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Dans les coulisses d'un sommet de l'Union européenne

De la photo de famille à 17 heures jusqu’au communiqué final, francetv info raconte ce qui se passe dans les couloirs du bâtiment Justus Lipsius à Bruxelles.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
François Hollande et Angela Merkel à Bruxelles, pour le sommet européen, le 22 novembre 2012. (BERTRAND LANGLOIS/AP/SIPA)

UNION EUROPEENNE - "Un sommet européen ne tombe pas du ciel", prévient d’emblée un diplomate allemand rompu à l’organisation des réunions de chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (UE). Alors que les 27 planchent, jeudi 22 et vendredi 23 novembre, sur le budget pluriannuel de l'Union à Bruxelles, francetv info s'est intéressé aux coulisses de ces rendez-vous. De la photo de famille à 17 heures au dîner qui vient revigorer les négociateurs vers 20h30 jusqu’au communiqué final, petit parcours du haut fonctionnaire.

 Les négociations officielles à huis clos

C’est un sanctuaire ultragardé. Seuls les "très très VIP avec un badge rouge", dixit un diplomate français interviewé par francetv info, y ont accès. Les autres peuvent atteindre "le dernier couloir","l'étage mais pas le couloir", etc. selon des cercles concentriques et des déclinaisons de cartes magnétiques colorées. La salle 50.1 du bâtiment "Justus Lipsius", face au siège de la Commission européenne, à Bruxelles (Belgique), accueille depuis 1995 les sommets des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE. Ils entrent dans l'édifice par une porte à l’arrière, "une sorte de quai de débarquement 'dépose-minute' censé  faciliter la ronde des voitures officielles", rapporte Le Monde diplomatique.

 

Le bâtiment Justus Lipsius, qui abrite la salle 50.1 où se réunissent en sommet les chefs d'Etat de l'Union européenne ainsi que les bureaux des 27 délégations qui travaillent en coulisses, à Bruxelles (Belgique).  (SIPA)

Contrairement aux réunions classiques de hauts fonctionnaires, les tables y sont organisées en "formation rapprochée, pour faciliter le contact", décrit le diplomate français. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen siège à une extrémité. En face : le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Entre eux, les chefs d'Etat assis dans l'ordre dans lequel ils ont occupé la présidence tournante de l’UE : la France entre la Slovénie et la République tchèque, l’Allemagne après la Finlande et avant le Portugal... Les chefs d'Etat et de gouvernement entament alors leurs discussions dans un huis clos parfait.

Seuls quelques membres du secrétariat général de l'Union européenne, des hauts fonctionnaires de Bruxelles, peuvent rester dans ce saint des saints. Et un ou deux membres par délégation ont l’autorisation d’y pénétrer. Il s'agit la plupart du temps du chef du protocole, chargé d’apporter les notes au président, et du conseiller du dirigeant le plus en phase avec le thème discuté. "En cas de besoin, le président peut appuyer sur un bouton qui appelle quelqu'un dans la salle d'à côté", précise une source diplomatique française basée à Bruxelles à francetv info.   

Les "antici" et la délégation en alerte

Au même étage, dans une salle à part, se trouvent les 27 antici (prononcez "antitchi"), du nom de Paolo Antici, un délégué italien initiateur du procédé. Un par pays, ce sont les bras droits des ambassadeurs de chaque pays auprès de l’Union européenne. Ils attendent. Toutes les une à deux heures, selon l’avancée des discussions, une personne du secrétariat de l'Union européenne vient les débriefer sur ce qu'il s'est dit dans la salle 50.1.

Très rapidement, ils rédigent une note sur une feuille vierge, blanche, sans en-tête ni signe distinctif, comme les notes des services secrets, et la transmettent à leur délégation respective. Celle-ci, cantonnée deux étages plus haut sans possibilité de savoir ce qu'il se passe, travaille quasi à l’aveugle. "Il peut se passer des choses à tout moment, avec ce système, il y a un décalage dans le temps, on est mis au courant après coup de ce dont les chefs d'Etat ont discuté", décrypte un habitué des sommets du genre à francetv info. Et d'ajouter : "Le grand jeu des sommets de chefs d’Etat, c’est d’essayer d’anticiper, de savoir ce qui s’est passé, où ils en sont, ce qui va se passer, comment être utile, de qui ils vont avoir besoin." "Depuis un an, on surveille beaucoup les tweets", confie-t-il tout en expliquant que "les pays nordiques, et Van Rompuy lui-même racontent certaines décisions sur Twitter avant même que les antici soient briefés".

La batterie d’experts dispose d’un espace fonctionnel "tout ce qu'il y a de plus banal", selon un conseiller élyséen : un secrétariat, un bureau du président, dans lequel il reçoit pour ses entretiens bilatéraux, une salle de réunion modèle réduit, une autre un peu plus grande, des batteries d’ordinateurs "ultramodernes" mais aussi, canapés, télé, frigo et quelques plantes vertes. Le tout vitré avec vue dégagée sur la ville. Ils y mènent des négociations bilatérales parallèles, précisent des points techniques au gré des demandes du chef de l'Etat et restent en alerte. 

La chancelière allemande, Angela Merkel, et le Premier ministre grec, Antonis Samaras, en réunion bilatérale dans la salle de la délégation grecque, le 19 octobre 2012 à Bruxelles (Belgique).  (REUTERS)

La course dans les couloirs

"On a des idées, on travaille sur des formulations précises, on cherche le compromis, le consensus", spécifie à francetv info un diplomate allemand haut placé qui insiste sur toutes ces réunions plus ou moins informelles qui occupent la délégation en plus des négociations au plus haut niveau.

Et il ne faut pas se rater. "La circulation est compliquée, le cauchemar du délégué c’est de ne pas être au bon endroit au moment où on l’attend", livre l’un d’entre eux à francetv info. D’une part, en temps de sommet de chefs d'Etat, quatre des six ascenseurs rouges flamboyants leur sont réservés - ce qui n’a pas empêché à un chef de gouvernement de rester coincé 25 minutes lors du sommet de juin -, "donc il faut se débrouiller pour ne pas rester à l’attendre dix minutes".  D’autre part, les contrôles de sécurité sont légion : "un premier check-point à la sortie de l’ascenseur, et au moins trois ou quatre autres jusqu’à la fameuse salle 50.1", relate le diplomate français, qui d'ailleurs "n’a pas pu aller jusqu’au bout du parcours". Et d’ajouter, avec visiblement quelques souvenirs en tête : "Si vous êtes coincé à un contrôle de sécurité alors qu’on vous attend à une réunion technique, ben vous servez à rien."

La nuit blanche 

Vers 20h30, les chefs d'Etat ou de gouvernement sont invités à dîner, tout en continuant les discussions. Dans la salle, "ce n’est pas très somptueux, ce n’est pas le château de Versailles", précise le haut fonctionnaire allemand. Ils calent leur dossier entre les assiettes et s’installent toujours dans le même ordre protocolaire. Un dîner pour leur sherpa, leur principal conseiller diplomatique, est organisé dans la salle attenante. "Il faut qu'ils restent tout près, au cas où", précise l’émissaire français interviewé par francetv info.

Mais parce que le sommet sur le budget pluriannuel s’annonçait particulièrement ardu à négocier, les chefs d'Etat ont dîné, jeudi, "exceptionnellement en salle 50.1". "Une assiette froide", pronostiquait-on côté allemand. En général, le reste des équipes grignote, au choix, dans les bureaux de la délégation ou dans le restaurant du bâtiment. Même là, "on ne négocie pas mais on continue à discuter, à se parler entre délégations, ça aide beaucoup", relève le conseiller allemand.

Régulièrement, le ballet s’éternise dans la nuit. Et même quand les chefs d'Etat et de gouvernement rejoignent leur hôtel, le secrétariat général travaille sur le projet et l’actualise en fonction de ce qui a été dit. Dès que c’est fait, les conseillers de chaque pays prennent le relais pour commenter, préparer des notes à destination du chef d'Etat afin qu'il reprenne les discussions sur les bonnes bases. "On dort au mieux deux-trois heures par sommet", confirme le conseiller diplomatique allemand, qui sourit : "Mais ça fait partie du jeu !"

Quand un point fait enfin l'objet d'un accord, la balle passe dans le camp des hauts fonctionnaires, qui s'attèlent à la rédaction finale des conclusions. Elles seront présentées en conférence de presse à l'issue du marathon que près de 1 000 journalistes auront suivi. 

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