Attaqué pour un poème sur Israël, l'écrivain allemand Günter Grass se défend
L'écrivain allemand, prix Nobel de littérature, a provoqué l'indignation d'Israël en publiant un texte accusant le gouvernement du pays de menacer la paix mondiale. Retour sur un scandale en trois actes.
Si les poètes aiment être sulfureux, Günter Grass ne fait pas exception. Le prix Nobel de littérature allemand fait scandale depuis la publication mercredi 4 avril d'un poème dans lequel il accuse Israël de mettre en danger la paix mondiale en menaçant de bombarder l'Iran. Accusé d'antisémitisme, l'écrivain se dit victime d'une campagne de dénigrement. Retour sur la polémique en trois actes.
• Acte I : Günter Grass publie son poème
Le poème de Günter Grass, intitulé Ce qui doit être dit, est publié dans le quotidien allemand Süddeutche Zeitung (traduction en anglais dans le Guardian) mercredi 4 avril. L'écrivain évoque d'abord "cet autre pays, qui dispose depuis des années d'un arsenal nucléaire croissant - même s'il est maintenu secret". Dénonce un "silence généralisé" sur cette question, qu'il qualifie de "mensonge pesant" parce que "le verdict d'antisémitisme tombera automatiquement" sur qui le rompra.
Aux deux tiers du poème, il écrit : "Pourquoi ne dis-je que maintenant (...) que la puissance atomique d'Israël menace la paix mondiale déjà fragile ?", avant de répondre : "Parce qu'il faut dire ce qui pourrait être trop tard demain."
L'écrivain, qui jouit d'une grande autorité en Allemagne, parle aussi du rôle joué par son pays, évoquant les livraisons de sous-marins nucléaires qui pourraient rendre les Allemands, "déjà suffisamment accablés", complices d'un "crime prévisible". Une référence au contrat de vente, signé en 2005 entre l'Allemagne et Israël, de sous-marins de type Dolphin, dont un sixième exemplaire doit être livré prochainement. Il dénonce enfin l'hypocrisie de l'Occident.
• Acte II : indignation générale en Israël et en Allemagne
La publication ne tarde par à faire réagir. En Israël, les réactions sont très vives. "La honteuse comparaison de Günter Grass entre Israël et l'Iran, un régime qui nie l'Holocauste et menace d'anéantir Israël, en dit bien plus sur M. Grass que sur Israël" déclare jeudi le Premier ministre Benjamin Netanyahu, expliquant que "pendant six décennies M. Grass a caché le fait qu'il a appartenu aux Waffen SS" (dans laquelle il a été incorporé en 1944, appartenance qu'il a seulement reconnu en 2006).
Dans la presse israélienne, l'écrivain est également très attaqué. L'historien Tom Segev estime dans le quotidien de centre gauche Haaretz (lien en anglais) qu'il est "plus pathétique qu'antisémite", soulignant que "la comparaison entre Israël et l'Iran est injuste car contrairement à l'Iran, Israël n'a jamais menacé d'effacer de la carte un autre pays", ajoute Tom Segev. Dans Maariv (journal de centre droit) le commentateur Shai Golden déclare : "Je suis d'accord avec presque tout ce qu'il a dit. Mais il n'a tout simplement pas le droit moral et historique de le dire", estime-t-il, invoquant "la trahison du principe de l'expiation auquel chaque Allemand doit s'engager pour toujours en parlant d'Israël et des juifs".
Dans son pays aussi, Günter Grass déclenche les foudres d'historiens juifs de renom et des commentaires distants de la classe politique. Sans nommer Grass, le ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle publie un communiqué dans lequel il explique que "minorer les dangers du programme nucléaire iranien reviendrait à nier la gravité de la situation". La secrétaire générale du SPD (gauche), dont Günter Grass est considéré comme proche, le qualifie de "grand écrivain", mais son poème d'"irritant et inapproprié".
• Acte III : Günter Grass se défend
Face à la polémique, Günter Grass reprend la parole jeudi dans plusieurs entretiens à des chaînes de télévision allemandes. "Le ton général des débats est de ne surtout pas se plonger dans le contenu du poème, mais de mener une campagne contre moi pour affirmer que ma réputation est écornée jusqu'à la fin des temps", estime-t-il.
L'écrivain affirme être victime d'un procès d'intention et réfute tout antisémitisme. En Allemagne, "un pays démocratique où règne la liberté de la presse, prime une certaine uniformisation de l'opinion, et un refus d'aborder le contenu, les questions que je soulève".
L'écrivain, âgé de 84 ans et taxé par certains de sénilité, reconnaît toutefois qu'il aurait dû évoquer dans son texte le "gouvernement actuel d'Israël" plutôt qu'"Israël" en général.
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