Une loi pour interdire les jets privés ? "C'est plus de l’ordre du symbole qu’autre chose", s’insurge le lobbyiste européen du secteur
Un avion vient de se poser de Chambéry à l'aéroport du Bourget, au nord de Paris. La ville savoyarde n’est pourtant qu’à trois heures de Paris en TGV. Impossible de savoir qui en descend car la compagnie se trouve derrière une immense porte fermée et refuse toute mise en contact avec ses clients pour des questions de confidentialité, prétexte-t-on. Idem pour les demandes effectuées par mails, textos, téléphone… Aucun client de ce milieu très secret n'a voulu répondre à nos questions.
"C’est ce qu’on appelle des gens low profile", confie un pilote qui a accepté de nous répondre sous couvert d’anonymat. Les gens que je suis amené à transporter ne ressemblent en rien à, par exemple, ces pasteurs américains qui ont besoin de Gulfstream G650 [un jet d'affaires biréacteur] pour être plus près de Dieu." Après 3 000 heures de vol, il se pose quand même des questions. "La culpabilité peut être là, même si le terme est un peu fort, quand on n'optimise pas autant qu’on pourrait", admet-il.
"Transporter une personne dans un Airbus A320, c’est un truc avec lequel j’ai du mal."
Un pilote de jet privéà franceinfo
C'est très rare, assure Isabelle Clerc, à la tête d'AéroAffaires qui organise les voyages d'affaires clé en main. "80 à 90% de mon activité ce sont des cadres dirigeants qui veulent mettre soit des techniciens soit des collaborateurs dans les avions parce que c’est la seule alternative qu’il y a, aux quatre coins de l’Europe", décrit-t-elle. Par exemple, ce vol Toulouse-Gdansk en Pologne permet à un technicien de réparer une chaîne de montage en une seule journée, alors qu'il aurait fallu trois jours pour s'y rendre avec des avions de ligne régulière. "Ce qu’on a dit à Monsieur Bayou c’est qu’interdire des vols, ce n’est pas notre mode de fonctionnement", raconte Charles Aguettant qui a rencontré les députés écologistes. Il est vice-président de l'EBAA France, le lobbyiste européen qui défend les intérêts de l'aviation d'affaires.
Un avion sur dix qui décolle en France est un jet privé
Entre l'interdiction de la chasse le dimanche et de la publicité lumineuse dans l'espace public, les députés écologistes ont en effet bien l'intention de "ramener les riches sur Terre" et de les associer à "l'effort de transition" pour plus de "justice climatique". Pour cela, ils vont profiter jeudi 6 avril de la niche parlementaire réservée à leur groupe, une journée donc entièrement consacrée à l'examen de leurs propositions de loi.
Il faut dire que le symbole est fort : un avion sur dix qui décolle de France est un jet privé et en deux heures de vol, certains d'entre eux polluent autant qu'un Français en un an. Mercredi aux Pays-Bas, l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol a annoncé qu'il interdirait les jets privés d'ici deux à trois ans pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En France, ils sont toujours les bienvenus, notamment dans le plus grand aéroport d'affaires d'Europe, l'aéroport du Bourget, au nord de Paris.
"Arrêtez de stigmatiser ou de caricaturez notre industrie ! s'insurge Charles Aguettant. Notre industrie est une industrie d’affaires à 80%. Ensuite, il a une dizaine de pourcents qui est fait pour les vols sanitaires. Reste quelques vols d’État, puis les vols loisirs. On est en train de parler de quelque chose qui est plus de l’ordre du symbole qu’autre chose." Avec une telle loi, il craint que les affaires ne se fassent plus en France, mais ailleurs en Europe.
"En 2022, l'usage de jets privés a augmenté de 64% là où l'aide alimentaire explose."
Marine Tondelier, secrétaire nationale de EELVà franceinfo
"Il y a des symboles, a rétorqué jeudi 6 avril sur franceinfo la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier. On demande aujourd'hui à tout le monde de faire des efforts. Et il y a une bulle de personnes qui peuvent aller dans leur jet privé, boire du champagne et faire du golf sur des terrains arrosés quand la France entière ne peut pas arroser son jardin. Mon objectif, c'est la justice sociale. Les très riches héritent de leur fortune. On est obligés d'établir une redistribution. La mesure n'est pas anti-riches, c'est pro climat."
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