La Guadeloupe face aux échouages massifs d'algues sargasses
Tranquille, au bout d'une jetée du port de Goyave, Dominique fume une cigarette en regardant la mer, le lagon. Au loin les vagues brisent sur la barrière de corail. Cliché idyllique de la Guadeloupe. Mais la veille, Dominique n'est pas venu. Et le cliché était un peu brouillé : "Quand le vent est favorable, ça nous amène des sargasses. Hier il y en avait plein. Aujourd'hui, il n'y en a plus. C'était couvert. Jusqu'en haut. On voyait des nappes venir ".
Les sargasses, ces immenses bancs d'algues flottantes qui, depuis 2011, s'échouent en masse sur les plages de Guadeloupe et de l'ensemble des Caraïbes. Même genre de fléau que les algues vertes en Bretagne, sauf que celles-là sont de couleur brune. Elles recouvrent les rivages en nappes atteignant parfois plusieurs mètres, transformant les plages en pataugeoires gluantes, désertées par les baigneurs. Et leur décomposition produit un autre effet : Une odeur d'oeuf pourri, un gaz souffré qui ne fait pas que gêner.
"Quand on voit ce que ça fait aux objets métalliques mais qu'on nous dit que ça ne nous fait rien, que ce n'est pas nocif, moi, ça me fait peur "
Au restaurant côté T'chalis, tout au bord de l'eau, l'ambiance est cool aujourd'hui. Une grande tablée de touristes espagnols met de l'animation. Fidel, un copain du patron, fait tourner un petit panier rempli de pièces et d'objets métalliques : "Ca c'est une clé qu'on a normalement ici depuis des années. mais depuis les sargasses, on a ce côté noir et le côté à peu près argenté. Sans compter la Hi-Fi, tout ce qu'on perd. Quand on voit ce que ça fait aux objets métalliques mais qu'on nous dit que ça ne nous fait rien, que ce n'est pas nocif, moi, ça me fait peur ".
"Les pieds dans l'eau avec les sargasses, c'est quatre mois de fermeture. Si au mois de mai, j'ai passé une mauvaise saison, je ferme "
Jean-Marc Chalus, le patron, fait les comptes. Rien que pour remplacer le matériel Hi-Fi et le rideau métallique hors service, il a dépensé 3.000 euros dit-il. Il y a l'argent qui sort et celui qui ne rentre plus. Quand les sargasses sont là, le meilleur atout du restaurant se change en handicap : "Les pieds dans l'eau avec les sargasses, c'est quatre mois de fermeture. Du côté de Marie-Galante, j'ai des amis qui sont restaurateurs, ça fait six mois qu'ils sont fermés. Et ce n'est pas fini. Ca fait trois ans qu'on reçoit ces algues. Mais cette année, on a eu vraiment la grosse quantité. Si au mois de mai, j'ai passé une mauvaise saison, je ferme par la suite, je ne peux pas ".
Et les sargasses n'étouffent pas que les activités liées au tourisme. A quelques dizaines de mètres du restaurant de Jean-Marc, Daniel s'affaire autour de sa barque de pêche, entre les filets bleus et roses en tas sur le quai. Depuis 35 ans, il pêche langoustes et poissons dans le lagon comme une dizaine d'autres pêcheurs à Goyave. Mais quand les sargasses tiennent la mer, il reste au port.
Fleuves amazoniens, brumes sahariennes et réchauffement de la mer
Alors pourquoi tout à coup en 2011 cet assaut massif de sargasses ? Mystère. Les sargasses ont toujours été là mais en plus petites quantités et surtout, elles venaient d'ailleurs : la fameuse mer des sargasses se trouve au nord des Caraïbes. Or cette fois, les échouages viennent du secteur sud. Quelques études satellites désignent le Brésil. Des changements intervenus dans l'agriculture intensive autour du bassin du fleuve Amazone rejettent des nutriments favorables à la prolifération des sargasses. Et comme souvent, le réchauffement climatique vient accentuer l'action de l'homme. Le géographe Max Etna, ancien vice-président du parc national de Guadeloupe : "Le résultat de cet épanouissement de ces algues vient d'une combinaison. A savoir : apport de nutriments des fleuves, apport de nutriments des brumes sahariennes et aussi hausse des températures de la mer caraïbe. La conjonction de ces trois facteurs devient quelque-chose de détonnant pour l'environnement côtier des îles des petites Antilles ".
Fonds d'Etat de 2 millions
Conférence de presse et signature en mairie de Goyave. C'est le premier ramassage de sargasses effectué dans le cadre du plan d'urgence alloué par l'Etat : un fond exceptionnel de deux millions d'euros pour mobiliser des moyens matériels et mettre en place des "brigades vertes" labellisés emplois d'avenir. Elles vont aider au ramassage. Une mobilisation importante de l'Etat jugée tardive sur l'île. Jean-François Colombet, secrétaire général de la préfecture, le justifie : "Je rappelle que nous intervenons sur des plages qui ont quelque-fois mis deux siècles à se constituer et qu'il est hors de question de dilapider ce capital en trois heures en mettant des machines qui ne sont pas adaptées dessus. Il fallait réfléchir, bien définir la stratégie et aujourd'hui on est tous ensemble, en action, pour lutter contre les sargasses de façon efficace ".
"Il faut que l'Etat français prenne ce problème en catastrophe naturelle "
Après la signature, place à la démonstration sur la plage. Sous les palmiers, une petite ramasseuse mécanique remorquée par un tracteur. Le ministère de l'Ecologie avait compté 60.000 tonnes de sargasses en mai dernier. Pauline Couvin, présidente de l'URAPEG-FNE Guadeloupe est sceptique : "On enlève les sargasses avec un petit appareil comme ça, le lendemain ça revient. Il faut que l'Etat français prenne ce problème en catastrophe naturelle. A ce moment, les gens pourront faire différement. C'est un danger global pour la Guadeloupe ".
Fin des crédits en 2016
Ferdy Louise, le maire de Goyave regarde lui aussi l'engin jaune faire des aller-retrours sur la laisse de mer. Il se demande pour combien de temps car l'Etat n'a pas prévu de renouveler les crédits du plan d'urgence après 2016 : "Si en 2016, l'Etat peut me dire qu'il n'y aura plus de sargasses, alors il peut enlever les crédits. Sinon, il faut les pérenniser ".
Stockage
Sans compter qu'il faut aussi stocker les milliers de tonnes à ramasser sur les plages et là non plus, il n'y a pas pour l'instant de solution. Elles pourraient peut-être servir à faire de l'épandage agricole pour fertiliser les champs. Encore faudrait-il les traiter pour enlever le sel marin. Et du coup c'est la facture qui risque de devenir très salée.
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