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Législatives anticipées en Espagne : le dernier coup de poker du Premier ministre socialiste Pedro Sanchez pour rester au pouvoir

Les électeurs espagnols retournent aux urnes dimanche. Le chef du gouvernement socialiste a avancé le scrutin de six mois, dans une tentative de contrer la droite mais aussi d'éteindre la contestation dans son propre camp.
Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Premier ministre Pedro Sanchez a convoqué des élections législatives anticipées dimanche 23 juillet 2023 en Espagne. (PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP / PAULINE LE NOURS)

Une tactique politicienne ou un geste d'apaisement envers les Espagnols ? Après la déconvenue de la coalition gouvernementale aux élections régionales et municipales, fin mai, le Premier ministre Pedro Sanchez a convoqué des législatives anticipées. Le chef de file des socialistes affirme vouloir ainsi "soumettre [son] mandat démocratique à la volonté populaire", qui est invitée à s'exprimer dans les urnes dimanche 23 juillet en Espagne.

Certains voient d'autres motivations derrière cette annonce. Il faut dire qu'elle a pris presque tout le monde de court : le Premier ministre s'est décidé quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, le 28 mai, entouré uniquement de ses plus proches collaborateurs, rapporte El Pais. Le reste du gouvernement et ses alliés de la gauche radicale n'ont pas été consultés. "Personne ne s'y attendait, mais ça colle avec la personnalité de Pedro Sanchez : c'est un ancien joueur de basket, qui a l'habitude de foncer", remarque Maria Elisa Alonso, politologue et enseignante-chercheuse à l'université de Lorraine.

Un "handicap" pour les socialistes ?

"Certains diront que c'est un excellent stratège, mais aussi un opportuniste", résume Antoine de Laporte, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès. "Il donne l'image d'un politicien cynique, dont la parole n'est pas digne de confiance, prêt à changer de position à tout moment", ajoute Benoît Pellistrandi, historien et professeur en classes préparatoires au lycée Condorcet, à Paris. En décembre 2019, le dirigeant socialiste avait ainsi annoncé une coalition gouvernementale avec la gauche radicale de Podemos, "alors qu'il avait juré quelques mois plus tôt de ne jamais s'allier avec eux", rappelle l'historien.

"Pedro Sanchez est un Premier ministre clivant, détesté d'une partie de la société espagnole. Il ne peut pas faire un déplacement sans être visé par des cris et des quolibets."

Antoine de Laporte, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès

à franceinfo

Le chef du gouvernement irrite autant la droite que les plus anciens cadres du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). "Pendant la campagne pour les régionales et municipales, il s'est mis en avant constamment, au détriment d'élus et candidats locaux pourtant appréciés, souligne Benoît Pellistrandi, auteur de l'ouvrage Les Fractures de l'Espagne (Gallimard, 2022). Cet excès de communication a transformé ces élections locales en un plébiscite anti-Sanchez : il est devenu un handicap pour les socialistes."

Difficile toutefois d'imputer la seule responsabilité de la victoire des conservateurs du Parti populaire (PP) à la personnalité du Premier ministre. Car le PSOE a aussi été plombé par ses alliances, notamment avec les indépendantistes catalans et basques. "Lors des élections de mai, le parti basque EH Bildu a présenté une quarantaine de candidats qui avaient été condamnés pour des actes en lien avec l'organisation ETA", relève Maria Elisa Alonso. Sept d'entre eux, qui avaient été emprisonnés pour assassinat, ont finalement renoncé, selon RTVE.

Un bilan positif "occulté" par les polémiques

La cohabitation avec Podemos n'a pas non plus toujours été aisée. Les dissensions au sein de la coalition gouvernementale ont souvent été ébruitées dans la presse, donnant l'image d'une alliance en manque d'unité. "Pedro Sanchez a procédé à plusieurs remaniements, en changeant uniquement des ministres socialistes, note par ailleurs Benoît Pellistrandi. Il semblait moins être le chef du gouvernement que le chef du parti le plus puissant au sein d'un exécutif à deux têtes."

Le socialiste Pedro Sanchez et le confondateur de Podemos, Pablo Iglesias, signent un accord de coalition à Madrid, le 12 novembre 2019. (BURAK AKBULUT / ANADOLU AGENCY / AFP)

Le bloc de gauche a surtout souffert des polémiques autour d'un texte emblématique porté par Podemos, baptisé "Seul un oui est un oui". Entré en vigueur fin 2022, il place la notion de consentement au cœur de la loi sur les violences sexuelles, rappelle El Pais. Censé être une avancée majeure pour les droits des femmes, "il a eu des effets inattendus", constate Benoît Pellistrandi. La loi, qui abaisse la peine minimum pour ces délits, "a mené à des réductions de peine pour [plus de 1 000] agresseurs sexuels et à des sorties de prison anticipées". Elle a "finalement été révisée à l'initiative des socialistes, avec le soutien du PP, ce qui a entamé la crédibilité de la coalition", poursuit l'historien.

Ce type de polémiques a "occulté" le bilan de l'exécutif, juge Benoît Pellistrandi. L'Espagne a pourtant "un chômage en baisse et un taux d'inflation parmi les moins élevés d'Europe", observe Maria Elisa Alonso. La coalition de gauche a aussi "fait adopter un accord historique sur le droit du travail, voté une loi encadrant les loyers pour répondre à la grave crise du logement, revalorisé le salaire minimum et les retraites, créé un congé menstruel", liste la politologue.

"En quatre ans, le gouvernement de Pedro Sanchez est parvenu à adopter de nombreuses réformes. Mais les classes moyennes ne perçoivent pas encore ces évolutions dans leur quotidien et les socialistes n'ont pas réussi à tirer parti de ces succès."

Maria Elisa Alonso, enseignante-chercheuse à l'université de Lorraine

à franceinfo

Après la déroute des régionales, le Premier ministre a pris "la moins pire des mauvaises solutions", estime Antoine de Laporte. "Il risquait de voir sa popularité s'éroder lentement jusqu'aux législatives, initialement prévues en décembre, abonde Maria Elisa Alonso. Et dynamisé par sa victoire aux élections de mai, le PP aurait constamment attaqué le gouvernement." En avançant le scrutin de six mois, Pedro Sanchez voulait donc empêcher la droite de mener une campagne dévastatrice pour le PSOE.

Cette manœuvre lui a aussi servi à étouffer "toute tentative de remise en question [de son leadership] au sein du Parti socialiste", analyse Benoît Pellistrandi. Le Premier ministre est "contesté par une partie de la direction" du mouvement, confirme Antoine de Laporte. Mais personne ne voulait risquer de déstabiliser plus encore le PSOE en exposant ses querelles internes. "Jusqu'au 23 juillet, les socialistes devaient afficher une unité de façade", pointe l'expert associé à la Fondation Jean-Jaurès.

"Jouer sur la peur" de l'extrême droite

En avançant la date des élections législatives, Pedro Sanchez a donc contraint son parti, mais aussi ses alliés de la gauche radicale, à s'unir. Depuis des mois, les négociations traînaient entre Podemos et Sumar, nouveau mouvement fondé par la ministre du Travail Yolanda Diaz. L'urgence les a finalement menés à une alliance fragile, mais qui pourrait permettre à la coalition progressiste de rester au pouvoir, rapporte la chaîne RTVE.

Selon les sondages, ni le PP ni le PSOE ne parviendront à réunir la majorité absolue de 176 sièges sur les 350 du Congrès des députés, la chambre basse espagnole. "Ils auront besoin d'une coalition. La force politique qui arrivera en troisième position sera décisive : soit le parti d'extrême droite Vox, soit Sumar", décrypte Maria Elisa Alonso. Selon la politologue, "Pedro Sanchez va essayer de jouer sur la peur de Vox pour remobiliser ses électeurs". 

Le leader du parti d'extrême droite Vox, Santiago Abascal, et le Premier ministre Pedro Sanchez, à l'arrière-plan, lors d'une session du Parlement espagnol à Madrid, le 3 décembre 2019. (PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP)

Dès les premiers jours de cette campagne éclair, le Premier ministre a ainsi martelé qu'il n'existait "pas de différence" entre Vox et les conservateurs. Les plus de 130 accords d'alliance signés par ces mouvements à l'issue des régionales et municipales, qui "révèlent à quel point le PP accepte l'idéologie de l'ultradroite", selon la radio Cadena Ser, pourraient donner du poids à cette affirmation.

>> Elections législatives en Espagne : l'ascension fulgurante de Vox, le parti d'extrême droite qui pourrait redonner le pouvoir aux conservateurs

Le pari du leader socialiste est toutefois risqué, car l'écart entre les blocs de gauche et de droite est serré. Le PSOE, à lui seul, ne totalise que 28,7% d'intentions de vote, selon El Pais, derrière le PP (32,9%). Et son allié de Sumar (13,7%) est au coude-à-coude avec Vox (13,5%). "Pedro Sanchez sait qu'il est acculé : soit il perd le pouvoir, soit il obtient quatre ans de plus à la tête de l'Espagne. Il n'a rien à perdre", révèle Antoine de Laporte. Ce coup de poker peut-il payer ? "Si le PSOE gagne les élections, la contestation au sein du parti s'apaisera, même si des désaccords de fond demeureront entre le Premier ministre et certains cadres", avance l'expert associé à la Fondation Jean-Jaurès. Quel que soit le résultat, "la victoire comme la défaite des socialistes aux législatives seront aussi celles de Pedro Sanchez".

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