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"Le recours à la force n'était pas justifié" : après le référendum, la rébellion des policiers et pompiers catalans ?

Maintenir l'ordre public tout en rêvant de l'indépendance de leur région... En Catalogne, les hommes en uniforme sont au cœur d'un drôle de dilemme. Et parfois, les esprits s'échauffent.

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Barcelone (Espagne)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des Mossos, des policiers catalans, montent la garde, le 23 septembre 2017, à Barcelone (Espagne) (LLUIS GENE / AFP)

Il y a d’abord eu cette touriste italienne qui cherchait les Ramblas. Puis cet Américain en quête d’un distributeur de billets. Et c’est à peu près tout. Adossés à la fourgonnette, Miguel* et Pablo*, deux agents des Mossos, les forces de police de la Catalogne, ne sont pas mécontents du calme qui règne dans les rues de Barcelone, mercredi 4 octobre. La veille, la journée n'a pas été des plus reposantes : 700 000 personnes sont descendues dans la rue pour protester contre les violences de la Guardia civil, la police nationale, qui dépend de Madrid.

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Dimanche, des affrontements ont éclaté entre ses membres et des Catalans venus participer au vote. Face au déferlement de violence, certains Mossos ont même fini par s'interposer entre les manifestants et leurs "collègues" venus de Madrid. "Ce qui s’est passé, c’est fou, le recours à la force n’était pas justifié, s’emporte Miguel. Je n'avais jamais vu ça." Depuis trois jours, les Mossos échangent sur leurs téléphones portables les photos des blessés"Des jeunes, des voisins, des personnes plus âgées... C’était de l’hystérie", s’agace Pablo.

On est habitués à faire face à des situations tendues avec des étudiants, des mouvements extrémistes, ou avec des supporters de foot. Mais on n’avait jamais, jamais, jamais vu une violence pareille !

Miguel, policier catalan

à franceinfo 

La défiance s'est installée, à tel point que Miguel est même persuadé qu'il y a eu des provocations de la part de Madrid. "Il y avait de nombreux policiers nationaux habillés en civil, ils venaient de toute l’Espagne, affirme-t-il. Ils ont reçu l’ordre de Madrid de provoquer discrètement des incidents pour justifier l’usage de la force."

Deux voitures de la police catalane stationnées place de Catalogne à Barcelone (Espagne), le 4 octobre 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"La police est un reflet de la société"

Faut-il voir dans cette réaction le signe d'une rébellion qui s'installe dans les rangs des Mossos ? Mercredi, son chef, Josep Lluis Trapero, a été convoqué en vue d’une mise en examen dans le cadre d'une "enquête pour sédition", passible de quinze ans de prison pour un fonctionnaire. La police catalane a en effet été accusée d'avoir tardé à intervenir pour dégager des Gardes civils encerclés par des manifestants le mois dernier. Signe que la situation est anormalement tendue, le porte-parole de la Fédération des professionnels de la sécurité publique en Catalogne (Fepol), le principal syndicat des Mossos, explique à franceinfo qu'il n'y aura "pas de communication" de sa part "jusqu'à nouvel ordre". Valentín Anadón est pourtant un habitué des plateaux de télévision.

Pablo préfère garder pour lui sa position sur le sujet. Mais il l'assure, il n'y a pas de sédition chez les Mossos, "pas de projet secretrien !" En insistant, il reconnaît que certains de ses collègues sont "plus extrémistes que les autres". "On est un reflet de la société, ajoute Miguel, indépendantiste assumé. Il y a de tout, des pour et des contre." Lors des patrouilles, il peut très bien tomber sur des collègues "à fond pour" et d’autres qui se sentent "espagnols à 200%". Dans l'équipe, ce jour-là, "on est huit. Eh bien, c’est moitié-moitié : quatre pour, quatre contre." 

"Si c'était à refaire, je le referai"

Les vrais indépendantistes, les vrais rebelles, "ils sont plus du côté des pompiers catalans", assure Pablo. "Pas plus qu’ailleurs", rétorque Pere Martínez Torrado, coordinateur pompiers au sein du syndicat des travailleurs CCOO. Lui-même a voté dimanche. Pour le "oui"Ma fonction m’interdit de vous le dire", répond-il, un sourire en coin. Il admet cependant que la question prend de plus en plus d’importance dans le travail au quotidien.

Ce qui est sûr, c’est qu’on ne tiendra pas longtemps comme ça. Et faire la guerre ne sera surtout pas une solution. Pas en 2017, pas en Espagne, pas après notre histoire récente.

Pere Martínez Torrado, syndicaliste

à franceinfo

Pere Martínez Torrado, responsable de la section pompiers au sein du syndicat des travailleurs CCOO, à Barcelone (Espagne), le 4 octobre 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Dimanche, à l'instar de certains Mossos, des pompiers catalans se sont interposés entre la Guardia civil et les manifestants. L'image a fait depuis le toujours du monde. "Ça, ça va marquer l’histoire", assure Pere Martínez Torrado. L'idée de créer ce cordon de sécurité est venu "naturellement", raconte à franceinfo Salvador Oriol, pompier et chef d'équipe. Simplement parce que "notre mission, c’est de protéger les populations contre les dangers". "Si c’était à refaire, je le referai", assure-t-il.

Salvador Oriol s’était déjà fait remarquer le 24 septembre. Ce jour-là, avec 200 autres pompiers, ils avaient accroché une immense banderole sur la façade du musée d’Histoire de la Catalogne à Barcelone. Dessus, on pouvait lire ce mot : "Démocratie." Le message adressé à Madrid ne pouvait pas être plus clair.

* Les prénoms ont été modifiés.

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