerre, non aux agents de l'étranger". (MAURIZIO ORLANDO / HANS LUCAS VIA AFP)

Rêve géorgien, à son tour, a appelé à un large rassemblement sur la place de la Liberté pour un dernier meeting mercredi soir, et la veille du scrutin a été déclarée jour férié par le gouvernement.

Dans ce contexte tendu, Bloomberg dit avoir consulté des documents prouvant que le renseignement russe a lancé une opération d'espionnage à grande échelle contre la Géorgie, entre 2017 et 2020. Celle-ci lui a notamment permis d'accéder à des sites institutionnels et privés, dans le domaine des télécommunications et de l'énergie, selon cette enquête publiée lundi.

5 Comment réagissent l'UE et la Russie ?

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, s'est récemment inquiété du "glissement" de la Géorgie "vers l'autoritarisme", qualifiant le scrutin de samedi de "test crucial". Une "chose doit être claire", ont également réaffirmé dans un courrier les ministres des Affaires étrangères de 13 Etats membres de l'UE, dont la France : "La Géorgie ne pourra pas devenir membre de l'Union européenne, à moins que le gouvernement géorgien ne change de cap."

Enfin, l'ambassadeur de l'UE en Géorgie, Pawel Herczynski, a exprimé ses regrets, estimant que les relations entre l'Europe et la Géorgie étaient au plus bas. "J'ai l'impression que ces derniers mois, nous assistons à une compétition entre les hauts fonctionnaires du gouvernement géorgien et du parti au pouvoir pour savoir qui peut le plus critiquer et insulter l'UE." Le diplomate a ajouté qu'il s'en remettait au travail des observateurs internationaux pour juger de la probité du scrutin.

La Russie considère que ce pays, comme la Moldavie et l'Ukraine, fait partie de sa sphère d'influence immédiate, d'autant que la Géorgie occupe une place stratégique dans le Caucase. Elle verrait donc d'un bon œil la victoire de Rêve géorgien et la mise au pas de l'opposition. En septembre, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a même émis l'hypothèse d'une normalisation des relations en Abkhazie et en Ossétie du Sud, en cas de victoire de Rêve géorgien. Ce qui entrouvrirait la porte à un retrait des troupes russes. En attendant, le Kremlin a accusé les Occidentaux d'ingérence dans les élections, qui font l'objet, une nouvelle fois, d'une bataille idéologique.

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