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Récit De La Rambla à Subirats, les 96 heures en cavale de Younès Abouyaaqoub

Article rédigé par Raphaël Godet, franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une photo de Younès Abouyaaqoub, auteur présumé de l'attentat à Barcelone (Espagne), diffusée le 18 août 2017 par la police de Catalogne. (MOSSOS D'ESQUADRA / AFP)

Après avoir lancé sa camionnette sur La Rambla de Barcelone, jeudi, le terroriste de 22 ans a ensuite disparu dans la nature. Avant de réapparaître quatre jours plus tard et d’être abattu par la police. Franceinfo a retracé sa cavale.

C’est un film de quatre jours que les enquêteurs catalans tentent de reconstituer. De 96 heures précisément, entre le moment où Younès Abouyaaqoub est passé à l’action sur La Rambla de Barcelone et celui où sa traque a pris fin, à Sant Sadurni d’Anoia. Ils tentent de retracer heure par heure, et parfois minute par minute, la cavale de celui qui était alors l'homme le plus recherché d'Espagne. Qu’a-t-il fait, par où est-il passé, a t-il croisé quelqu'un ?

Le chemin de terre où Younès Abouyaaqoub a été abattu par la police, le 21 août 2017, près du village de Subirats (Espagne). (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Jeudi 17 août, 16h50. Au volant d'une fourgonnette blanche, le terroriste de 22 ans fonce sur la foule présente en masse sur la célèbre avenue barcelonaise. Le bilan est terrible : quatorze morts et 120 blessés. Sa course folle prend fin 600 mètres plus bas, au niveau de la station Liceu. Younès Abouyaaqoub descend alors du véhicule et disparaît. Dans un premier temps, l'hypothèse d'une fuite par le métro est privilégiée. Mais sa silhouette n’apparaît sur aucune caméra de surveillance du réseau de transport. En effet, Younès Abouyaaqoub n'emprunte pas le métro. Il s'engouffre dans le célèbre marché de la Boqueria, situé quelques dizaines de mètres plus haut. Il fuit en profitant de la panique des passants, qui ne savent pas encore ce qui s’est réellement passé.

Sur les images de vidéosurveillance, auxquelles a eu accès le journal El País (lien en espanol), on le voit en train de marcher, très calmement. Il porte des lunettes de soleil et un polo à rayures. La dernière échoppe devant laquelle il passe est un bar, La Gardunya. Son cogérant, rencontré par franceinfo, dit avoir "encore du mal" à se dire qu’il est passé "juste ici", "tranquillement, pendant que c’était l’horreur quelques mètres plus loin, sur La Rambla", lâche-t-il, encore ému. 

Evidemment, c’était impossible de remarquer quelque chose. Lorsqu’il est passé, on comprenait à peine ce qui s’était passé. 

Cogérant du bar La Gardunya

à franceinfo

Couloir emprunté par Younès Abouyaaqoub dans le marché de la Boqueria (Barcelone), le 17 août 2017.  (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Il aurait marché "de nuit"

Puis le Marocain de 22 ans continue à pied, dans les petites rues du quartier du Raval, mais "sans courir pour ne pas attirer l’attention", croit savoir le journal catalan La Vanguardia (lien en espagnol). Il traverse toute la ville, jusqu’à atteindre la zone universitaire située à quatre kilomètres de La Rambla. Sur place, il aborde un automobiliste sur un parking. Il le poignarde, place le corps à l'arrière du véhicule et s’enfuit au volant de sa Ford Focus.  

Le voilà déterminé à quitter le plus vite possible cette ville en état de siège. Vers 18h30, il tombe sur un barrage de police au niveau de la Diagonal, ce long boulevard qui traverse Barcelone d’est en ouest sur onze kilomètres. Il ne s'arrête pas et renverse un agent. Les policiers ripostent en tirant. En vain : la Ford Focus blanche est déjà loin. On la retrouvera quelques heures plus tard à Sant Just Desvern, une banlieue proche de Barcelone. A l’intérieur, gît le corps de Pau Pérez Villan, aujourd'hui considéré comme la quatorzième victime de Younès Abouyaaqoub. 

Un habitant est persuadé d'avoir entendu le fugitif passer un coup de téléphone "en arabe". Mais à qui ? Pas de réponse pour le moment. A vrai dire, c'est à partir de là que sa trace est réellement perdue. La piste d’une fuite à l’étranger, notamment en France, est évoquée. Finalement, non. Younès Abouyaaqoub a quitté Barcelone, certes, mais il n'est pas très loin. Pour se rendre dans la région de Subirats, à l’ouest de Barcelone, où il a été abattu lundi 21 août, le terroriste se serait déplacé "à pied" pendant "la nuit", rapporte de source policière La Vanguardia. Il est vrai que des sentiers permettent de le faire. A travers champs, 34 kilomètres séparent Barcelone de cette région viticole, en voiture, 55. "Oui, c’est faisable pour quelqu’un qui est un minimum en forme, explique Luis, un habitant du coin à franceinfo. Je l’ai déjà fait plusieurs fois, à vélo ou à pied."

Il faut compter six ou 7 heures de marche. Ce sont des chemins de terre, légèrement vallonnés, à travers le vignoble.

Luis

à franceinfo

Luis tient aussi à nous préciser qu'on trouve régulièrement des petites cabanes le long du chemin, "c'est idéal pour se reposer ou se cacher." 

"Je suis sûre que c’était lui"

Lundi 21 août, tout s’accélère. Les Mossos, les policiers catalans, ont désormais la certitude qu'il était le conducteur de la fourgonnette qui a foncé sur la foule. L'avis de recherche est actualisé. Vers 15 heures, une riveraine appelle la police locale après avoir aperçu le terroriste à proximité d’une station-essence. Une autre femme, que franceinfo a pu rencontrer, pense elle aussi l’avoir croisé, pratiquement au même endroit. Mais elle affirme qu'il était au volant d’une voiture, une piste que les forces de l'ordre n'ont pas encore vérifiée. "Je suis sûre que c'était lui, il avait l’air nerveux, stressé.", se souvient-elle. Elle a demandé à son mari de prévenir la police.

La station-service où Younès Abouyaaqoub a été vu, à Subirats (Espagne), le 21 août 2017. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Ces différents appels permettent aux policiers de se déployer dans le secteur. Plusieurs opérations ont lieu en même temps. Sur la commune de Sant Sadurni d’Anoia, une partie du centre-ville se retrouve encerclée par les forces d’intervention. "Je dirais que ça a duré près de deux heures, raconte à franceinfo David, un mécanicien dont le garage donne sur une place. On ne savait pas ce qui se passait, les policiers nous ont ordonné de baisser le rideau. Je l’ai fait pour mon garage. Ils cherchaient partout. Ils ont notamment fouillé la camionnette de Marcel, le voisin." Luis aussi est cloîtré chez lui : "Quand j’ai entendu à la radio qu’il était dans le secteur, mon Dieu… Je suis vite rentré à la maison et j’ai tout fermé à clé."

Un "ermite"

Finalement, c’est quelques kilomètres plus loin, à proximité d'une station d'épuration, que Younès Abouyaaqoub est localisé. Encerclé, le fugitif se met alors à crier "Allahou Akbar", avant de montrer ce qui ressemble à une ceinture d'explosifs (qui s'avérera factice). Les policiers tirent, Younès Abouyaaqoub meurt sur le coup.

Dans ses colonnes, La Vanguardia (lien en espagnol) écrit qu'il se trouve alors toujours en possession de ses lunettes de soleil, "de fausses Ray Ban". Les policiers retrouveront aussi sur lui deux couteaux et un canif. Mais pas de sac à dos, pas de téléphone portable, pas d’argent. Il avait l'air d'un "ermite", poursuit le journal espagnol. Il était "sale", ne portait pas les mêmes vêtements que le jour de l'attentat, lorsqu'il a été filmé par les caméras de vidéosurveillance. Ce qui pourrait laisser penser que quelqu'un l'a aidé. Les enquêteurs sont en train de creuser cette hypothèse. 

Simple coïncidence ou non : plusieurs personnes, que franceinfo a pu interroger, affirment avoir vu Younès Abouyaaqoub dans la région "il y a trois mois". "J’ai fait le rapprochement quand l’avis de recherche a commencé à être diffusé", explique un jeune de la région. Mais à ce stade, rien n'affirme qu'il s'agissait vraiment de lui. "Les Marocains sont très présents dans la région, explique Luis. Beaucoup travaillent dans les vignes." Des perquisitions ont en tout cas eu lieu, mardi 22 août, dans la région. Il faudra encore du temps pour éclaircir les zones d'ombre laissées par celui qui a été l'homme le plus recherché d'Espagne pendant quatre jours.

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