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Allemagne : la diplomatie de Berlin ne plie pas devant les Etats-Unis

La semaine dernière, après des mois de scandale au sujet de la NSA et de ses écoutes dans plusieurs pays européens, Berlin a exigé le départ du responsable des renseignements américains en Allemagne. La fermeté de cette décision n’est pas une exception de la diplomatie allemande. Plusieurs fois le pays a revendiqué son indépendance.
Article rédigé par Géopolis FTV
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Les relations de l'Allemagne et des Etats-Unis se sont dégadées depuis les révélations sur les écoutes de la NSA et notamment celles du téléphone portable de la chancelière Angela Merkel. (PAUL ZINKEN / DPA / DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP)
"Il a été demandé au représentant des services secrets américains à l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique de quitter l’Allemagne." C’est avec ces mots que le porte-parole du gouvernement allemand a annoncé la décision de Berlin de ne plus accepter sur le territoire national le responsable des renseignements américains.
 
Ce choix de la chancelière est apparu extrêmement ferme. La presse allemande a d’ailleurs estimé que cet épisode pouvait entraîner une "césure" dans les relations germano-américaines.
 
Malgré cet épisode, dans les deux camps on répète que la crise diplomatique ne peut pas durer bien longtemps, les échanges entre les deux pays les engageant l’un envers l’autre. En septembre 2013, le correspondant de Libération à Berlin écrivait que l’Allemagne devait au plus vite se trouver un leadership diplomatique digne de sa puissance économique. Il semblerait que cette affaire d’espionnage en signale la naissance. Les Etats-Unis n’ont plus qu’à s’y habituer.
 
Interventions
En 2003, Berlin s’était déjà illustré face aux Etats-Unis en rejetant aux côtés des Français et des Russes la deuxième guerre en Irak. Pourtant, deux ans après les attentats du World Trade Center, l’administration Bush semblait prête à tout pour prouver l’existence d’armes de destruction massive en Irak et, par là, la légitimité de son intervention.
 
A cette époque, le chancelier allemand Gerhard Schröder refuse de voter l’intervention à l’ONU et se range à la tête du "camp de la paix" avec la France et la Russie. Face à eux, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne poussent vers une intervention militaire. "Cette organisation (l’ONU, ndlr) a l’occasion de montrer qu’elle a de l’importance et qu’elle sait ce qu’elle veut", déclarait en février 2003 Georges Bush, pressé de voir les Nations Unies adopter le deuxième projet de résolution présenté au Conseil de sécurité par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. 
 

Le refus de la France et l’Allemagne de signer le texte obligera les Etats-Unis à contourner l’autorisation des Nations Unies. Donald Rumsfeld, le secrétaire d’Etat américain à la Défense de l’époque, dira des deux pays qu’ils ne représentent plus que "la vieille Europe".
 
Plus récemment, le 17 mars 2011, l’Allemagne a refusé de signer la résolution 1973 sur la Libye au Conseil de sécurité. Soutenue par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, celle-ci prévoyait notamment la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne. La presse internationale s’était alors empressée de condamner l’"isolement" et le manque de solidarité du pays avec ses alliés.
 
"Priorités stratégiques floues"
Pour expliquer le refus de l'Allemagne de s'engager auprès de ses alliés en Libye, il faut rappeler que la Bundeswehr, l’armée allemande, "fondée en 1955 dans un contexte profondément antimilitariste", comme le rappelle Rue89, n’a qu’un mandat très restrictif : "Défendre le territoire allemand contre les agressions extérieures."
 
Dans un document publié par l’IFRI (Institut français des relations internationales), deux politologues allemands (Mathias Jopp et Daniel Göler) analysent les «fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité allemande» et tentent d'expliquer cette décision. Pour eux, "le Livre blanc sur la politique de défense de 2006 présente de multiples scénarios d’intervention, mais sans hiérarchie claire des priorités". Dès lors, si en 2003 l'engagement de l'Allemagne dans le "camp de la paix est évident", pour la Libye, le pays doit sérieusement réfléchir à la diplomatie qu'il veut pratiquer.
 
Lors du vote au Bundestag sur l’intervention en Libye, Guido Westerwelle, le ministre des Affaires étrangères allemand, "a présenté le risque que les bombardements aériens fassent des victimes civiles comme l’argument décisif fondant la position allemande". Or, l’argument de la violence envers des civils est fondamental dans la politique extérieure allemande.
 
Par ailleurs, le Bundestag pouvait difficilement accepter d’engager des militaires dans une opération rejetée par 70% de la population. Dernier argument : en 2011, l’Allemagne est en pleine année électorale dans ses Länder. 

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