70e anniversaire de la libération d'Auschwitz : dix livres pour mieux comprendre la Shoah
Plusieurs ouvrages ont aidé à la réalisation de l'émission spéciale, présentée par Marie Drucker, mardi sur France 2. Témoignages ou travaux d'historiens, voici les principaux livres choisis par la rédaction.
France 2 consacre, mardi 27 janvier à partir de 14 heures, une édition spéciale à l'occasion du 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz. Présentée par Marie Drucker, cette émission mêlera témoignages et analyses d'experts : Fabrice d'Almeida, historien, spécialiste du nazisme, des médias et de la propagande, Ida Grinspan, déportée à 14 ans à Auschwitz-Birkenau, Anne Beaumanoir, Juste parmi les Nations, Boris Cyrulnik, psychiatre et psychanalyste, Pascale Deschamps, journaliste spécialiste du cinéma.
>> Regardez en direct les cérémonies du 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz par ici
De 15h30, heure de la cérémonie officielle à Auschwitz-Birkenau à 17h30, quand débutera l'hommage aux déportés, l'après-midi sera rythmé de reportages sur les camps français, les Justes ou les Impunis. Voici dix livres, sélectionnés par Pascal Doucet-Bon, rédacteur en chef de cette édition spéciale.
"Atlas de la Shoah"
C’est LA référence en matière de données sur la Shoah, de 1933 à 1945. Georges Bensoussan, historien, responsable éditorial du Mémorial de la Shoah, à Paris, rassemble les chiffres les plus fiables, issus des recherches et recoupements de l’ensemble de la communauté scientifique. Dans une synthèse remarquable de clarté, cet Atlas de la Shoah fixe les idées de tout lecteur qui souhaite se lancer dans ce thème abyssal. Tous les étudiants, par exemple, devraient posséder cet ouvrage. Les cartes et graphiques de la cartographe Mélanie Marie sont, eux aussi, très clairs.
Atlas de la Shoah. La mise à mort des Juifs d’Europe 1939-1945, de Georges Bensoussan (Ed. Autrement, 2014).
"Auschwitz expliqué à ma fille"
Annette Wieviorka est historienne, directrice de recherche émérite au CNRS : une des scientifiques incontournables en France quand on s’intéresse à la Shoah. Mais avec ce petit livre, elle montre un autre visage, celui du professeur, qu’elle fut pendant de nombreuses années. Ce dialogue avec sa fille est magistral de simplicité et de pudeur. Quel tour de force, pour une scientifique de ce niveau, de pratiquer la pédagogie dite "de base" avec autant de précision. Cette démarche va bien au-delà de la leçon d’histoire. Mathilde, la fille, va au devant de ses origines ; Annette transmet et contextualise. Indispensable.
Auschwitz expliqué à ma fille, d'Annette Wieviorka (Ed. du Seuil, 1999).
"1945. La découverte"
Savoir, et voir. Comment les correspondants de guerre ont couvert la libération des camps en 1945 ? Annette Wieviorka nous raconte le voyage de Meyer Levin, écrivain et journaliste américain, et d'Eric Schwab, photoreporter pour l'AFP. Les deux hommes ont raconté leur histoire, professionnelle et personnelle. Quelle vérité chercher face à l’innommable et l’indicible ? C’est en eux-mêmes que les deux hommes trouveront leur "angle" personnel. Meyer Lewin souhaite savoir si le monde juif a disparu dans les cendres et la boue. Eric Schwab cherche, lui, des traces de sa mère déportée. Il est l’auteur du cliché "un dysentérique mourant", publié dans Franc-Tireur en avril 1945. Cette photo a fait basculer la presse française, qui ne parlait presque pas des camps auparavant.
1945. La découverte, d'Annette Wieviorka (Ed. du Seuil, 2015).
"Et tu n'es pas revenu"
Soixante-dix ans après, Marceline Loridan-Ivens répond à son père. Arrêtés et déportés ensemble, lui est à Auschwitz, elle est enfermée à quelques kilomètres, à Birkenau. Son père parvient à lui transmettre un mot. Un petit bout de papier, pas net, rectangulaire. Elle se rappelle juste des premiers mots : "Ma chère fille", et sa signature, "Schloïme". Lui n’est pas revenu, elle oui. Comment vivre avec ceux qui sont morts dans les camps de concentration, comment survivre sans eux ? Ceux qui ont pu y échapper peuvent-ils comprendre ? Marceline Loridans-Ivens termine avec ce livre une conversation interrompue il y a plus de soixante-dix ans, quand elle a été séparée de son père à leur arrivée dans le camp de la mort. "Même 75 ans après, quand j’entends [quelqu'un] dire : 'Papa', je sursaute (…). Ce mot est sorti de ma vie si tôt qu’il me fait mal."
Et tu n'es pas revenu, de Marceline Loridan-Ivens (Ed. Grasset, 2015)
"J'ai pas pleuré"
Ida Grinspan est infatigable. A 84 ans, elle parcourt la France pour témoigner encore et encore. Ce récit, fruit d’entretiens et de voyages avec Bertrand Poirot-Delpech, est celui de sa déportation à Auschwitz à 14 ans. Ida n’osait écrire seule, le journaliste et romancier lui donne sa plume sans cacher son admiration dans toutes ses lignes. La petite Fensterzab, de son nom de jeune fille, a survécu aux sélections, à la détention, aux travaux forcés, aux marches de la mort. Comment ? Elle ne le sait pas elle-même, mais elle détaille ces moments clés où tout aurait pu basculer. Ida n’a pas de haine, tout au plus du mépris pour ses tortionnaires. Mais elle est inquiète, persuadée que sans mémoire, le monde peut à nouveau s’infecter.
J'ai pas pleuré, d'Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech (Ed. Robert Laffont, 2002, Pocket Jeunesse, 2003).
"Alois Brünner"
Il reste quelques exemplaires de cet ouvrage chez un libraire en ligne bien connu. Alois Brunner est l’incarnation de la haine irréductible (le sous-titre du livre) et du zèle organisationnel des artisans de la Shoah. Il est aussi, avec Joseph Mengele, le plus célèbre des nazis impunis. Didier Epelbaum, ancien journaliste de la rédaction de France 2, a retracé l’ascension de ce paysan autrichien "surdoué" de la déportation, d’une brutalité inouïe, puis sa fuite en Syrie, où la famille Assad a su utiliser ses "talents". Alois Brunner a vécu libre, mais sous la menace permanente des chasseurs de nazis et des services secrets israéliens du Mossad, qui sont parvenus par deux fois à le mutiler à la suite d'un attentat à la bombe et d'un colis piégé. Il serait mort de vieillesse, il y a quelques années à Damas. Une enquête palpitante, documentée et précise.
Alois Brunner, de Didier Epelbaum (Ed. Calmann-Lévy, 1990).
"Hippocrate aux enfers"
Les médecins nazis des camps de concentration prétendaient faire avancer la science. Aveuglement sectaire ou excuse meurtrière ? Michel Cymes répond très clairement. Joseph Mengele et ses semblables sont des criminels sadiques et génocidaires. Leurs recherches n’avaient aucun sens, si ce n’est celui de leurs névroses. Injecter du pétrole dans le cœur et chronométrer la mort, plonger un humain dans de l’eau glacée. Infecter et réinfecter des plaies volontairement causées pour tester les sulfamides. L’inventaire de ces horreurs est d’autant moins supportable que ces médecins et infirmières n’ont presque jamais été condamnés. Michel Cymes, dont les deux grands-pères sont morts après leur déportation, enquête sur ces "recherches". Ont-elles servi ? A qui ? Aux soldats allemands ? Aux alliés après la guerre ? Une plongée intelligente dans l’une des grandes aberrations du XXe siècle : des médecins tortionnaires et bourreaux.
Hippocrate aux enfers, de Michel Cymes (Ed. Stock, 2015).
"Mickey à Gurs"
Mickey Mouse dans les camps ? Impossible ! Et pourtant... L'historien Joël Kotek et le spécialiste de la bande dessinée Didier Pasamonik publient l’intégrale des trois carnets de dessins de Horst Rosenthal, un juif allemand arrivée en France en 1933, dont les aventures de la célèbre souris, publiées sans l’autorisation de Walt Disney, dans le camp pyrénéen de Gurs. Son Mickey se promène avec un air étonné en permanence, et il montre ainsi le système de déshumanisation des camps. Un personnage qui, à la fin, se rend compte qu’il n’est qu’un dessin et qu’il peut, lui, partir aux Etats-Unis. Dans son troisième carnet, Petit guide à travers le camp de Gurs, Horst Rosenthal se met en scène, mais contrairement à sa souris, il n’aura pas le pouvoir de partir d’un coup de gomme. En 1942, il est déporté à Auschwitz, et n'en reviendra pas.
Mickey à Gurs, les carnets de dessins de Horst Rosenthal, de Joël Kotek et Didier Pasamonik (Ed. Mémorial de la Shoah, 2014).
"La voix des images"
Sylvie Lindeperg traite depuis des années l'histoire du cinéma, particulièrement les images liées à la seconde guerre mondiale et à la Shoah. Cette historienne française, docteure en histoire et diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris est aussi co-auteur du brillant documentaire Face aux fantômes, réalisé par Jean-Louis Comolli.
La voix des images raconte quatre tournages réalisés en 1944 : dans le maquis du Vercors, dans le camp de Terezin, dans un Paris en pleine insurrection, et à Westerbork, un camp hollandais. Dans ce camp, le chef SS ordonne le tournage d'un film de propagande, peut-être pour vanter son fonctionnement et son utilité aux yeux de sa hiérarchie. Il ordonne à un détenu (lui-même assassiné à Auschwitz par la suite) de filmer le départ d'un train, qui seront, au final, les seules images du départ d'un train de l'Ouest pour Auschwitz. Parmi elles, un seul plan serré sur un visage, celui de la petite Anna Maria (Settela) Steinbach, 10 ans, gazée à Auschwitz. Longtemps icône de la Shoah, cette enfant était, en fait, une Tzigane originaire des Pays-Bas.
Les images de Westerbork ont été utilisées dans de nombreux documentaires, mais bien peu ont pris le soin de raconter ce tournage, à part Harun Farocki dans En sursis, remarquable décryptage trop peu connu. Peut-on aujourd'hui utiliser des images de propagande sans en signaler l'intention initiale, et s'en servir comme simple élément de récit ? Les images racontent l'Histoire et parfois la font, pour peu qu'on s'intéresse à leur objectif, affiché ou caché, et leurs origines. Sylvie Lindeperg devrait être lue par tous les documentaristes et journalistes qui utilisent des archives. Une leçon.
La voix des images, de Sylvie Lindeperg (Ed. Verdier, 2013).
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