Cet article date de plus de huit ans.

Bulgarie: procès de Roms musulmans accusés d'aider des djihadistes

Le procès de 14 personnes accusées de propagande en faveur de l'organisation Etat islamique (EI) et d'aide logistique à des djihadistes européens, s'est ouvert à Pazardjik (centre) le 25 février 2016. La plupart d’entre elles appartiennent à la communauté rom. Pays orthodoxe, la Bulgarie est l’Etat membre de l’UE qui compte, proportionnellement, la plus importante minorité musulmane.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des Roms musulmans bulgares, avant l'ouverture de leur procès, dans une salle d'audience du tribunal de Pazardjik le 25 février 2016 (AFP - DIMITAR DILKOFF)

Les prévenus, 13 hommes, tous barbus, et une femme encourent huit ans de prison. Trois d'entre eux doivent répondre de soutien logistique, en 2013 et 2014, à quatre jihadistes de passage. La Bulgarie est considérée comme un pays de transit privilégié pour les candidats européens au djihad optant pour la voie terrestre pour rejoindre la Syrie et l'Irak.
 
Les prévenus, originaires pour la plupart de la minorité rom, sont également accusés d'avoir arboré des drapeaux noirs et des teeshirts avec les symboles de l'EI. On leur reproche aussi d'avoir scandé des chants djihadistes en public.

Leur chef de file, Ahmed Moussa Ahmed, 40 ans, imam autoproclamé du quartier rom de Pazardjik, a déjà été condamné à deux reprises pour propagande islamiste. Ce chrétien converti compte «plusieurs centaines d'adeptes» à travers la Bulgarie, selon l'accusation. Il aurait introduit le port du niqab dans le pays, en 2013.
 
Selon la procureure Nedialka Popova, Ahmed Moussa Ahmed et ses lieutenants appelaient les musulmans bulgares à être «prêts pour la guerre» et diffusaient des images d'exécutions de l'EI sur internet. Mais selon l’avocat de la défense, Vassil Guetchev, les prévenus n'avaient aucune visée illégale et les symboles utilisés sont «liés à l'islam en général».

Déjà en 2012…
Ce n’est pas la première fois que la justice du pays s’intéresse aux activités islamistes. En 2012, 13 dignitaires musulmans bulgares (imams, muftis et enseignants), dont la plupart avaient fait des études en Arabie saoudite et en Jordanie, avaient déjà comparu devant le tribunal de Pazardjik. Ils étaient accusés de «propagation d'idéologie salafiste visant à imposer le califat». Et soupçonnés d'appartenir à une organisation saoudienne qui aurait eu des liens avec al-Qaïda.
 
Les faits n'ayant pas été prouvés, seul un imam autoproclamé du ghetto rom de Pazardjik avait été condamné à deux ans de prison.
 
Islam de tradition ottomane
Les autorités bulgares sont particulièrement vigilantes à la pénétration en Bulgarie de l'idéologie salafiste. Laquelle diffère de l'islam modéré traditionnellement pratiqué par la minorité musulmane du pays. L’adjoint au Mufti général de Bulgarie expliquait en 2012 à l’AFP que l’on relève un conflit de génération chez les dignitaires islamiques du pays. D’un côté, on trouverait des jeunes qui ont fait des études supérieures, notamment à l'étranger, et prêchent conformément au Coran. Et de l’autre les seniors qui n'ont pas pu étudier sous la dictature communiste (1945-1990) et prônent un islam issu de la tradition ottomane et mêlé de superstition.

Des musulmans bulgares en train de prier dans une mosquée à Ribnovo (210 km au sud de Sofia) le 20 janvier 2005 (AFP - Dimitar DILKOFF)

Depuis la fin du communisme, des dizaines de mosquées ont été érigées en Bulgarie. Des édifices financés par des fonds turcs et saoudiens.
 
Persécutions
La minorité musulmane représente quelque 13% de la population (7,2 millions d’habitants). Parmi eux, on trouve des Turcs, des Pomaks (descendants de Bulgares convertis à l’islam lors de la domination ottomane), population à laquelle appartenaient les accusés de 2012. Ainsi que des Roms.

«Les Tsiganes musulmans représentent la majorité des Roms en Bulgarie, mais ne sont reconnus en tant que Turcs ni par les Bulgares ni par les Turcs eux-mêmes, qui représentent environ 10 % de la population bulgare», rapporte Le Monde. Les Roms bulgares représenteraient une population estimée, selon les sources, entre 300.000 et 800.000 personnes.

Les musulmans bulgares, qui vivent apparemment surtout dans les zones rurales, ont longtemps été l’objet de persécutions. A fortiori les Roms, «intouchables de Bulgarie», pour reprendre le titre d’un (excellent) article du Monde. La situation de ces derniers est «une véritable bombe à retardement pour le pays, où les Roms continuent de vivre dans une sorte d'apartheid mi-contraint, mi-volontaire».

Les staliniens, au pouvoir jusqu’en 1989, ont mené «une politique d’assimilation brutale des minorités musulmanes», rapporte Nadège Ragaru, chercheuse à Sciences Po (CERI) dans un long article sur l’islam dans le pays. En 1984, la dictature communiste avait ainsi «imposé une bulgarisation forcée des noms d’environ 800 000 Turcs bulgares en vue de procéder à l’unification définitive d’une nation majoritairement chrétienne par l’éradication de la présence turque/musulmane dans le pays».  En 1989-1990, «l’une des premières décisions prise par les réformateurs communistes avait (…) porté sur le rétablissement des droits des musulmans de Bulgarie», poursuit la chercheuse.

Lien de cause à effet ? Au printemps 1989, plus de 300.000 membres de la communauté musulmane avaient pris la route pour rejoindre la Turquie. Il s’était alors agi de l’exode le plus massif dans la région depuis la Seconde guerre mondiale.

La question qui se pose aujourd’hui «est de savoir si c'était un départ volontaire ou une expulsion organisée par le gouvernement bulgare, comme les autorités turques le prétendaient», note le site robert-schuman.eu. «Des pressions au départ ont été exercées sur la population par des notables locaux, tant turcs que bulgares», ajoute cette source qui précise que les réfugiés étaient à la fois «rebutés par la politique assimilatrice et alléchés par les promesses de la propagande turque»

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.