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Espagne : le droit à l’avortement en sursis

Le ministre espagnol de la justice entend restreindre le droit à l’avortement. La plupart de ses compatriotes s’y opposent. Mais majoritaire à l’Assemblée, le Parti populaire, de droite, risque de faire passer la réforme dès la rentrée. C'est ce que pense Laura Montero, représentante d’une association féministe espagnole, que nous avons interviewée.
Article rédigé par Florencia Valdés Andino
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Pour protester contre la réforme Gallardon, de centaines de femmes ont manifesté à Madrid. (Dani Pozo / AFP)

«La liberté de la maternité est la seule chose qui fait des femmes de vraies femmes », a déclaré le ministre de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardón, à propos de l’avortement. Sa phrase n’a fait qu’attiser les flammes d’un débat qui a toujours soulevé les passions dans le pays.  

Depuis le début de l’année, le ministre chargé de l'épineux dossier, ne cesse de multiplier les effets d’annonce. Il souhaite réformer la loi encadrant l’IVG. Ses objectifs : tenir une promesse de campagne et durcir la législation.

La porte-parole du gouvernement Rajoy annonce la réforme sur l'avortement. Europa Press décembre 2011.

Sans vraiment délimiter les contours de sa réforme, il a déjà précisé que la malformation du fœtus ne sera plus une raison valable pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Politiques, représentants d’associations et des milliers de femmes directement concernées ont protesté.

Leur principale interrogation : comment garder un enfant qui aura besoin de soins spécifiques si on ne peut plus assumer les coûts et si l’Etat ne peut plus apporter son soutien ? Il faut dire qu'avec la crise économique qui frappe l’Espagne, le gouvernement de droite de Mariano Rajoy fait de très importantes coupes budgétaires dans les prestations sociales. 

«Le gouvernement veut une société conservatrice »
Certains accusent le gouvernement de faire diversion alors qu’il fait face à une forte contestation sociale et une crise de confiance.  Pour Laura Montero, représentante de l’association féministe Mujeres ante el Congreso, il n’en est rien.

«Le gouvernement de Rajoy cherche en fait à imposer une vision ultra-conservatrice de la société. Sa réforme est une façon tendancieuse de restreindre peu à peu le droit des femmes de disposer de leur propre corps. La crise qui frappe notre pays n’est pas uniquement économique, c’est une crise des valeurs qui touche tous les aspects de notre quotidien».

Et de poursuivre : « Ce débat n’est que la partie émergée de l’iceberg. Depuis que le PP est au pouvoir, et même avant, on s’attaque aux droits des femmes tout simplement en étranglant économiquement les cliniques pratiquant les IVG et les plannings familiaux ».

Les Espagnols s’opposent à la réforme, selon les sondages
Selon une récente enquête d’opinion, 81% des personnes interrogées sont contre la réforme, dont 65% de l’électorat du Parti populaire et 64% de catholiques pratiquants.

De nombreuses associations, dont Mujeres ante el Congreso, ont manifesté contre la réforme Gallardon, le 29 juillet 201.

Malgré ces pourcentages encourageants, Laura Montero n’est pas optimiste : «Je pense que le PP adoptera la réforme dès l’automne. Il est majoritaire à l’Assemblée et ces derniers mois, il approuve loi sur loi sans se soucier des conséquences pour les Espagnols».

Une lente évolution de la législation
En 1985, l’Espagne a été un des derniers pays à dépénaliser l’avortement en Europe. Mais sous certaines conditions. Pour pratiquer une IVG, il fallait invoquer un argument thérapeutique (maladie...), un viol ou une malformation du foetus. Dans le cas contraires, les femmes risquaient la prison.

Ce n’est qu’en 2010, sous le gouvernement socialiste de Zapatero, que l’avortement devient un droit. Et la législation s'assouplit : pendant les quatorze premières semaines de grossesse, les femmes ne doivent plus se justifier pour décider d’avorter. Par ailleurs, à partir de 16 ans, les jeunes filles n’ont pas besoin de l’autorisation de leurs parents. Les peines de prison deviennent de simples contraventions.

A l’époque, les catholiques sont scandalisés, certains gouvernements locaux (régions autonomes) de droite refusent d’appliquer la loi, alors que ceux qui sont en faveur de l'avortement estiment que le texte ne va pas assez loin. Celui-ci a pemis, néanmoins, à l’Espagne de rattraper son retard en la matière par rapport à ses voisins européens.

En 2010, des milliers de "pro-life" ont manifeté contre la nouvelle loi de l'avortement.

Le retour du "tourisme de l'avortement" ?
Mis à part la régression en matière de droits des femmes, le corps médical craint surtout le retour à la situation d’avant 1985, date de la dépénalisation. Environ 100.000 avortements étaient alors pratiqués en moyenne chaque année clandestinement. Selon la gynécologue Francisca Garcia Gallego, en 1976 plusieurs centaines de femmes sont mortes en 1976 à la suite d’une IVG artisanale qui a mal tourné. Le nouveau projet du gouvernement pourrait entraîner le retour du «tourisme de l'avortement» en Europe.

L'opposition se mobilise
Le Parti socialiste (PSOE) dénonce avec véhémence le projet du gouvernement pour éviter le retour de ces pratiques. Des eurodéputés de l’opposition, tous partis confondus, ont fait appel à l’Union européenne pour empêcher Alberto Ruiz-Gallardón de venir à bout de son projet.

Certains analystes politiques estiment que cette réforme est une tentative désespérée du PP de récupérer des voix, notamment auprès des catholiques extrémistes, ravis de la possible réforme. De son côté, le Parti populaire n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.

 

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