Mémoire de déporté : "Je me souviens encore du bruit des tanks qui rentraient dans le camp"
A 92 ans, Isidore Rosenbaum est un des derniers survivants des camps de concentration. A l’occasion de la journée nationale du souvenir de la déportation, il évoque la mémoire de la Shoah.
Lorsqu’il a reçu cette décoration en début de semaine, Isidore Rosenbaum n’a pas vraiment compris. “Ça vient de l’Elysée”, dit-t-il en montrant le médaillon en or, “De temps en temps, on se souvient de nous. On a une poignée de main, ou un petit geste comme celui-là.”
Le reste du temps, Isidore Rosenbaum intervient dans les écoles et les musées pour témoigner et raconter son histoire. Malgré une santé très fragile- “j’ai déjà failli mourir deux fois”- il déroule sa vie dans les moindres détails. Son identité juive, son arrestation à dix-sept ans par la Gestapo en 1942, la terreur du premier pistolet pointé sur lui, ses trente mois d’horreur à Auschwitz, puis sa “renaissance” en 1945 à la libération du camp. Sur les 76 000 personnes déportées en France, seules 3 500 sont revenues. Ce dimanche, la France leur rend hommage. Francetv info a recueilli son témoignage.
Francetv info : Comment s’est passé votre libération en 1945 ?
Isidore Rosenbaum : Je me souviens encore du bruit des tanks de l’armée anglaise qui rentraient dans le camp. A ce moment, tout était désert. Il n’y avait plus personne à part nous, les prisonniers. On ne voyait plus de SS, les Allemands étaient déjà partis avant l’arrivée des alliés. On avait pas la force de se réjouir ou d’être contents, on se demandait juste s’ils venaient nous chercher, si on allait être libérés. Les soldats nous ont distribué des tablettes de chocolat, des boîtes de conserve…Beaucoup d’ailleurs en sont morts. Moi je ne voulais pas perdre de temps. J’ai baragouiné quelques mots en anglais pour qu’on me prête un uniforme de soldat, et je suis parti. Je suis rentré à Paris le jour de la capitulation allemande, le 8 mai 1945. C’est ce jour là que je suis né, que ma vie a vraiment commencé.
Beaucoup de survivants évoquent l'indifférence à leur retour...
A mon arrivée à Paris, j’ai passé deux-trois mois à l’hôtel Lutetia avec les rescapés. Là-bas on ne pouvait pas éviter de parler de la Shoah puisqu’on était tous là, à être soignés. Beaucoup de personnes faisaient la queue, attendaient de savoir si un de leurs proches était là ou était arrivé. Après ça, dans les médias, dans les conversations courantes, plus personne n’en parlait. On faisait autre chose, il fallait reconstruire nos vies. On parlait de la Résistance mais pas d’Auschwitz. J'ai pourtant été un peu résistant avant d'être déporté : j’aidais les gens à passer la ligne de démarcation entre la zone libre et la zone occupée. C’était dangereux, c’était une forme de résistance !
Ensuite, on se voyait tous les mois entre ancien déportés lors de dîners et on en parlait entre nous. Un jour, plus personne n’est venu. Je suppose que c’est parce que certains sont décédés, mais il y a eu encore moins de possibilités de témoigner.
A quel moment avez-vous senti que le silence s'est brisé ?
Jusque dans les années 90, on ne parlait pas beaucoup de la Shoah. On nous avait oubliés, on était comme "un trou de l’Histoire". Le vrai changement est venu le jour du discours de Jacques Chirac [Le discours du Vel d’Hiv le 16 juillet 1995, par lequel la France reconnaît officiellement sa responsabilité dans la déportation]. A ce moment là, les journaux ont commencé à en parler, on a fait des films et des chapitres dans les manuels d’histoire. Depuis cette date, j’ai du faire au moins une trentaine d’intervention dans les écoles et les musées pour témoigner, mais on me sollicite surtout quand il y a un événement, ou un anniversaire comme en janvier dernier, pour les 70 ans de la libération des camps.
Justement, que pensez-vous de ces événements commémoratifs ?
C'est très bien qu'il y ait un moment où tout le monde pense à cette immense souffrance. Mais j'ai l'impression qu'il existe une mémoire épisodique. En dehors de ces grands événements, où tout le monde nous écoute parce que les chefs d'Etat sont là, on n'y pense plus. On organise des cérémonies où on nous serre la main, mais ensuite ? Je ne sais même pas pourquoi j'ai reçu une médaille du Président cette semaine. Ca me fait plaisir mais ça reste du vernis.
Pensez-vous que les gens se sont "lassés" d'entendre parler de la Shoah ?
Je pense surtout qu'une souffrance en efface une autre. Il y a eu d'autres génocides depuis la solution finale et avec le temps, dans trente, cinquante ans, on en parlera beaucoup moins. Et puis, quand je vois les événements récents, l'attentat de l'hypercasher, les tueries de Mohamed Morah, j'ai peur. Je me dis que c'est toujours une "tare" d'être juif, et qu'on peut toujours être tué aujourd'hui juste parce qu'on est juif. C'est comme si l'on avait oublié notre passé. Alors il faut continuer de raconter notre histoire. Quand il n'y aura plus personne de vivant pour témoigner, pour donner sa vérité, je ne sais pas si l'héritage écrit suffira. Cela dit, quand je vais dans les lycées et les collèges, les élèves sont très attentifs et intéressés. Il y a toujours un grand silence, et beaucoup de questions. Finalement, je me dis qu'il y a de l'espoir. Ca sera au tour des jeunes ou des enfants de déportés de raconter.
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