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Elections fédérales 2021 : comment l'Allemagne a-t-elle accueilli les réfugiés arrivés depuis 2015 ?

L'Allemagne a accueilli 1,1 million d'exilés en 2015, et plusieurs centaines de milliers d'autres depuis. Franceinfo a rencontré des réfugiés qui tentent de bâtir une nouvelle vie outre-Rhin et dresse le bilan de cette "Willkommenskultur".

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale en Allemagne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La chancelière allemande Angela Merkel pose avec des réfugiés, lors d'une réception dans un centre pour demandeurs d'asile, le 10 septembre 2015 à Berlin. (BERND VON JUTRCZENKA / DPA / AFP)

Jamil Alyou ne réalise pas encore la portée de ce mail reçu, il y a quelques jours. Il se revoit, lui, Syrien de 21 ans arrivant en Allemagne, un matin d'août 2015, persuadé qu'il ne comprendrait jamais un mot de cette langue inconnue. Il repense au jeune homme à l'avenir incertain qu'il était alors. "Aujourd'hui, je peux me présenter comme un Syrien Allemand", se félicite-t-il, tout sourire. Ce fameux mail lui a annoncé sa naturalisation.

Jamil Alyou, le 15 septembre 2021 à Dortmund (Allemagne).  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Il y a six ans, un peu plus d'un million d'exilés franchissaient la frontière de la quatrième puissance économique mondiale dans l'espoir d'un refuge et d'une vie meilleure. "Bienvenue en Allemagne", a entendu le Syrien de la part d'un policier, tandis qu'Angela Merkel clamait avec conviction "Wir schaffen das" ("On peut y arriver"), confiante du bien-fondé de sa politique d'accueil. Entre 2015 et 2020, 1,9 million d'exilés, principalement de Syrie, d'Afghanistan et d'Irak, ont déposé une demande d'asile outre-Rhin, selon les données d'Eurostat (lien en anglais).

Six ans après cette mesure phare de la chancelière, qui ne se présentera pas à sa réélection le 26 septembre lors d'un nouveau scrutin fédéral, l'heure est au bilan. Angela Merkel a-t-elle réussi son pari d'intégration des réfugiés ?

La langue, frein à l'emploi

Jamil Alyou raconte son histoire au Multikulturelles Forum de Dortmund (ouest de l'Allemagne), une organisation offrant aux réfugiés conseils et cours de langue. Le jeune homme les connaît bien, travaillant lui-même pour l'association d'aide aux exilés "Train of Hope" ("Le train de l'espoir"). Ici, des conseils sur la vaccination sont rédigés en allemand, en anglais et en arabe. Quatre Syriennes prennent place pour la leçon d'allemand du jour, glissant quelques mots d'arabe au professeur, lui aussi Syrien. Au programme de l'atelier : les prépositions. L'une des étudiantes parle avec plus d'aisance que ses paires. Mais pas encore couramment.

En 2019, la moitié des réfugiés arrivés entre 2013 et 2016 qualifiaient leur niveau d'allemand de "bon" ou "très bon", selon une étude menée par l'Office fédéral pour la migration et les réfugiés (lien en anglais). Moins de 15% jugeaient leur niveau "plutôt faible". Dans cette génération de déplacés, les personnes moins diplômées et plus âgées, les femmes, en particulier les mères, ont un niveau souvent plus intermédiaire, rencontrant plus de freins dans l'apprentissage de la langue de Goethe, premier obstacle sur le chemin de l'emploi.

"J'étais enseignante en Syrie. Je n'ai pas encore trouvé de travail ici, c'est surtout le problème de la langue qu'il faut maîtriser."

Najat, étudiante dans le cours du Multikulturelles Forum

à franceinfo

Quatre femmes syriennes étudiant l'allemand au Multikulturelles Forum, à Dortmund (Allemagne), le 15 septembre 2021.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Dans un pays à la population vieillissante, le gouvernement, les chambres de commerce, les fédérations professionnelles et les centres de formation se sont mobilisés pour leur intégration économique. Un pan fondamental de la "Willkommenskultur" (la "culture de l'accueil", en français). Six ans après "Wir schaffen das", la moitié des réfugiés arrivés ces dernières années accèdent à l'emploi dans les cinq ans suivant leur arrivée, selon l'agence fédérale de l'emploi (en anglais).

L'écart entre les hommes et femmes est toutefois très net : en 2018, 14% des d'entre elles avaient un emploi, contre 52% des hommes réfugiés, d'après un rapport (PDF en anglais) de l'institut allemand de recherche économique (DIW). Aujourd'hui, ces taux s'élèvent à un peu plus de 20% et 60%, selon Jannes Jacobsen, chercheur à l'Université libre de Berlin et coauteur d'un rapport du DIW sur l'intégration des réfugiés.

"En moyenne, les femmes réfugiées sont moins diplômées que les hommes, or l'accès au marché du travail est fortement corrélé au niveau d'éducation", explique-t-il, ajoutant que les femmes, plus souvent que les hommes, ont la charge des enfants. Autre obstacle : la difficulté à faire reconnaître ses qualifications. Néanmoins, l'intégration sur le marché du travail de ces populations "arrive plus vite que pour les précédentes générations", souligne Jannes Jacobsen.

La plupart des réfugiés "sont isolés"

Talaat Hassan, arrivé en 2016, est heureux d'avoir signé un contrat il y a cinq mois. Après trois ans de cours de langue et des candidatures sur fond de pandémie, ce Syrien titulaire d'un master en management a finalement décroché un CDD de manutentionnaire chez Amazon. Le trentenaire parcourt chaque jour les travées d'un entrepôt, déposant soigneusement des produits dans leurs emballages. "Je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait aller au niveau le plus bas et ensuite monter en grade. Je suis un habitué des nouveaux départs", philosophe celui qui a vécu 27 mois dans des camps de réfugiés, de la Suède à l'Allemagne.

Le lotissement où Talaat Hassan réside désormais, dans un quartier paisible d'Oberhausen, contraste avec les dortoirs qu'il a longtemps connus. Le réfugié vit dans un vaste studio, sous le même toit qu'une famille allemande, dont il garde parfois les enfants et ne manque aucun anniversaire. "Il fait partie de la famille", sourit la mère de famille, Sejla Badnjevic.

Talaat Hassan discute avec Sejla Badnjevic et Marc Schroeder, le 15 septembre 2021 à Oberhausen (Allemagne).  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

"Une minorité de réfugiés vivent comme moi avec une famille allemande. La plupart sont isolés", regrette Talaat Hassan, dénonçant le manque de volonté de certains, pour le travail comme les échanges avec des Allemands. "On reste aussi entre nous parce qu'on a nos problèmes, nos questions", tempère-t-il.

D'après l'étude du DIW, 57% des réfugiés côtoient régulièrement des locaux, mais moins de la moitié (43%) ont des amis allemands qu'ils voient fréquemment. "De nombreux réfugiés se sentent seuls", commente Jannes Jacobsen. L'universitaire rappelle que "des personnes émigrées et des natifs mettent souvent du temps avant d'interagir". Six années ne suffisent pas toujours, surtout dans un contexte de pandémie et de crise économique, où l'accueil des réfugiés n'est plus la priorité.

Le rapport des Allemands à l'immigration joue également : en 2018, encore 74% d'entre eux restaient préoccupés par cette question, selon le DIW. Ces inquiétudes, en recul depuis 2016, gardent un impact limité sur les populations déplacées : plus de la moitié d'entre eux n'ont ressenti aucune forme de discrimination depuis leur arrivée, affirment-ils dans la même étude.

L'école, moteur d'inclusion

Des élèves réfugiés en cours d'anglais au gymnasium Bertha von Suttner d'Oberhausen (Allemagne), le 16 septembre 2021.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Dans la nouvelle ville de Talaat Hassan, au gymnasium (établissement scolaire du secondaire) Bertha von Suttner, une poignée d'élèves venus d'Irak, d'Afghanistan ou de Serbie apprennent de nouveaux adjectifs en anglais. C'est une tradition ici : depuis plus de vingt ans, on veille à accueillir des élèves exilés. "L'école sans racisme, l'école avec courage", lit-on sur une fresque dans l'escalier.

Et si la clé de l'intégration résidait entre ces murs ? Selon le DIW, plus de 80% des élèves réfugiés expriment un fort sentiment d'appartenance à leur école – davantage que leurs camarades allemands. "En termes d'éducation, l'intégration est un succès", tranche le proviseur, Sascha Reuen.

"L'obligation d'aller à l'école pour tous les mineurs réfugiés a été une bonne décision."

Sascha Reuen, proviseur du gymnasium Bertha von Suttner

à franceinfo

Des écoles comme la sienne ont proposé des classes spécifiques aux réfugiés, avant leur intégration dans le cursus général. D'autres ont préféré un accueil plus rapide des jeunes exilés dans les classes. Esmaeel, venu d'Afghanistan à l'âge de 10 ans, en 2015, a rejoint ses camarades allemands seulement trois semaines après son arrivée. "Beaucoup d'élèves m'ont aidé et j'avais un stylo électronique qui me disait des mots en allemand", décrit l'adolescent. Même si ses notes ont reculé à l'entrée au collège, il se sent désormais "au même niveau que ses camarades de classe".

Sur l'ensemble des jeunes exilés arrivés entre 2015 et 2016 au gymnasium, un tiers a pu intégrer le cursus général, d'après Sascha Reuen. La majorité s'est tournée vers un enseignement technique et professionnel. Un choix pour certains, quand d'autres ont été bloqués par leurs lacunes en allemand.

A Dortmund, l'association de Jamil Alyou vient particulièrement en aide aux jeunes, dont certains suivent ces parcours plus techniques. Le Syrien sait qu'il doit beaucoup à "Train of Hope". Quels défis a-t-il encore devant lui, maintenant qu'il est citoyen allemand, salarié et étudiant en sciences sociales ? "La plus grande difficulté, c'est d'être toujours vu comme un réfugié syrien", répond-il. "Les gens me demandent souvent d'où je viens vraiment, même si j'ai trouvé ma place en Allemagne."

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