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Chalutage en eau profonde : le Parlement européen ne dit pas non

Le Parlement européen a décidé de continuer à autoriser la pêche au chalut dans les eaux profondes. Une technique de pêche contestée par de nombreux scientifiques et les écologistes. Le texte voté au Parlement européen promet de mieux surveiller cette pêche mais sans prendre de décision définitive.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Extrait de la bande dessinée de Pénélope Bagieu en faveur de la pétition demandant la fin du chalutage en eau profonde http://www.penelope-jolicoeur.com  (Pénélope Bagieu)

Ils ont pour noms plie du Canada, sébaste doré, sébaste du Nord, flétan de l’Atlantique, flétan noir, grenadier de roche, empereur, sabre noir ou lingue. Ces poissons tapissent le fond des océans et sont apparus sur les étals des poissonniers il y a quelques années. Ils sont en général pêchés grâce à d'énormes chaluts qui raclent le fond des océans, jusqu'à 1.500 mètres de fond.

Cette pêche est critiquée depuis de nombreuses années par les écologistes et scientifiques spécialistes en ressource halieutique.

L'Europe ayant entre ses mains la réglementation des affaires de pêche, le Parlement européen avait son mot à dire sur cette pratique. Et justement, les élus européens ont rejeté le 10 décembre 2013 la proposition d'interdiction du chalutage en eaux profondes à l'issue d'un vote serré, par 342 voix contre 326. Ils se sont cependant mis d'accord sur un compromis, qui devrait éviter cette pêche dans de nouvelles zones. 

Les grosses entreprises qui pratiquent cette pêche (on les trouve surtout en Espagne, en France et au Portugal) ont immédiatement exprimé leur satisfaction. Ainsi en France, la Scapêche (enseigne Intermarché) s'est «félicitée du vote du Parlement européen contre l'interdiction du chalutage en eau profonde».

Autre son de cloche du côté des écologistes. A l'origine d'une vaste mobilisation anti-chalutage en France à la tête de son association Bloom, Claire Nouvian a dénoncé une «victoire du lobbying acharné des industriels». Chez Greenpeace, qui soutenait aussi cette demande d'interdiction, on s'est évidemment dit «choqués mais pas surpris par ce nouvel échec politique». Greenpeace a immédiatement regretté la décision des eurodéputés : «Une nouvelle fois, les décideurs politiques ont été incapables d’impulser un changement de modèle qui garantirait un avenir aux professionnels du secteur. Monsieur Cuvillier, ministre des Pêches, a en particulier déployé une énergie démesurée pour défendre le chalutage profond, modèle de pêche sans avenir, impliquant la destruction de la ressource.»

Le poisson empereur  vit dans tous les océans entre 900 et 1 800 m de profondeur. Il a une longévité potentielle d'au moins 149 ans et il n'atteint sa maturité sexuelle qu'entre 20 et 30 ans (FRED TANNEAU / AFP)

Une menace pour l'emploi ?
Les arguments en faveur de cette pêche au chalut en eau profonde ont notamment porté sur l'emploi. «C'est la victoire de la raison», le Parlement européen a choisi l'option «garantissant la préservation à la fois de l'environnement et des emplois», a expliqué la socialiste française Isabelle Thomas (élue de la région ouest et secrétaire du PS à la pêche). Même argument du côté gouvernemental puisque, selon Frédéric Cuvillier, le ministre français de la Pêche, une telle décision aurait pu menacer quelque 500 emplois. 

D’après les estimations de Greenpeace, «les flottes de chalutage de fond opérant dans l’Atlantique Nord généraient entre 5.653 et 9.722 emplois directs (en mer) et indirects (sur terre). Cependant, les 2.261 emplois en mer du chalutage ne représentent que 5,94% de l’ensemble des emplois en mer du secteur de la pêche espagnol – alors que la pêche artisanale (bateaux de moins de 12 mètres de long) représente 28,35 % des emplois en mer et près de 80 % de la flotte de pêche espagnole».

Prudence des industriels
Pourtant, malgré l'échec du vote, le débat parlementaire, et la pression des mouvements écologistes, a semble-t-il permis de faire avancer le débat. Et ce sont les industriels qui annoncent vouloir faire évoluer les choses. C'est ainsi que l'entreprise française, Scapêche, qui pratique cette pêche, a annoncé une évolution de ses pratiques. «Dans l’attente d’avis scientifiques indiscutables et partagés par toutes les parties prenantes, y compris par les ONG, nous nous engageons à tout mettre en œuvre pour ne pas cibler systématiquement les espèces de grands fonds. Celles-ci pourront cependant figurer parmi les prises accessoires, mais les espèces d’eau profonde ne seront plus ciblées. La Scapêche va mettre à profit la période probatoire de cinq ans votée par les députés européens pour réorienter ses activités vers d’autres espèces», a indiqué la société.

Une décision dont s'est félicité Greenpeace. «Nous espérons que la Scapêche mettra autant d’énergie à réorienter ses pratiques vers une pêche réellement durable qu’elle en a mis à défendre le maintien du chalutage profond», souligne Hélène Bourges. Greenpeace prend acte de la «main tendue aux ONG qu’offre la Scapêche. Nous sommes ouverts au dialogue avec cet industriel, mais attendons des gestes concrets de sa part.»

Des grands distributeurs alimentaires ont déjà été sensibles aux campagnes dénonçant cette pêche. Le groupe Carrefour a ainsi annoncé qu'il arrêterait progressivement la commercialisation des poissons issus de la pêche en eaux profondes, imitant la décision de Casino qui assure que ces poissons ne seront plus vendus dès 2014.


Une pêche dangereuse ?
«Les chalutiers de fond sèment la destruction dans ces oasis des fonds marins. Ils traînent d’immenses filets, équipés de panneaux et de rouleaux qui surmontent tous les obstacles, "ratissent" des habitats fragiles et raflent tout sur leur passage», écrit Greenpeace dans un document qui dénonce les dangers de cette pêche. «Outre la destruction de l’habitat, le chalutage de fond décime également un grand nombre de poissons et autres organismes. Lorsqu’un bateau remonte ses filets, ceux-ci peuvent contenir des prises accessoires. On estime qu’en moyenne, entre 30 et 60% des prises sont purement et simplement rejetés à la mer», ajoute l'organisation.

En 2006, 1.452 océanologues issus de 69 pays avaient signé une déclaration pour exprimer leur profonde inquiétude : «Les activités humaines, et en particulier le chalutage de fond, provoquent des dégâts sans précédent sur les populations de coraux et de spongiaires des grands fonds, qui évoluent sur les plateformes ou les pentes continentales ou dans les monts sous-marins et les dorsales océaniques.»

Une bande dessinée signée Pénélope Bagieu en faveur de la campagne contre la pêche dans les abysses avait largement popularisé la campagne de Bloom, signée par plus de 700.000 personnes.

Cette campagne n'a pas permis de convaincre le parlement européen. Mais le vote du 10 décembre n'était cependant qu'une étape, puisqu'en vertu du principe de la codécision, le conseil des ministres européen doit aussi donner sa position sur cette question. Une nouvelle possibilité de sauver les abysses pourrait alors émerger.

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