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Départ d'Espagne de Juan Carlos : "On l'a poussé à partir, c'est une conjuration qui est à la fois familiale et gouvernementale"

L'historien spécialiste de l'Espagne contemporaine, Benoît Pellistrandi, estime que l'ancien monarque a été poussé à quitter son pays. 

Article rédigé par franceinfo
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Juan Carlos, le 1er avril 2018.  (JAIME REINA / AFP)

Soupçonné de corruption, l'ancien roi Juan Carlos a annoncé qu'il allait quitter l'Espagne. Il l'a affirmé lundi 3 août dans une lettre adressée à son fils, le souverain Felipe VI. Selon l'historien spécaliste de l'Espagne contemporaine, Benoît Pellistrandi, l'ancien monarque a été "poussé à partir et c'est une conjuration qui est à la fois familiale et gouvernementale".

franceinfo : Peut-on parler d'exil ?

Benoît Pellistrandi : Non, il parle d'un départ, d'un déplacement, et il souligne pour le moment, ce qui laisse ouvert la possibilité d'un retour. Ce qui est vrai c'est que la pression politique est telle que c'est l'institution monarchique qui aujourd'hui est remise en question. Cette institution doit rassembler les Espagnols. Son rôle historique, et c'était celui de Juan Carlos au moment de la transition démocratique après la mort du dictateur Franco en 1975, ça avait été cette capacité d'unir les forces politiques et de créer un consensus en vue de la mise en place de la démocratie espagnole. Or, aujourd'hui, Juan Carlos est objet de scandale, il divise l'opinion publique et donc la monarchie au lieu de rassembler. L'extrême gauche veut atteindre l'institution monarchique qui est derrière Juan Carlos.

Juan Carlos a-t-il été poussé à partir ?

Oui, on l'a poussé à partir et c'est une conjuration qui est à la fois familiale et gouvernementale. Le roi Felipe VI avait besoin que la pression sur l'institution monarchique descende. C'est aussi une conjuration gouvernementale. Il est évident que le gouvernement a préparé la décision de Juan Carlos, qui n'est pas une décision personnelle, il le dit dans sa lettre. Il dit qu'il part avec énormément de tristesse et qu'il a le sentiment d'avoir servi l'Espagne, d'avoir accompli son devoir. Il y a une sorte de mea culpa dans cette lettre, mais derrière j'y vois la revendication de son rôle historique et de sa légitimité.

Ce départ va-t-il affaiblir la monarchie espagnole ?

Oui. L'idée serait d'arriver à un référendum sur la forme monarchique de l'Etat espagnol, mais l'opinion publique est très divisée là-dessus. Je pense malgré tout, et toute la presse espagnole aussi, que c'est la décision la moins mauvaise possible pour sauver la monarchie, que c'est une décision extrêmement douloureuse mais courageuse. Dans la Constitution de 1978 il est écrit que la monarchie c'est Juan Carlos et ses héritiers. Ce n'est pas simplement un membre de la famille royale qu'on écarte parce que son comportement ne serait pas correct, c'est le tronc de la famille royal qui est abattu. Le voir terminer comme ça c'est assez terrible.

Peut-on parler de déchéance de Juan Carlos ?

Il y a une sorte de déchéance. Ce qui est intéressant dans l'opération politique contre la monarchie, c'est que c'est derrière une opération politique contre la démocratie libérale espagnole qui est très attaquée par l'extrême gauche. La monarchie fait partie du pacte démocratique et le vrai rôle de Juan Carlos a été d'unir une Espagne qui sortait d'une dictature. Le miracle qu'a réussi Juan Carlos c'est de faire en sorte que les premières élections libres de 1977 se soient faites avec toutes les forces politiques y compris les communistes.

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