Cet article date de plus d'onze ans.

Aube dorée, ou comment les néonazis grecs se sont cassé les dents sur la démocratie

Alors que la justice doit décider du sort de militants et de dirigeants de la formation d'extrême droite, francetv info revient sur la nature de ce parti ouvertement xénophobe et violent.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le leader du parti néonazi grec Aube dorée, Nikos Michaloliakos, est escorté à sa sortie du poste de police à Athènes (Grèce), le 28 septembre 2013. (ANGELOS TZORTZINIS / AFP)

Parti politique ou "organisation criminelle" ? Les juges grecs devront trancher sur la nature même d'Aube dorée. Arrêtés pendant le week-end, une vingtaine de membres du parti xénophobe grec vont être présentés aux juges mardi 1er et mercredi 2 octobre. Parmi eux : six députés, ainsi que le dirigeant de la formation, Nikos Michaloliakos. Entré au Parlement en juin 2012, ce parti d'extrême droite est accusé d'être impliqué dans de nombreuses exactions à l'encontre d'immigrés, ainsi que dans le meurtre, le 18 septembre, d'un rappeur et militant antiraciste grec, Pavlos Fyssas.

Selon un rapport judiciaire du vice-procureur de la Cour suprême, Charalambos Vourliotis, publié lundi, Aube dorée, qui dispense "un entraînement de type militaire", serait à l'origine de "dizaines d'actions criminelles", dont deux homicides volontaires. Dans la foulée, le gouvernement a annoncé la "suspension du financement du parti pendant la procédure pénale en cours". Bref, un coup de filet et une atteinte au porte-monnaie destinés à mettre un terme à l'aventure démocratique d'Aube dorée.

En attendant que la justice se prononce, francetv info dresse le bilan d'un parti indissoluble dans la démocratie, mais bien décidé à faire son trou dans la vie politique grecque. 

Un succès dû à la crise

Fondée dans les années 1980 par Nikos Michaloliakos, la formation a longtemps plafonné sous la barre des 1%. "C'est alors un petit parti néonazi qui, entre autres, ne cache pas son adoration pour Hitler et revendique la supériorité de la race blanche", décrit le politologue Michel Vakaloulis, contacté par francetv info. Aux législatives de 2009, Aube dorée obtient 0,23% des voix. Mais la crise économique et le chômage endémique qui s'abattent sur la Grèce changent la donne.

En 2012, un nouveau scrutin ouvre à Aube dorée les portes du Parlement : le parti rafle 6,92% des voix, soit 18 députés, dont Nikos Michaloliakos et son épouse. Pour le politologue Jean-Yves Camus, interrogé par Les Inrockuptibles, Aube dorée a surfé sur la perte de crédibilité de l’Alerte populaire orthodoxe (Laos). Jadis contestataire, ce parti conservateur et nationaliste est passé dans le giron gouvernemental fin 2011, devenant associé du décrié pouvoir en place, chargé de mettre en application le plan d’austérité de la troïka UE-FMI-Banque centrale européenne

Des élus qui ne jouent pas le jeu démocratique

Mais une fois sur les bancs de l'Assemblée, "les députés d'Aube dorée accumulent les provocations", relate Michel Vakaloulis. En mai 2013, un député est exclu de l'Assemblée à la suite d'une altercation verbale avec un adversaire. Le cri de "Heil Hitler" retentit trois fois dans la salle. 



"Ce parti est fondamentalement opposé à notre société libérale et démocratique, expliquait en octobre 2012 la chercheuse en sciences politiques Vassiliki Georgiadou, citée dans un article des P@ges Europe de la Documentation française. Il introduit la violence dans l'espace politique et agit en dehors des lois. A tel point que lorsqu'il parle d'expulser les immigrés du pays par exemple, il n'imagine même pas un cadre légal pour le faire." 

Un parti de terrain qui se substitue aux autorités

C'est en dehors du cadre feutré de l'Assemblée que le mouvement met en pratique – de façon musclée – son idéologie. Ainsi, en septembre 2012, trois députés d'Aube dorée mènent des descentes contre des vendeurs à la sauvette immigrés dans la banlieue d'Athènes, ainsi qu'à Messolonghi, dans l'ouest du pays. A la fois élus et gros bras : "C'est un mouvement difficile à comprendre vu de l'extérieur, concède Michel Vakaloulis. Nous ne sommes pas face à un parti nationaliste qui serait, comme l'était l'IRA [en Irlande du Nord], composé d'une armée et d'une représentation parlementaire [le Sinn Fein]. Nous sommes en face d'un parti fasciste comme nous n'en avons pas connu depuis la seconde guerre mondiale." Le politologue poursuit : "Ses militants ont inspecté des crèches et des hôpitaux pour s'assurer qu'il n'y avait pas de travailleurs immigrés. Le parti agit en se substituant à la police, aux militaires ou aux services sociaux."

Aube dorée a également organisé des soupes populaires réservées aux Grecs (non sans créer des tensions, a rappelé France 24) et envisagé la création d'un service d'aide à la recherche d'emploi, relate Le Monde.fr (article abonnés). A coup de "ratonnades", le parti se félicite de "nettoyer" les rues d'Athènes, expliquait la journaliste franco-grecque Alexia Kefalas, invitée de "C dans l'air". 

 Un épouvantail longtemps toléré

En dépit des actions violentes qui lui ont été attribuées, l'organisation "a bénéficié d'une tolérance du système médiatique qui a présenté le parti comme un animal domestique", déplore Michel Vakaloulis. Parmi les artisans de cette "normalisation", le politologue cite également le gouvernement d'Antonis Samaras, qu'il accuse d'avoir mis "sur le même plan les violences des néonazis d'Aube dorée et celles des manifestations de la gauche radicale de Syriza, selon la théorie des deux extrêmes". 

La mort du musicien antifasciste grec Pavlos Fyssas, 34 ans, poignardé par un membre d'Aube dorée, "a fait basculer l'opinion publique", poursuit Michel Vakaloulis. Les sondages révèlent en effet que le parti néonazi a chuté de 14% à 7% en dix jours. "Face à la médiatisation et à l'émotion suscitées par cette affaire, les autorités ne pouvaient que frapper un grand coup", note-t-il. 

Accusée de porter "atteinte aux droits de l'homme, à la sécurité nationale et à la tradition démocratique", Aube dorée fait désormais l'objet d'une vaste enquête. "La trentaine de personnes interpellées ne l'ont pas été en raison de leurs opinions politiques, rappelle toutefois Michel Vakaloulis, mais bien pour leur implication dans des actes criminels."

Quant à l’interdiction du parti, elle reste légalement impossible, écrit Slate : "Depuis la fin de la dictature en 1974, la Constitution grecque entrée en vigueur en 1975 ne l’autorise pas, cela serait 'antidémocratique'." 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.