Des pesticides dangereux demeurent dans nos sols malgré les interdictions
Bien que plusieurs pesticides soient interdits, ils résident non seulement dans les sols de façon persistante mais aussi à cause d'utilisation frauduleuse.
Des pesticides, autorisés pendant des années, se révèlent parfois toxiques au point d'être frappés d'interdiction: ils ne disparaissent pourtant pas forcément du territoire du fait de leur persistance dans les sols mais aussi d'utilisations frauduleuses.
"Un certain nombre de données, dont certaines officielles, laissent penser que l'utilisation de pesticides interdits est un vrai problème, même si elle ne concerne qu'une minorité de producteurs", avance François Veillerette, porte-parole de l'ONG Générations futures.
Exemples: le carbofuran, l'endosulfan, le terbuthylazine ou le carbosulfan, malgré des interdictions prononcées depuis plusieurs années au nom de la santé publique et de l'environnement, ont été récemment utilisés sur le sol français.
Le carbofuran, un insecticide interdit dans l'Hexagone en 2008, a été détecté en 2012 dans le Tarn à la suite d'une mortalité anormalement élevée de chevreuils. L'alerte donnée par un réseau de veille sur la faune sauvage a déclenché une enquête à Albi, qui a révélé en février 2013 un trafic avec l'Espagne. Un revendeur a été interpellé.
Au printemps 2013, l'endosulfan, un insecticide également banni depuis 2008, a lui été relevé sur deux des 26 échantillons de barquettes de fraises achetées en grandes surfaces en Picardie et Haute-Normandie et testées par Générations futures. Ce test avait aussi détecté du carbosulfan (insecticide), interdit en Europe depuis fin 2007.
Quant au terbuthylazine, utilisé pour le désherbage des vignes, sa présence est soulignée dans le dernier rapport annuel de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée.
Dans deux stations de pompage (Aude et Pyrénées-Orientales), les concentrations en terbuthylazine ont même dépassé en 2011 le seuil permettant un traitement de l'eau pour la rendre potable.
Pour cette famille de pesticides (triazines), l'agence ne passe pas sous silence "l'existence de stocks dans les sols".
Mais elle précise aussitôt: "le niveau de concentrations mesurées de certaines substances dans plusieurs cours d'eau ne laisse que peu de doutes quant à une utilisation illicite".
En dehors du phénomène de persistance dans les sols, comment des molécules interdites depuis des années, en France et parfois en Europe, peuvent se retrouver dans notre environnement?
L'écoulement des stocks est ici ou là toujours à considérer mais, de l'avis de plusieurs acteurs interrogés par l'AFP, c'est davantage le manque d'harmonisation au niveau européen et la contrefaçon qui rendent possibles les usages illicites.
D'un point de vue réglementaire, l'Europe autorise la commercialisation de molécules, mais ce sont les pays qui délivrent les autorisations de mise sur le marché des produits commercialisés et peuvent bannir des substances actives permises par Bruxelles.
Or, lors d'une table-ronde au Sénat en 2012, Frédéric Vey, responsable à la Direction générale de l'alimentation (DGAL), confiait que "des agriculteurs habitant près des frontières les franchissent pour aller s'approvisionner hors de France" et que "des opérateurs effectuent aussi des commandes groupées depuis la France et distribuent ensuite les produits".
Selon Jean Sabench, en charge du dossier pesticides à la Confédération paysanne, "les responsables régionaux du plan Ecophyto ont dit que jusqu'à 25% des pesticides utilisés en Languedoc-Roussillon étaient achetés en Espagne". "Une bonne partie d'entre eux sont interdits".
Nicole Bonnefoy, sénatrice (PS) et rapporteur d'une mission d'information sur les pesticides en 2012, le souligne aussi: "lors des auditions, revenait de façon récurrente la facilité d'aller chercher des produits dans des pays limitrophes, l'Espagne en particulier, où il est facile de se procurer des produits interdits ici et autorisés là bas, qui sont efficaces et meilleur marché".
A ces achats transfrontaliers ou sur internet de produits n'ayant clairement pas l'autorisation d'être vendus en France, s'ajoute la contrefaçon, c'est-à-dire des emballages ayant l'apparence de la légalité mais qui se révèlent au mieux être des imitations fidèles, au pire des contenus n'ayant rien à voir avec l'étiquette.
Selon Europol, les produits phytosanitaires contrefaits sont désormais au coeur de trafics bien organisés et représente 5 à 10% du marché européen qui s'élève à environ 10 milliards par an.
"Avec les contrefaçons, il y a toujours un doute sur la composition et vu que ce sont des produits toxiques, c'est très risqué", relève Jean Sabench.
Selon l'Union nationale des industries phytosanitaires (UIPP, fabricants), si un prix est inférieur à plus de 10% du prix moyen du marché "c'est suspect".
Le coût est très souvent le moteur des achats illégaux: les pesticides représentent, selon l'UIPP, entre 8 et 9% des coûts moyens dans la production agricole.
Et l'absence d'harmonisation réglementaire au sein de l'Union européenne ne contribue pas à une prise de conscience de tous.
"Pour une minorité d'agriculteurs, il est difficile d'accepter que ces produits sont dangereux alors qu'ils les ont utilisés pendant des années", avance Jean Sabench.
Les pratiques illégales sont aussi possibles car les mailles des contrôles sont larges, les poursuites rares et les sanctions faibles.
Au sein du ministère de l'Agriculture, la Direction générale de l'alimentation (DGAL), est chargée de la sécurité alimentaire et, dans ce cadre, de la surveillance des produits phytosanitaires.
Dans son bilan 2012, la DGAL affiche 5.972 inspections d'exploitations agricoles concernant l'usage de pesticides, 620 inspections au stade de la distribution et 675 prélèvements sur des végétaux à la récolte.
Ces inspections ne représentent que 1 à 2% de l'ensemble des contrôles de cette administration, a indiqué devant les sénateurs Frédéric Vey, tout en soulignant leur "importance". "Les sanctions doivent être lisibles et fortes", a-t-il plaidé.
Dans ce contexte, un renforcement des contrôles est réclamé par de nombreux acteurs, y compris les fabricants de pesticides, lésés par les contrefaçons.
Quant aux poursuites et aux sanctions, elles sont peu dissuasives. "Pour les magistrats, ça n'entre pas dans les infractions graves", regrette Me Bernard Fau, spécialisé en santé publique. "Je l'ai constaté dans le procès de Toulouse (jugé en appel en 2010), où seulement des amendes de 500 à 5.000 euros ont été prononcées" contre plusieurs utilisateurs de produits illégaux.
Pourtant, "le législateur a prévu jusqu'à six mois d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende pour l'utilisation et la détention de produits sans autorisation de mise sur le marché", relève Me Fau.
Le travail réalisé depuis 2008 dans le cadre du plan Ecophyto contribue aussi à changer les mentalités même si l'objectif de réduction de 50% de la consommation nationale d'ici 2018 ne sera vraisemblement pas atteint.
"Il y a eu une information et une sensibilisation accrues des agriculteurs, les pesticides sont moins banalisés", note Jean-Claude Bévillard, chargé de ces questions à France Nature Environnement, mais ajoute-t-il "une partie du monde agricole reste encore à convaincre".
ces/pjl/bg
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.