Où en est la coopération entre la France et la Belgique dans la lutte antiterroriste ?
Au moins trois des auteurs présumés des attentats de Bruxelles sont directement liés aux principaux suspects du 13-Novembre à Paris. La France et la Belgique ont donc tout intérêt à travailler ensemble. Mais savent-elles le faire aujourd'hui ?
Après les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, les services belges avaient été accusés de ne pas avoir suffisamment communiqué avec leurs homologues français. Au lendemain des attentats de Bruxelles, où en est la coopération entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme ?
Une coopération judiciaire satisfaisante
A en croire les principaux intéressés, la coopération entre les parquets belge et français serait excellente. D'après Sébastien Pietrasanta, député socialiste et rapporteur de la commission d'enquête parlementaire post-attentats, le procureur de Paris François Molins est au téléphone "plusieurs fois par jour" avec son homologue belge, le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw. Le 21 mars, quelques jours après l'arrestation de Salah Abdeslam, lors d'une conférence de presse commune, le Français a d'ailleurs longuement insisté sur la qualité de cette coopération, "très riche et fluide", fondée sur "le respect, la loyauté" et "primordiale" pour l'efficacité des enquêtes.
Signe visible de cette coopération franco-belge, la mise en place de quatre groupes d'enquête communs : sur l'attentat de Mehdi Nemmouche au Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014 ; l'attaque dans le Thalys le 21 août 2015 ; les attentats du 13-Novembre et enfin la cellule de Verviers, démantelée en janvier 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher.
Concrètement, cela signifie que les policiers belges et francais travaillent ensemble. Le 15 mars dernier par exemple, la perquisition à Forest (Belgique) dans le cadre de l'enquête sur les attentats de Paris a été menée par six policiers (quatre Belges et deux Français). Dans l'appartement visé, des empreintes de Salah Abdeslam ont été retrouvées. Trois policiers belges et une policière française ont été blessés.
La collaboration entre la justice des deux pays a d'ailleurs fait l'objet d'un mini sommet début février avec Manuel Valls et Charles Michel. Outre l'affichage politique (le Premier ministre français affirmait n'avoir "jamais douté des Belges"), la création d'un poste de "magistrat de liaison en Belgique" a été annoncée par le ministère français de la Justice.
Sur le plan du renseignement, des problèmes demeurent
D'après une source au ministère de l'Intérieur français contactée par francetv info, "c'est une très bonne coopération : dès qu'une filière ou un groupe jihadiste peut présenter des activités transfrontalières, les Belges nous le signalent". Les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis ont-ils accéléré les choses ? "On avait déjà des échanges très intenses sur les questions de terrorisme. Mais côté belge, après le 13-Novembre, il y a eu une prise de conscience que leur vivier était monstrueux. Ils produisent donc aujourd'hui plus de renseignements." Cette collaboration présente pourtant des failles.
Un manque de moyens financiers et humains. La principale difficulté semble résider dans le manque de moyens, financiers et humains, affectés au renseignement belge : 600 agents seulement à la Sûreté de l'Etat.
En novembre dernier, le commissaire Johan De Becker, chef de la zone Bruxelles-Ouest dont fait partie Molenbeek, affirmait ainsi à l'AFP: "Notre zone de police est confrontée à un déficit de 125 effectifs" qui "manquent cruellement au niveau de la police de quartier, mais aussi dans les cellules spécialisées comme la cellule radicalisme".
Pourtant, à deux reprises en 2015 le gouvernement belge a revu à la hausse l'enveloppe affectée à la sécurité. En janvier, après le démantèlement d'une cellule jihadiste à Verviers et en novembre, après les attentats de Paris, une rallonge de 400 millions d'euros a été annoncée, rapporte Le Vif.
Mais d'après les médias belges, il manquerait toujours 100 personnes dans chacun des deux services belges du renseignement (la Sûreté de l'Etat et le Service général du renseignement et de la sécurité de l'armée), qui en théorie doivent fonctionner avec 600 agents chacun.
La circulation de l'information n'est pas assez fluide. Certains spécialistes pointent aussi l'organisation complexe de la collecte de renseignements chez nos voisins. L'existence de 193 forces locales de police et, pour Bruxelles, de 19 communes autonomes, dont Molenbeek et Schaerbeek, ne favorise pas le partage des informations.
"La Belgique est un Etat fédéral et cela a toujours été un avantage pour des terroristes. Avoir plusieurs couches de gouvernement gêne la circulation de l'information entre les enquêteurs", confiait en novembre à Reuters Edwin Bakker, enseignant au Centre d'étude du terrorisme et de l'antiterrorisme à l'université néerlandaise de Leyde.
Une législation belge en matière de terrorisme souvent pointée du doigt côté français. "En France, les gardes à vue peuvent durer jusqu'à six jours, contre seulement 24 heures en Belgique. C'est très court pour récolter des informations ! Les perquisitions de nuit seraient aussi utiles. La législation belge n'est pas adaptée", déplore le député Sébastien Pietrasanta.
A l'échelle de l'Union européenne, une coopération limitée
Les moyens financiers et humains font défaut à de nombreux pays européens. Pour faire des économies, les effectifs de fonctionnaires, y compris ceux affectés à la sécurité, ont été largement amputés : chute de près de 12% des forces de police en Angleterre et au Pays de Galles depuis 2010 ; remplacement de seulement 20% des départs à la retraite en Italie entre 2008 et 2014 (sauf en 2010 et 2011) ; suppression de 13 000 postes dans les forces de sécurité intérieures françaises entre 2007 et 2012. En France, malgré les créations de postes depuis quatre ans, les services de renseignement paraissent aujourd'hui sous-dotés, explique Libération.
La mise en place du Passenger Name Record, le fichier d'enregistrement des passagers du transport aérien, n'est toujours pas effective. Ce PNR doit, selon ses promoteurs, permettre de mieux suivre les déplacements des personnes. Le vote au Parlement européen a encore été repoussé à avril ou mai. Sebastien Pietrasanta souhaiterait également que l'Europe renforce ses contrôles aux frontières en utilisant la biométrie. Selon lui, cela permettrait de se prémunir contre l'utilisation de "vrais-faux passeports" fabriqués par Daesh à partir de documents vierges récupérés en Irak et en Syrie.
L'échange de renseignements reste compliqué entre des Etats qui tiennent à préserver leur souveraineté. En novembre, la question d'une Agence européenne du renseignement a ainsi été reposée par le commissaire européen aux Affaires intérieures. Aussitôt balayée, notamment par le ministre allemand de l'Intérieur : "Je ne peux pas imaginer qu’on puisse renoncer à notre souveraineté nationale" en la matière, a-t-il plaidé. La Croix résume la complexité d'une telle initiative : "Un rapprochement consisterait en une vraie révolution tant, d’un pays à l’autre, les structures mais surtout les pratiques et les philosophies divergent, liées à l’histoire de chaque pays et à sa conception du rapport liberté-sécurité."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.