Petite Terre, l'île guadeloupéenne grignotée par l'Atlantique
C'est une petite plage tropicale comme on en a tous une quelque part dans la tête : du sable clair et doux, un lagon aux eaux turquoises - 28 degrés - des poissons colorés dans les coraux, des tortues. Et après la baignade, l'ombre des cocotiers pour la sieste ou les bons moments entre amis.
Bienvenue à Petite Terre, avant-goût paradisiaque, cerné par l'océan Atlantique, à quelques milles à l'est de la Guadeloupe.
Fête populaire
Ce jour-là, 1er novembre, c'est la Toussaint, un jour de fête important en Guadeloupe. Pourtant il n'y a pas grand monde sur les plages de Petite Terre. Sans doute le vent qui souffle grand frais et les quelques averses y sont pour quelque-chose. Mais Pauline Couvin, présidente de l'URAPEG-FNE Guadeloupe, qui regroupe une trentaine d'associations de défense de l'environnement, se souvient émue de l'époque où Petite Terre était à cette date un pèlerinage pour les Guadeloupéens : "C'était très important pour la population puisque les gens venaient depuis la veille de Pâques ou de la Pentecôte. C'est dans nos traditions d'aller sur les plages et de passer le week-end pascal avec la famille, les enfants. Ils venaient avec tous leurs besoins, de chez eux pour vivre pendant un week-end ou une semaine. On organisait des soirées. Il n'y avait plus de place ".
Tant de monde, trop de monde sans doute. La dégradation du milieu, la tranquillité des milliers d'iguanes de l'île, la pression de la pêche sur le lagon, les coraux abîmés : tout cela a poussé la préfecture à faire de l'ilet une réserve naturelle en 1998.
"Là où on amarre maintenant les bateaux, il y avait la plage, avec les cocotiers dessus et nous, on jouait au football "
Sa fréquentation est réglementée et le camping n'est plus autorisé qu'à Pâques et à la Toussaint. Des restrictions d'autant plus nécessaires qu'avec le réchauffement climatique, combiné à d'autres facteurs, d'année en année, la plage paradisiaque de Petite Terre est de plus en plus petite. Abrité sous un grand chapeau de paille, Morgan est capitaine du bateau de tourisme Roma. Et il a pu voir l'érosion rapide de l'ilet : "Là où on amarre maintenant les bateaux, il y avait la plage, avec les cocotiers dessus et nous, on jouait au football. Donc en moins de dix ans, il y a eu un net recul de la plage, de l'ordre d'une vingtaine de mètres. C'est à la fois dû à ce qu'on peut connaître de l'évolution du climat de la planète, à la fois dû aussi aux intempéries qu'on a localement ".
Au bureau de l'Office national des forêts en périphérie de Pointe à Pitre, René Dumont sort une photo aérienne de l'ilet. Avec l'association Tité de La Désirade, l'ONF est chargée de la gestion de Petite Terre. L'érosion n'a pas été mesurée précisément mais René Dumont la constate aussi. Toutefois, il nuance : la nature ne va pas à sens unique : "C'est sûr que si il y a une élévation du niveau de la mer sur des ilets qui sont au ras de l'eau, s'il y a une élévation de 50 cm, ça peut avoir un impact considérable, puisqu'en matière de surface, ça peut représenter 10 ou 20% des ilets, mais c'est vrai partout. Ce qu'on constate sur Petite Terre comme sur beaucoup d'îles, c'est qu'il y a des mouvements du trait de côte. Il y a des endroits où il y a des retraits : on peut le constater facilement puisqu'il y a des arbres qui étaient là depuis des dizaines d'années qui tombent à l'eau. Et il y a d'autres endroits où il y a des dépôts matériaux. On peut le constater aussi, puisque là, il n'y a que du sable, sans végétation ".
"Pour quelqu'un qui connaît un paysage et c'est mon cas, je me rends compte effectivement que nous perdons du territoire par rapport à la mer "
Des histoires d'ilets qui apparaissent et disparaissent, vous en entendrez d'autres en Guadeloupe. Entre Grande Terre et Basse Terre, dans le Grand Cul-de-Sac Marin, la mer est désormais la seule à occuper les anciennes terrasses des restaurants de plage de l'îlet Caret, passé de 170 à 140 mètres de long. Pas très loin en revanche, l'îlet Blanc s'est formé, encore peu colonisé par la végétation. Mais globalement, les Guadeloupéens ne se font pas d'illusion, comme le maire de la commune riveraine du Lamentin, Jocelyn Sapotille : "Etant dans un milieu ilien, nous sommes habitués à ce type de mouvement. Mais on sent aujourd'hui, quand on connaît le paysage que nous sommes entrés dans une constance. Et que si ça ne se voit pas à l'oeil humain, au bout de quelques années, pour quelqu'un qui connaît un paysage quelque-part et qui y a vécu depuis des années et c'est mon cas, je me rends compte effectivement que nous perdons du territoire par rapport à la mer ".
Cocktail de facteurs
Selon l'Observatoire régional de l'énergie et du climat, la mer pourrait monter de 80 cm d'ici 2100 en Guadeloupe. Et comme souvent, d'autres facteurs viennent aggraver les conséquences. Denez Lhostis, président de la fédération France nature environnement, principale fédération d'associations environnementales de France : "L'érosion est liée à un très grand nombre de phénomènes qui peuvent être par exemple ici, l'effondrement des récifs coralliens qui ne jouent plus leur rôle de barrière face à la houle qui vient de l'Atlantique. Donc il y a cet aspect-là. Mais l'effondrement du récif corallien est lié au changement climatique, comme il peut être lié à l'utilisation de crèmes solaires ou de pesticides ou de chimie pour l'agriculture. Donc c'est plusieurs phénomènes qui interagissent et qui jouent un rôle de cocktail et qui ont un impact supérieur à un seul des facteurs ou à la somme des facteurs. On est vraiment dans des synergies d'ailleurs difficiles à comprendre tellement elles d'interpénètrent ".
Cette lente montée des eaux se ressent jusqu'au coeur de Pointe à Pitre où la mer arrive à ras bord des quais de la Darse de la Victoire. Un drôle d'air de rialto vénitien sous les tropiques.
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