Cet article date de plus de huit ans.

1936: Barcelone, des «jeux olympiques populaires» contre ceux de Berlin

1936. L'année est olympique. Berlin a été choisi pour accueillir les Jeux Olympiques d'été. Un triomphe pour Adolf Hitler, au pouvoir depuis 1933... En cet été 1936, moins d'un mois avant, des contre-jeux avaient été organisés à Barcelone. Ils devaient y réunir des milliers d'athlètes, mais ils ont été été empêchés par le coup d'Etat du général Franco. Retour sur cette «Olimpiada Popular».
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Affiche des Jeux de Barcelone en 1936. (© Iberfoto/Photoaisa/Roger-Viollet).)

En 1931, le CIO (comité olympique international) donne les jeux olympiques d’été à Berlin. L’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 et les premières lois racistes de Nuremberg en 1935 ne modifient pas cette attribution. Décision est prise d’organiser des «contre-jeux» à Barcelone en juillet 1936. Le 19 juillet, les premiers coups de feu du coup d’Etat empêchent la tenue de ces Olympiades populaires.

Dans les années 30, les organisations sportives sont souvent politisées. A gauche, où il existe une tradition socialiste d'organisations de mouvements sportifs populaires, on n’hésite pas à dénoncer les Jeux olympiques comme des «olympiades bourgeoises, chauvines et nationalistes». Avec la prise du pouvoir en Russie par les bolcheviks et la naissance de l’URSS, ce «sport rouge» se divise : la réformiste Internationale Sportive de Lucerne (ISL) se sépare de l’Internationale Rouge Sportive (IRS) fondée à Moscou. «A l’époque, il y avait une coupure idéologique dans le sport», confirme André Gounot, professeur d’histoire du sport à l’Université de Strasbourg.
Affiche de 1938 illustrant le sport soviétique. A cette époque, l'URSS ne fait pas partie du monde olympique. (russieinfo)

Arrive la victoire nazie de 1933 en Allemagne. Moscou décide de changer de politique et abandonne en 34 la stratégie «classe contre classe», consistant à interdire aux communistes de s’allier aux sociaux-démocrates, au profit du «front uni contre le fascisme» qui aboutit à la victoire des Fronts populaires en France et en Espagne en 1936.

Barcelone perd les JO au profit de Berlin 
Réunifié, le mouvement sportif ouvrier décide d’organiser une «olympiade populaire» à Barcelone, qui fut candidate malheureuse contre Berlin en 1931. «La ville comptait d’importantes infrastructures sportives », note André Gounot. De plus, la ville était très ouvrière. Une façon aussi de revenir sur l’échec de Barcelone face à Berlin. Echec qui avait une raison politique. Une partie des décideurs olympiques avaient, en effet, peu apprécié la chute de la royauté espagnole au profit de la république au point que «les représentants du CIO espagnols ont refusé de défendre la candidature de Barcelone», précise André Gounot, auteur d'un livre sur Les mouvements sportifs ouvriers en Europe (1893-1939) (Presses universitaires de Strasbourg).

«Un comité international pour le boycott des jeux fascistes est créé : le Comité international pour le respect de l’idée olympique. En France, la nouvelle fédération sportive de gauche (FSGT) lance le slogan: "Pas un sou, pas un homme pour les JO de Berlin!"», rappelle le site educpopdebout. Après la victoire du front populaire en Espagne, début mai, la Generalitat de Catalogne fixe le programme de l'«Olimpiada Popular» et le Comité d'organisation de Barcelone envoie en juin les invitations officielles. La cérémonie d'ouverture est fixée au 19 juillet 1936.
 
6000 athlètes sont au rendez-vous. Les délégations les plus importantes sont espagnoles et françaises, mais les sportifs viennent du monde entier, URSS et USA compris. La plupart des sportifs sont membres d'associations et de clubs sportifs syndicaux ou bien de partis de gauche. Peu appartiennent aux comités sportifs publics ou olympiques. En France, quelques fédérations sportives autorisent néanmoins leurs membres à participer à ces contre-jeux comme celle d’athlétisme, de rugby ou de lutte.

Des Jeux olympiques pris dans la tempête
L'époque est à la confrontation idéologique. «Monsieur» Hitler est alors considéré comme fréquentable par une partie de la classe politique de droite qui craint par dessus tout la montée du communisme symbolisée par l'image de l'homme au couteau entre les dents. Pas étonnant dans ce contexte que les Jeux Olympiques soient pris dans la tempête. 

La tendance des socialistes au pouvoir est bien sûr de soutenir les jeux de Barcelone alors que la droite, les ligues fascistes et Coubertin prennent fait et cause pour Berlin. Côté communistes, on a un discours clair: «Les Jeux olympiques de Berlin ont le but de propager l'esprit du national-socialisme, de l'esclavage, de la guerre et de la haine raciale. L'Olympiade populaire de Barcelone, au contraire, veut défendre le véritable esprit olympique qui reconnaît l'égalité des races et des peuples et estime que la paix est la meilleure garantie pour l'éducation saine des sportifs et de la jeunesse de toutes les nations», écrivait plein d’enthousiasme l’Humanité du 12 mai 1936. 

Pour le gouvernement de Front populaire de Léon Blum, qui est entré en fonction début juin 36, la question n'est pas majeure. Mais début juillet, le 9, le gouvernement consulte l'Assemblée qui doit se prononcer sur le sujet. Un député communiste résume le débat: «Aller à Berlin, c'est accepter une sorte de complicité avec les bourreaux, c'est river les fers aux pieds des victimes, et c'est couvrir leurs plaintes que de chanter en chœur, avec le maître du Reich, l'hymne à la gloire du sport». Pas de quoi ennuyer la droite qui vote en faveur de la participatrion aux jeux de Berlin. En revanche, la gauche s'abstient, y compris le PCF. La France participera donc aux JO de Berlin. Finalement, le gouvernement accorde 600.000 francs pour les jeux de Barcelone et un million pour ceux de Berlin. Un seul député s'est opposé à cette participation aux JO officiels, Pierre Mendès France.

Des soldats loyalistes à la République font le coup de feu contre les putchistes au lendemain du coup d'Etat de Franco. Ces combats dans Barcelone provoquent l'annulation de la cérémonie d'ouverture des «Olympiades populaires». (STF / AFP)
 
Des jeux stoppés par le coup d’Etat de Franco
Des trains avec à leur bord des athlètes partent à la mi-juillet pour Barcelone. Leurs passages donnent lieu à des fêtes et à des manifestations. Dans Barcelone, des hôtels abritent les délégations de sportifs étrangers venus de 34 pays. La cérémonie d’ouverture, qui doit être présidée par le responsable de la Catalogne (le nationalisme catalan est une composante forte de ces jeux sous couvert d’internationalisme), est prévue dans le stade de Montjuic.
 
Dans la nuit du 18 au 19, les premiers coups de feux éclatent à Barcelone. C'est le début de la guerre civile provoquée par le coup d'Etat du général Franco. Bien que la plupart des sportifs restent dans leurs hôtels dans la journée du 19, certains descendent dans la rue et participent aux combats contre les militaires. Quelques-uns sont blessés ou tués. Le calme revient sur la ville le lendemain. Mais le 23 juillet, Jaume Miravitlles, secrétaire du comité exécutif des Olympiades populaires de Barcelone, annonce l'annulation des jeux. «Les sportifs réfugiés juifs, antifascistes italiens, polonais, etc. sympathisent avec le peuple en armes. Ils affirment être venus défier le fascisme sur un stade. L'occasion leur fut donnée de le combattre tout court», rappelait Pascal Boniface.

La plupart des sportifs quittèrent le pays, mais d'autres, notamment des athlètes venus d'Allemagne, décidèrerent de rejoindre les forces espagnoles anti-franquistes. Moins de quinze jours plus tard, le 1er août 1936, Hitler déclarait ouverts les Jeux Olympiques de Berlin. Et en avril 1937 les avions nazis bombardait la ville espagnole de Guernica. En France, dominait alors la politique de non-intervention.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.