Cet article date de plus d'un an.

Crise énergétique : les Belges "plus inquiets qu'en colère" face à l'inflation et l'explosion des factures d'électricité et de gaz

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Ixelles, une commune de la région de Bruxelles (Belgique), le 19 juillet 2022. (MAXPPP)

La Belgique, qui n'a pas mis en place de mesures de soutien pour contrer la flambée des prix, voit elle aussi les tarifs de l'énergie exploser. Si plusieurs manifestations ont été organisées, les Belges semblent prendre leur mal en patience, en attendant une hausse de leurs salaires, indexés sur l'inflation.

"J'avais prévu que les prix augmentent, mais là, c'est délirant !" Stéphanie, habitante de Bruxelles, a vu sa facture d'électricité et de gaz passer de 280 euros à 650 euros entre juillet et août, soit une augmentation de 132%. "Et encore, on a de la chance : on est au tarif social de l'énergie, qui limite la hausse", glisse l'institutrice belge de 38 ans.

Le cas de cette Bruxelloise est loin d'être isolé dans le royaume. En septembre, les tarifs de l'électricité ont augmenté de 81,3% sur un an et ceux du gaz de 134,9%, selon des chiffres de Statbel, l'agence belge de statistiques. Ils n'avaient respectivement progressé que de 10,7% et 30,4% en France sur la même période, d'après les données de Insee. L'envolée des prix, due intialement à la forte reprise économique post-crise sanitaire mais amplifiée par la guerre en Ukraine, alimente une inflation galopante en Belgique, estimée par Eurostat à 13,1% sur un an en octobre, contre 7,1% en France.

Résultat : les ménages belges, comme partout ailleurs en Europe, ont perdu en pouvoir d'achat depuis le début de l'année. Comment le pays en est-il arrivé là ? D'abord à cause d'une "dépendance au gaz plus forte qu'en France", estime Eric Dor, directeur des études économiques de l'IESEG, école de commerce à Paris et Lille. Surtout, "la Belgique n'a pas mis en place de bouclier tarifaire comme l'a fait le gouvernement français", souligne Thomas Greuse, économiste à la Confédération des syndicats chrétiens belge.

"Des factures qui triplent ou quadruplent"

Le gouvernement fédéral, composé d'une coalition de sept partis allant de la droite à la gauche, a préféré mettre en place "des aides ciblées, notamment en limitant la hausse sur le tarif social de l'énergie, mais aussi en baissant la TVA sur l'électricité et le gaz", liste Thomas Greuse. L'exécutif belge a également accordé à chaque ménage du pays une ristourne de 100 euros sur le chauffage plus tôt dans l'année, rappelle Le Soir. Mais les mesures sont bien moins généreuses que celles décidées par le voisin français. Un choix politique défendu par le Premier ministre, Alexander de Croo, qui a estimé début septembre auprès du média spécialisé Euractiv que seule une décision commune à l'Union européenne sera en mesure de juguler la crise.

Cette absence de décision politique forte a des conséquences directes sur la vie des Belges, nombreux à avoir vu leurs factures d'électricité ou de gaz exploser. Stéphanie, qui habite "dans une passoire thermique", a augmenté le loyer de ses colocataires "de façon préventive" et décidé de calfeutrer la fenêtre de sa chambre "avec du film plastique" pour réduire sa consommation. Robin, développeur bruxellois de 32 ans, s'estime lui "chanceux". Il a déménagé chez sa mère, en attendant de trouver une colocation qui lui permettra de moins dépenser, juste avant que le tarif de son contrat d'énergie n'augmente. "La plupart de mes collègues ont des factures qui triplent ou quadruplent", assure-t-il. Dans sa recherche, il observe que beaucoup de colocations "ne peuvent plus donner d'estimation pour les charges, tant les prix sont élevés". Il constate aussi des changements de comportements.

"J'ai même rencontré une personne qui souhaitait fonder une nouvelle colocation, mais voulait attendre le printemps, car les prix sont trop instables."

Robin, développeur à Bruxelles

à franceinfo

L'explosion des prix s'explique aussi "par l'importante part de contrats d'énergie variables signés par les consommateurs belges", analyse Thomas Greuse. Les tarifs de nombreux contrats sont révisés "tous les mois ou tous les trois mois", ajoute l'économiste, la transmission des fluctuations du prix sur le marché de gros "se fait alors immédiatement auprès du marché résidentiel".

Certains, comme Aurélie, directrice d'agence de 35 ans et habitante d'Ixelles, dans la banlieue de la capitale belge, peuvent pour l'instant souffler. La Française a signé un contrat de gaz et d'électricité à taux fixe, et s'est assurée avec son fournisseur que les prix ne s'envoleraient pas dans les prochains mois. "Ma facture a tout de même augmenté de 20%", souligne-t-elle. Son compagnon, lui, n'a pas eu cette chance, voyant son tarif de gaz s'envoler à 370 euros en septembre, alors qu'il payait 110 euros en juin. "On a la chance d'avoir de bons salaires et de pouvoir rogner sur nos loisirs. Mais les personnes les plus précaires n'ont pas ce choix", rappelle-t-elle.

Indexation des salaires

Les prix de l'énergie ne sont pas les seuls à grimper. "Le moindre soutien de l'Etat oblige les entreprises, notamment les PME, à répercuter la hausse des factures énergétiques sur leurs prix", explique l'économiste Eric Dor. Aurélie a ainsi observé "une forte augmentation des prix des restaurants". Comme en France, l'inflation se fait aussi sentir sur le panier de courses. "C'est simple, je paye environ 10% plus cher que l'année dernière !", s'exclame Aurélie. "Au début, les magasins avaient affiché des panneaux explicatifs, s'excusant de la hausse des prix causée par la guerre en Ukraine, raconte la trentenaire. Depuis quelques mois, il n'y a plus d'explication, mais les prix continuent d'augmenter."

Les chiffres officiels le confirment. "L'alimentaire, tabac et alcool compris, a augmenté de 4,58% sur un an en Belgique en septembre, contre 3,70% en France", détaille Thomas Greuse. Une hausse importante liée aux augmentations du prix des matières premières et de l'énergie, mais aussi "au fait que le pouvoir des grandes surfaces est plus fort et qu'il y a moins de concurrence en Belgique qu'en France", poursuit l'économiste. Cette nouvelle donne pousse d'ailleurs certains frontaliers à aller faire leurs courses en France.

Dans la presse belge, le sujet est incontournable. Plus un jour ne passe sans que la RTBF, la télévision publique francophone, ne fasse un reportage sur des Belges incapables de faire face à cette hausse généralisée des prix. De quoi attiser une contestation sociale ? Sur les réseaux sociaux, le mouvement Don't Pay Belgium fédère des milliers de Belges, bien décidés à arrêter de payer leurs factures, comme le note le média Moustique"Il y a une contestation, c'est certain. Mais elle ne se traduit pas pour l'instant par un mouvement social fort", tempère Aurélie. Plusieurs grèves ont tout de même eu lieu depuis la rentrée pour réclamer des aides de l'Etat plus importantes. Mais l'ambiance reste moins inflammable que dans d'autres Etats européens.

"En Belgique, on manifeste moins qu'en France. Les gens sont plus inquiets qu'en colère."

Stéphanie, institutrice à Bruxelles

à franceinfo

L'une des raisons de cette absence de contestation de masse est à chercher du côté de "l'indexation des salaires, en vigueur en Belgique", analyse Thomas Greuse. Particularité belge, les salaires augmentent quasiment au même rythme que l'inflation. Ce mécanisme est "une obligation légale", rappelle Eric Dor. Les hausses "sont calculées sur la base de deux indicateurs, qui prennent en compte l'inflation, en dehors des hydrocarbures et des cigarettes", détaille l'expert.

La plupart des salariés du secteur privé devraient donc voir leur salaire augmenter d'environ 10% le 1er janvier. Pour les fonctionnaires, la méthode est un peu différente, "avec un salaire qui augmente dès que l'on passe un palier d'inflation de 2% et qui augmente plusieurs fois par an si nécessaire". Les prestations sociales, comme les retraites et les allocations chômage, sont également concernées par ces indexations.

"Bain de sang social"

De quoi rassurer les habitants du plat pays ? "C'est certain que la hausse fera du bien en janvier", répond Aurélie, qui s'inquiète tout de même de cette charge supplémentaire pour les entreprises. "L'indexation a fait l'objet de beaucoup de débats et d'études", explique Eric Dor. Le mécanisme, qui divise en France, peut-il être contre-productif pour l'économie ? "Sur le long terme, on se rend compte qu'il n'y a pas de différence massive sur les salaires par rapport à d'autres pays, répond l'économiste. Mais sur le court terme, une forte augmentation pourrait provoquer un choc négatif de compétition et provoquer des faillites."

Malgré les augmentations de salaires promises, l'inquiétude domine. "On observe tout de même une paupérisation d'une partie de la population", note Thomas Greuse. En octobre, le Réseau belge de lutte contre la pauvreté (BAPN) s'inquiétait dans un communiqué "d'un bain de sang social" alors que la société sombre "dans un appauvrissement sans précédent". En 2021, 19,3% des Belges (2,2 millions de personnes) étaient menacés de pauvreté, relevait la Croix-Rouge belge.

Le gouvernement belge, qui reste à l'écoute face aux critiques, a annoncé en septembre de nouvelles mesures, dont une ristourne limitée sur les prix de l'énergie à destination des classes moyennes, rapporte Le Soir. "Pas suffisant, juge Stéphanie. Je n'attends rien du fédéral, c'est toujours trop compliqué de faire bouger les choses en Belgique." Résignée, l'institutrice s'attend à ce que "les gens s'adaptent, en prenant moins la voiture, en mangeant moins et en faisant des économies d'énergie comme ils peuvent".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.