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"Berlusconi sait qu'il a une erreur à ne pas commettre : démissionner en plein scandale"

Carlo Freccero, spécialiste de la télé italienne, revient sur la communication politique du Cavaliere, actuellement en difficulté. L'ex-président du conseil 

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'ex-président du Conseil italien Silvio Berlusconi le 2 octobre 2013 à Rome (Italie). (TONY GENTILE / REUTERS )

Carlo Freccero a contribué à bâtir, au début des années 1980, l'empire médiatique italien de Silvio Berlusconi. Quand le Cavaliere décide de créer "La Cinq", première télé privée en France, Carlo Freccero en devient le directeur des programmes. Puis c'est le divorce. Freccero s'est employé à combattre son ancien mentor et à développer ses idées à nouveau des deux côtés des Alpes : en France, il fut responsable de la programmation de France 2 et France 3 en 1994. Il connaît sur le bout des doigts la télévision et le berlusconisme. Son dernier livre, intitulé Televisione, connaît un succès retentissant en Italie.

Alors qu'un tribunal de Milan (Italie) a jugé, samedi 19 octobre, que Silvio Berlusconi devait être interdit d'exercer tout mandat public pour une durée de deux ans, il revient pour francetv info sur le tournant que prend la vie politique transalpine. Il analyse aussi le fait que Berlusconi ait perdu, de fait, le leadership de son parti (le Peuple de la liberté) et de la droite. Il a en effet dû s'incliner dans sa propre formation politique face à son dauphin, Angelino Alfano, et voter la confiance au gouvernement.

Francetv info : L'Italie semble vivre les derniers moments de la vie politique de Berlusconi. Est-ce aussi votre avis ?

Carlo Freccero : J'ai déjà trop souvent parié sur la disparition de Berlusconi pour ne pas craindre de me tromper encore une fois. Il y a peu de temps, La7 (Channel 7) a diffusé le film Le Caïman, de Nanni Moretti. Ce film de 2006 imagine le crépuscule de Berlusconi, et c'est ce que l'on vit actuellement. Durant les vingt dernières années, Berlusconi a souvent décliné, mais à chaque fois, il est revenu dans la vie politique sans même avoir à se justifier. Il sait qu'il a une erreur à ne pas commettre : démissionner en plein scandale, car la mémoire collective ne retiendrait que cette image, comme une sorte d'icône à jamais indélébile.

Par exemple, on se souvient de Bettino Craxi [membre du Parti socialiste], lui aussi président du Conseil, qui a démissionné en 1987, couvert d'injures et de pièces de monnaie à la sortie d'un hôtel. C'était le début du scandale "mains propres".

Berlusconi a cédé à son dauphin et actuel numéro 2 de son parti, Angelino Alfano, parce que ce dernier aurait pu constituer une force d'opposition au chef qu'il incarne : alors, Berlusconi a préféré perdre le match pour éviter la fracture définitive. Il sait qu'en restant dans le jeu, tout est encore possible. C'est ainsi que fonctionne la communication. Elle est faite de petites phrases et d'amnésie. Si vous campez sur vos positions, la contradiction est quasi impossible, même si on vous repasse une vieille déclaration faite en public où vous dites le contraire de votre actuelle position.

Je me souviens d'un film sur l'adultère avec l'acteur américain Walter Matthau. Une femme trouve son mari au lit avec une autre femme. Ils nient tous deux l'évidence et, en attendant, ils se rhabillent et refont le lit. La maîtresse sort et le mari se tourne vers sa femme en lui disant : "C'est pas bientôt fini, tous tes fantasmes ?" Il faut nier, toujours nier.

L'important en matière de communication, c'est d'éviter l'isolement médiatique. Certes, ce n'est pas le cas de Berlusconi. Sa survie passe par le maintien de sa relation à ses télévisions et, bien sûr, à sa résistance au temps qui passe. 

On parle souvent, en France, de l'influence de la télé dans le berlusconisme. 

La télévision parle sans cesse favorablement de Berlusconi. Mais elle ne le fait ni directement, ni à longueur de temps. C'est beaucoup plus subtil que le chronométrage des discours politiques au moment des élections. La télévision fait du Berlusconi quand elle diffuse un mode de vie, une vision du monde, quand elle dénigre ou ignore le capital culturel au profit du capital économique, quand elle met en scène des rêves de prospérité, de consommation, de bien-être, alors que nous vivons l'une des crises parmi les plus graves.

Et là encore, la télévision utilise le manque de mémoire pour mettre sens dessus dessous le réel. En Italie, les vingt dernières années de gouvernement sont directement le fruit de ce que j'appellerais la "matrice Berlusconi". Mais Berlusconi réussit encore, au moins avec ses partisans, à faire croire qu'il a toujours été dans l'opposition et que la catastrophe actuelle du pays est l'œuvre de "communistes".

Berlusconi prétend toujours qu'il est une victime et une part importante des Italiens semble le croire. Qu'en pensez-vous ?

Les Italiens le croient par un simple effet de la psychologie sociale. L'être humain est un animal social et il a tendance à croire ce qui est répété par tous. Or, depuis plusieurs années, les téléviseurs répètent ce qui est devenu des vérités, et peu importe si ce qu'elles disent est en contradiction avec notre propre Constitution. Berlusconi parvient toujours à faire croire à un modèle de démocratie directe. Selon ce modèle, celui qui est élu par la majorité entre dans une sphère d'impunité. Il ne peut pas être attaqué par celui qui n'a pas été consacré, comme lui, directement par le peuple.

Selon notre Constitution, la loi est égale pour tout le monde. Mais Berlusconi pense qu'il est au-dessus de tout cela, car le condamner revient à condamner le peuple italien qui l'a élu.

La description que Berlusconi fait de la démocratie me rappelle le concept de "la primauté de la politique" cher au théoricien Carl Schmitt. Seulement voilà, Schmitt n'est pas un penseur de la démocratie, mais un théoricien de la pensée politique autoritaire.

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