Récit "Nous voulions simplement voter" : à Barcelone, un référendum entre œillets et matraques pour les électeurs catalans
Dimanche matin, les Catalans se sont massés dans les bureaux de vote pour le référendum d'indépendance. Mais des opérations de police ont rapidement fait dégénérer la situation. Récit de cette matinée qui a secoué l'Espagne.
Cinq heures du matin, à Barcelone. Ce dimanche 1er octobre, des milliers d'habitants ont mis leur réveil plus tôt que prévu. Par grappes, ils se répartissent devant les bureaux de vote du référendum d'autodéterminiation de la Catalogne, jugé illégal par le Tribunal constitutionnel. Des personnes âgées avec leur canne côtoient des jeunes barbus et des actifs accrochés à leur smartphone. Tous ont un objectif : garder les bureaux de vote ouverts, coûte que coûte.
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"Nous allons rester ici toute la journée, explique une mère de famille postée devant l'école élémentaire Dels Encants. La police peut intervenir à tout moment." Alors, pendant de longues heures, tous les habitants restent debout pour protéger le bureau de vote. Les parapluies s'ouvrent et se ferment au rythme des intempéries. Un petit déjeuner s'organise et des chaises sont apportées pour les personnes âgées. "Ca me donne des frissons de voir tous ces gens rassemblés", commente un habitant. Le calme domine, mais la tension est bien là.
Des urnes discrètement livrées au bureau de vote
Aux alentours de 7 heures du matin, un bruit se diffuse dans la foule, habituellement calme : "Mossos, Mossos, Mossos..." Les habitants se serrent les uns contre les autres. Au bout de la rue, deux Mossos d'Esquadra, la police catalane, arrivent en direction du bureau de vote. Après un rapide constat de la situation, ils restent à quelques mètres du bâtiment, sans tenter d'intervenir. Sur les groupes WhatsApp des habitants, infos et intox circulent sur la situation. La rumeur se propage : des policiers se sont rendus dans d'autres bureaux de vote de Catalogne pour saisir les urnes.
Applaudissements et "Votarem" devant le bureau de vote, au moment où les volontaires entrent. pic.twitter.com/jGcfadnGCz
— Robin Prudent (@robin_prudent) 1 octobre 2017
Ces si précieuses urnes, justement, font leur arrivée à l'école Dels Encants. Une large voiture grise se gare sur un côté. Quelques personnes sortent des sacs plastiques noirs du coffre et s'engouffrent dans le bâtiment avec le précieux matériel. En quelques secondes, les urnes sont installées, sans même que les centaines d'habitants rassemblés ne s'en rendent compte. Sous les applaudissements, des volontaires entrent enfin dans le bureau de vote afin d'organiser le scrutin qui approche. Il est bientôt 9 heures...
Face-à-face tendu à l'école Ramon Llull
"Tout se passe bien pour le moment", souffle l'un des organisateurs. Le bureau de vote de l'école Del Encants va pouvoir ouvrir en temps et en heure. A quelques centaines de mètres de là, au bout de la rue, l'ambiance n'a rien à voir. Le groupe anti-émeute de la police, équipé d'armes, casques et boucliers, s'est déployé près du bureau de vote situé dans l'école Ramon Llull. La tension monte vite entre les électeurs, rassemblés devant, et la police, qui forme un barrage autour.
Alors que les organisateurs tentent de poursuivre le vote à l'intérieur, des policiers encagoulés entrent brusquement dans le bâtiment et saisissent de force les urnes du référendum, comme l'ont montré des images diffusés sur les réseaux sociaux. Tout autour, des centaines d'habitants brandissent leur bulletin de vote et huent les forces de l'ordre.
A l'extérieur aussi, l'ambiance est électrique. Le face-à-face s'est déplacé d'une rue où les électeurs organisent un sit-in pour bloquer les fourgons de police. Ils semblent décidés à ne pas bouger, malgré les ordres et la pluie battante. Des pompiers de la ville tentent de jouer les médiateurs entre les deux camps. En vain. Après une dernière sommation, les policiers chargent et rouent de coups des manifestants assis.
Images violentes : des électeurs assis sont chargés par la police près du bureau de vote de Ramon Llull. #10ct pic.twitter.com/T9VdRDD9aT
— Robin Prudent (@robin_prudent) 1 octobre 2017
Plusieurs blessés près d'un bureau de vote
Les gyrophares de la police laissent rapidement place aux sirènes des ambulances. Plusieurs personnes ont reçu des projectiles en caoutchouc. "Nous voulions simplement voter", raconte calmement David, un Catalan d'une trentaine d'années, blessé à la jambe. Les habitants restent sur place, hagards, comme abasourdis par ce déchaînement soudain de violence.
Tout juste arrivés dans le quartier, des observateurs internationaux, conviés par le gouvernement catalan pour suivre le scrutin, écarquillent les yeux lorsque les habitants leur montrent les munitions utilisées par les policiers. "Je suis très choqué, lance Mark Demesmaeker, député européen. J'appelle la Commission européenne à s'exprimer maintenant et à dire à Rajoy que ce n'est pas possible."
"Je resterai jusqu'à la fermeture s'il le faut"
A quelques centaines de mètres en amont, près de l'école Dels Encants, les électeurs sont, eux, de plus en plus nombreux. Il est midi et la file d'attente mesure plus de 500 mètres de long devant l'école Dels Encants. "Cela fait cinq heures que j'attends. Mais peu importe le temps, je resterai jusqu'à la fermeture s'il faut, explique Sonia. Je veux voter."
Environ 500m de queue devant le bureau de vote "dels Encants" à Barcelone (selon mes calculs avec Google Maps). #1Oct pic.twitter.com/IzmqyjvfqR
— Robin Prudent (@robin_prudent) 1 octobre 2017
A l'inverse de l'école Ramon Llull, tout le matériel électoral est en place dans cet établissement. "Les habitants votent depuis ce matin et nous avons fait passer les personnes âgées en priorité", explique un observateur du bureau. Les habitants avancent au compte-goutte, mais peuvent tous glisser leurs bulletins dans les urnes. Ils sont nombreux à immortaliser ce moment avec leur smartphone.
Ici, pas de matraques. Un homme fait même son entrée avec un bouquet d'oeillets, symbole du mouvement d'indépendance. Il distribue les fleurs à chaque personne sur place et prend dans ses bras un observateur du scrutin. Des rires et des applaudissements surgissent dans la salle. Un pied-de-nez à ceux qui ont tenté de les faire taire.
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