Cet article date de plus de douze ans.

Matthias Huss, glaciologue: l’Europe va-t-elle manquer d’eau en été ?

Une étude de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée fait état d'une augmentation de la température du Rhône depuis les années 70. Alors que les débats sur le gaz de schiste, source de CO2, refont surface en France et en Europe, le réchauffement du climat est déjà une réalité dans les Alpes. Les glaciologues constatent une réduction importante des surfaces de glace dans le château d'eau de l'Europe.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Manifestation contre le réchauffement sur le glacier d'Aletsch, le plus grand d' Europe (Fabrice Coffrini/AFP)

Le Pô, le Rhin, le Rhône et le Danube bénéficient en été d'eau provenant de la fonte estivale des glaciers européens. Mais si les glaciers disparaissent... Or, pour le glaciologue suisse Matthias Huss, les glaciers européens vont perdre 90% de leur volume sur les cent prochaines années, au risque de changer l'hydrologie des grands fleuves européens.

Matthias Huss est glaciologue à l’Université de Fribourg, en Suisse. Il est parti de son expérience de terrain sur les glaciers et de ses modélisations pour analyser les conséquences de ce processus, important non seulement pour les vallées alpines, mais aussi pour toute l’Europe. Notamment au niveau de ces fleuves.

La fonte des glaciers est-elle une réalité ?
C’est un fait. On étudie les glaciers depuis plus de cent ans et on constate ce recul. Il est continu, à l’exception d’un refroidissement dans les années 1970-1980. Plus grave, on observe une accélération de ce phénomène sur les trente dernières années. Cela va de plus en plus vite (en images, le recul du glacier du Rhône).

Il faut noter aussi que les glaciers réagissent très lentement : il leur faut dix ans pour enregistrer les modifications climatiques. C’est pourquoi la baisse n’est pas encore très importante. On ne devrait voir les premières vraies conséquences que vers 2030-2040.

En 2100, il ne resterait plus que 10% de la surface de glaciers qui existe aujourd’hui en Europe, selon la moyenne des modèles qui existent. Or, le volume d’eau contenu dans les glaciers européens représente la masse gigantesque de 100 km3 d’eau.

Certes, au sommet des glaciers, le volume de glace reste le même, mais ce sont les bas des glaciers qui disparaissent. Ainsi, la langue du plus grand glacier d’Europe, celui d’Aletsch, pourrait disparaître.

Le glacier des Bossons en France (JACQUES Pierre/HEMIS/AFP)

Quelles conséquences au niveau de l’eau ?
On a souvent pensé que les glaciers étaient surtout importants pour leur environnement immédiat, mais on s’est aperçu qu’ils avaient des conséquences sur les grands bassins fluviaux (Rhône, Rhin, Pô, Danube) qui proviennent des Alpes. Les glaciers assurent un approvisionnement en eau bien au-delà du territoire alpin.

Plus d’un quart de l’eau du Rhône qui s’écoule dans la Méditerranée au mois d’août résulte de la fonte des glaces. Même aux Pays-Bas, environ 7% de l’eau du Rhin provient des glaciers alpins, bien qu’ils ne couvrent qu’une infime partie – moins de deux pour mille – du bassin versant. Donc, si l’apport des glaciers à l’écoulement du Rhin, du Rhône, du Danube et du Pô se tarissait, il en résulterait un recul significatif de leur débit pendant la période estivale. Cet effet serait particulièrement prononcé lors des vagues de chaleur comme, par exemple, celle de l’été 2003.

Les glaciers stockent de l’eau et en restituaient une partie au moment des fortes chaleurs pendant l’été, en août notamment. C’est en été, quand on a besoin d’eau, que la fonte du bas des glaciers alimente les grands bassins. Mais si ces glaciers voient leur taille réduite, ils ne peuvent plus alimenter les grands fleuves. L’hydrologie en est changée avec sans doute plus d’eau au printemps et en hiver (en raison des précipitations) et moins en été (recul des eaux de fonte) dans un volume annuel qui, lui, ne devrait pas changer.

Outre des modifications de débit, les fleuves devraient aussi se réchauffer, l’eau ne provenant plus de la fonte de glace mais simplement de précipitations.

Quelles conséquences ?
Ce n’est pas à moi glaciologue de définir quelles peuvent-être les conséquences exactes de ces modifications. Je peux déjà dire que en raison de baisse de débits, il peut y avoir des problèmes pour la circulation des bateaux sur le Rhin. Les plus gros problèmes seront sans doute liés à une hausse de la température des eaux, avec des conséquences pour l’agriculture et pour l’industrie (hydroélectricité, nucléaire).

Un fléchissement du débit aurait corrélativement des conséquences à long terme pour toute l’Europe, comme par exemple une restriction du trafic fluvial, de l’approvisionnement en eau potable ou encore des pertes dans la production des barrages hydroélectriques.

Etre conscient de l’apport actuel des glaciers au débit du Rhin, du Rhône, du Danube et du Pô devrait permettre de s’adapter à temps aux nouvelles conditions engendrées par le changement climatique. Il faut être conscient que ces changements sont liés à l’activité de l’homme.

Le recul du glacier de Bionassay


Reportage de France 3

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.