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Un jeu de rôle dans les Ardennes belges confondu avec un entraînement jihadiste

Un article belge sur un potentiel camp d'entraînement de candidats au jihad dans une forêt a fait le tour du monde. Mais il s'agissait, en fait, d'une partie d'airsoft, un jeu où les participants simulent une guerre avec des armes factices. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Hamza (au centre de la photo) entouré des joueurs avec lesquels il a participé à une partie d'airsoft, le 28 septembre 2014 à Villers-la-ville (Belgique).  (DR / FRANCETV INFO)

"Je suis musulman, mais je ne suis pas du tout un aspirant jihadiste. Je n'ai jamais participé à un entraînement jihadiste dans les Ardennes." Joint par francetv info, mardi 7 octobre, Hamza est catégorique. Depuis vendredi, ce Belge de 22 ans est obligé de marteler ce démenti. Le jeune homme chétif aux cernes creusées apparaît, en effet, au premier plan de photos accompagnant un article de Nieuwsblad (en flamand), selon lequel des candidats au jihad s'entraîneraient dans les Ardennes belges.

Récupérés sur Facebook, ces clichés sont présentés comme un bon après-midi "entre frères" par Abd Al Wadoud Abu Daoud [dont le profil a été supprimé depuis], un adolescent décrit par les médias belges comme ayant des prises de positions islamistes radicales. Le journal les accompagne d'un commentaire d'une source policière : "C'est inquiétant et ça ne ressemble en rien à une partie de paintball, ça ressemble à un entraînement radical."

Photo récupérée sur Facebook et diffusée le 3 octobre 2014 par les medias belges, au sujet d'un "entraînement jihadiste dans les Ardennes". (FACEBOOK/ FRANCETV INFO)

"Les uniformes les plus réalistes possibles"

En fait de camp jihadiste, il s'agissait d'une partie d'airsoft, un jeu où deux équipes s'affrontent à l'aide de répliques d'armes de guerre qui tirent des billes en plastique biodégradable. Et la rencontre n'était pas organisée dans les Ardennes, mais à Villers-la-Ville, dans le Brabant wallon, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Bruxelles. "Contrairement au paintball, le but du airsoft est justement d'avoir les uniformes les plus réalistes possibles", explique Hamza. En quatre années de pratique dominicale, il a parfois vu des joueurs venir en djellaba, mais jamais en tenue de jihadiste. Et d'ajouter : "Parfois, on simule un affrontement entre l'URSS et les Etats-Unis, ou bien entre la France et la Chine. Là, c'était thème libre, et moi, j'étais en 'guerriero'."   

(Capture d'écran de la conversation "d'invitation Facebook" entre Hamza et l'organisateur de la partie / FRANCETV INFO) 

S'il reconnaît avoir fait du "covoiturage" avec Abd Al Wadoud Abu Daoud pour se rendre sur le lieu de la partie du jour, Hamza affirme ne rien connaître de ses liens supposés avec des combattants en Syrie. "C'était la troisième fois qu'on se voyait, il ne me contacte que pour participer à des parties, détaille-t-il. Il découvrait l'airsoft et nos discussions se limitaient à ça."

"Des mecs sympas, courtois, respectueux"

"Il y avait de tout, des mecs d'origine italienne, des Français, et ces quatre types d'origine maghrébine", abonde "Rambo-Tattoo", l'organisateur du jeu, qui inaugurait son terrain. Il est encore "sur le cul". "Ils étaient super sympas, courtois, corrects, respectueux, ils ont rigolé avec nous, débite ce quadragénaire bourru. Je n'ai rien entendu, pas de 'Allah' ni rien. De toute façon, je n'aurais pas admis ça."

"Fair-play, bonne humeur, ponctualité, aucun discours politique ni religieux ne sont tolérés sous peine de bannissement", la même punition que pour toutes tricheries détectées, indiquent d'ailleurs les règles du jeu publiées sur la page de l'évènement (montage ci-dessous)

"Vous savez, je suis marié, j’ai un enfant, je travaille. Quand je fais de l’airsoft, c’est le dimanche, pour décompresser de la semaine, pour avoir une activité physique. Pas pour faire la guerre", témoigne un autre des quelque 40 participants à l'évènement, retrouvé par Sudinfo.be.

D'autres messages de soutiens, que francetv info a pu consulter, affluent sur le compte Facebook d'Hamza, qui s'est réveillé avec une cinquantaine d'appels sur son téléphone après la publication de l'article. Reconnaissable sur plusieurs clichés, il craint surtout pour son emploi dans une société de sécurité. "Quand je suis arrivé chez le client vendredi [3 octobre], il m'a dit de rentrer chez moi, qu'il ne voulait plus me voir, relate ce videur encore en période d'essai. Depuis, je suis en 'stand by', sans aucune nouvelle de mon employeur."  Le jeune homme a déposé plainte contre le journal Nieuwsblad, avec l'aide de l'association Muslim's rights Belgium.  

"Tous les policiers ont été surpris par cet article"

Pour autant, Pieter Huyberechts, l'auteur de l'article, maintient son information. "J'ai encore reçu un message de confirmation hier. La police d'Anvers a ouvert une enquête pour savoir si des jihadistes radicaux ne se cachent pas derrière ces jeunes qui jouent à l'airsoft", insiste-t-il tout en reconnaissant avoir pu se tromper sur l'indication géographique de son article. Contactés par francetv info, police locale, police fédérale et parquet fédéral nient de leur côté l'ouverture d'une telle enquête. 

"C'est vrai que les photos sont relativement impressionnantes, ça ressemble à de vraies armes de guerre. Mais nous, on n'a pas d'enquête", confie un membre des forces de l'ordre. "Tous les policiers de la province ont été surpris par cet article, glisse un enquêteur fédéral. Il y a eu des rumeurs de camps d'entraînement d'extrême-droite dans les années 1980, mais s'il y a des camps de jihadistes, on n'est jamais tombés dessus."

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