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Charlie Hebdo: réactions contrastées au Pakistan

Les autorités pakistanaises ont «condamné l’attaque terroriste brutale de Paris» et présenté leurs condoléances au «peuple français». De son côté, la presse en anglais du pays consultable en ligne, publie des analyses très contrastées sur la situation en France.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un policier monte la garde devant le Parlement pakistanais à Islamabad le 6 janvier 2015. (AFP - Aamir Qureshi)
«Nous sommes confiants que la communauté internationale continuera de se montrer ferme contre le terrorisme et traduira les coupables d'actes terroristes devant la justice», a souligné le ministère des Affaires étrangères à Islamabad le 8 janvier 2015. Et ce alors que le pays reste choqué par une attaque qui a fait 150 morts en décembre dans une école de Peshawar (nord-ouest), dont 134 enfants.

Dans le même temps, une soixantaine de personnes ont manifesté le 13 janvier 2014 dans la ville pour rendre hommage aux tueurs de Paris. «De petite envergure, cette manifestation témoigne néanmoins de la colère suscitée par les caricatures de Mahomet au Pakistan, pays où la loi controversée sur le blasphème prévoit jusqu'à la peine de mort pour quiconque insulte le prophète de l'islam», a commenté l'AFP.
 
Concernant la couverture des évènements parisiens, les journaux pakistanais en anglais et consultables en ligne se contentent de reprendre des dépêches d’agence AFP ou Reuters. Mais les commentaires sur ces évènements sont plus nombreux. Ils surprennent par la variété de leurs opinions. 
 
«Comment on attise le feu»
L’éditorial de The Nation, en date du 12 janvier, est un modèle d’ambivalence. Son titre: «Comment on attise le feu» («Fanning The Fire»). Le journal met en parallèle l’incendie volontaire (il n’y a pas eu de blessé) dans les locaux du Hamburger Morgenpost à Hambourg (Allemagne) et l’attaque meurtrière contre le magazine satirique français. «Les mots sont superflus, et les dessins de Charlie Hebdo étaient superflus. Mais nous devons (…) montrer au monde que les vies ne le sont pas».

Pour autant, à Hambourg comme à Paris, «la provocation (engendrée par les caricatures, NDLR) a provoqué un retour de flamme». «Les extrémistes conservateurs n’ont aucune considération pour notre liberté d’expression, ou pour une caricature. La haine transcende l’image», poursuit l’éditorialiste qui ne porte visiblement pas Charlie dans son cœur.

Le chef des talibans pakistanais, Hakimullah Mehsud (tué par un drone américain en novembre 2013) avec certains de ses hommes le 5 octobre 2009 (photo tirée d'un reportage télévisé) (Reuters - Reuters TV)

Ces fanatiques ont pour stratégie de «dresser l’Occident contre l’islam. Cette stratégie fonctionne et ceux qui reproduisent les caricatures jouent leur jeu». «Il va sans dire que nous devons condamner l’incendie volontaire» de Hambourg. En clair, The Nation ne condamne pas explicitement l’attaque contre Charlie.
 
Pour cette source, «le contenu des caricatures n’est pas en cause. Du moins, pas vraiment. Charlie Hebdo a un petit tirage. Son genre de satire est très français, et c’est un magazine qui occupe un créneau bien particulier. Il a toujours été provocateur, quelle que soit la religion ou la politique qu’il insulte. Mais maintenant, il est connu dans le monde entier». Sous-entendu à cause de l’action d’extrémistes qui existent ailleurs «comme le néo-nazisme ou le Klu Klux Klan aux Etats-Unis». Des extrémistes qui contribuent «à isoler les musulmans quel que soit l’endroit où ils vivent».  

«Attaque contre la liberté d’expression»
D’autres journaux condamnent, eux, sans retenue l’attaque contre Charlie Hebdo. A commencer par le journal chrétien Pakistan Christian Post pour qui les assassinats de Paris s’inscrivent «dans une guerre mondiale contre (…) tous les libertés et les droits humains». «Ceux qui mènent des actions terroristes et soutiennent une telle activité terroriste s’attaquent à nos droits humains universels», poursuit le site chrétien.
 
Les commentaires les plus critiques viennent de blogs publiés sur le site de Dawn, plus ancien journal du pays en langue anglaise et rédigés par des Pakistanais… vivant à l’étranger. Le premier est signé de Suleman Akhtar, étudiant ingénieur qui vit en Suède. Il constate qu’à Paris, les assassinats islamistes ont visé une ville qui, traditionnellement, a toujours accueilli «des intellectuels, des artistes et des activistes» obligés de fuir les persécutions. De ce point de vue, «l’attaque contre Charlie Hebdo a largement été perçue comme une attaque contre la liberté d’expression».
 
L’auteur fait le parallèle avec une autre attaque contre des chiites qui s’est produite le 31 décembre à Ibb (centre du Yémen), qui a fait 49 morts. Une attaque dont on a peu parlé, selon lui. Les victimes étaient rassemblées pour une cérémonie marquant le Mouled, l’anniversaire du prophète Mohammad. Un anniversaire célébré dans tout le monde misulman, du Caire à Jakarta (Indonésie). Mais pour les extrémistes, ce rite est incompatible avec l’islam.
 
Des proches des élèves tués dans l'attaque contre une école de Peshawar, gérée par l'armée, pleurent leurs morts le 23 décembre 2014.  (AFP - A Majeed)

«Idéologie fanatique»
A Paris comme à Ibb, les attaques ont tué «au nom du Prophète». A chaque fois, il s’agissait d’une agression contre «des valeurs chers aux croyants». Et à chaque fois, «la même idéologie fanatique est à l’œuvre». «Pour autant, faire l’amalgame entre les actions de quelques-uns, et l’ensemble d’une confession et de ses pratiquants est du pur sectarisme. Mais on ne peut pas nier que ces terroristes invoquent des éléments religieux pour justifier leurs actes. Effacer d’un revers de manche cette dangereuse réalité en déclarant péremptoirement qu’ils ne peuvent pas être musulmans, revient à fermer les yeux sur ladite réalité», écrit Suleman Akhtar.

Second blog : celui de l’universitaire Murtaza Haider, qui vit au Canada. «L’attaque contre la liberté d’expression (à Paris, NDLR) va sans doute être douloureuse pour les Français qui incarnent le slogan ‘‘Liberté, égalité, fraternité’’». Une attaque qui, rappelons-le, a fait 12 morts. «Une semaine plus tôt, la Fédération internationale des journalistes nous apprenait que le Pakistan est le pays le plus dangereux pour les journalistes : 14 d’entre eux y ont perdu la vie en 2014».
 
Pour le commentateur, «tuer au nom de celui (le Prophète en l’occurrence, NDLR) qui pardonnait à ses pires ennemis est peu logique».

Murtaza Haider ajoute : «Les massacres de Peshawar et de Paris, les attentats quotidiens au Yemen, en Syrie et en Irak doivent contribuer à l’émergence, dans les sociétés musulmanes, d’un islam tolérant et indulgent. Des sociétés où la majorité de la population a besoin de se débarrasser de ses silences, et refuser haut et fort que l’on tue au nom de l’islam».
 
Les commentaires qui suivent l’article de l’universitaire vont dans le même sens. «La société musulmane a besoin de gens comme vous, avec des idées rationnelles et du bon sens commun», explique l’un d’entre eux. Reste à savoir par qui ont vraiment été rédigés ces commentaires : des étrangers ou des Pakistanais? Et si ces derniers sont vraiment représentatifs de leurs compatriotes, ou juste d’une frange «éclairée» de la population pakistanaise? 

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