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Témoignages Canicule : face au réchauffement climatique, les présentateurs météo "ne savent plus comment présenter les choses"

La France est plongée depuis mercredi dans une vague de chaleur intense et précoce. La dernière manifestation d'un dérèglement du climat auquel les présentateurs météos sont confrontés au quotidien.

France Télévisions
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Des ouvriers s'hydratent sur un chantier à Toulouse (Haute-Garonne) lors d'une vague de chaleur, le 15 juin 2022. (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

"La France va cramer". Marc Hay, journaliste météo à BFMTV, a poussé, mardi 14 juin, un coup de gueule remarqué à l'antenne à propos de la vague de chaleur qui frappe la France, sous l'effet du réchauffement climatique. "Je pense qu'il faut qu'on change notre manière de parler de ça, parce que ça n'imprime pas. (...) Tout ceci va aller en s'aggravant", a alerté le présentateur. 

>> DIRECT. Canicule : une vague de chaleur précoce s'abat sur une très large partie de la France

Sa prise de parole met en lumière un questionnement qui ronge toute une profession. Comment présenter la météo dans un climat qui change ? Que faire pour alerter sur les dangers du réchauffement climatique ? Franceinfo a posé la question à plusieurs présentateurs et présentatrices météos.

"Nous sommes à un tournant" : Christine Peña, franceinfo

"Dans le fond, il a raison. Face au réchauffement climatique, nous sommes tous concernés. L'affaire est trop grave. Dès que je peux faire un lien avec le climat, je le fais, même si on manque souvent de temps à la radio. Nous nous voyons régulièrement avec mes consœurs et confrères lors de forums météo [le prochain est organisé le 21 juin à Paris] et ce sujet revient à chaque fois : comment faire, dans nos bulletins météo, le lien avec les problématiques climatiques ?

Nous sommes tous les jours confrontés à ces événements. Ces trente dernières années, il y a eu trois fois plus de canicules qu'en cent-cinquante ans d'observations météo. On voit le réchauffement climatique, on ne cesse de le répéter – je pense à des gens comme le climatologue Jean Jouzel, qui alertent depuis des années – et rien n'est fait. Tout le monde doit s'y mettre : les pouvoirs publics, les grandes entreprises...

Quand j'ai débuté, il y a fort longtemps, on annonçait le beau temps en se réjouissant, la pluie en le regrettant. Aujourd'hui, avec la sécheresse, de plus en plus d'auditeurs m'envoient des messages pour dire : 'Réjouissez-vous qu'on ait de la pluie', même s'ils restent une minorité. Nous sommes à un tournant. 

"Nous devons changer nos façons de présenter les événements, sans être alarmistes."

Christine Peña, présentatrice météo

à franceinfo

Des canicules comme celle que nous connaissons, nous en aurons de plus en plus et, oui, c'est dramatique. Des agriculteurs vont perdre le fruit de leur travail. Les gens qui travaillent dehors, comme ceux qui posent des pavés près de chez moi, vont souffrir. On ne peut pas se réjouir de 40 °C à Paris."

"Je n'ai pas la sensation d'un je-m'en-foutisme général" : Sébastien Léas, Radio France

"J'ai une casquette différente : je suis aussi ingénieur prévisionniste chez Météo France. Je ne viens pas du sérail journalistique. Nous suivons la ligne directrice de l'institution. Il y a des expressions que nous n'utilisons pas.

"Par exemple, nous ne parlons pas de 'beau' ou de 'mauvais temps'."

Sébastien Léas, présentateur et prévisionniste météo

à franceinfo

Nous sommes avant le solstice d'été et on attend déjà 40 °C dans plusieurs régions. Ce sont des valeurs très peu observées, même en règle générale. À Paris, il n'y a eu que deux fois une température supérieure à 40 °C.

Mais je n'ai pas le même ressenti que Marc Hay : quand les gens voient les valeurs attendues, ils sont inquiets. Dans les médias, depuis dimanche, nous sommes sur toutes les chaînes, il y a des reportages partout. Je n'ai pas la sensation d'un je-m'en-foutisme général. Aujourd'hui, on parle davantage de réchauffement climatique et c'est très bien. Quand on en parlait il y a quinze ou vingt ans, il y avait un peu plus de scepticisme."

"On ne sait plus comment présenter les choses pour que les gens réagissent" : Géraldine de Mori, RMC

"J'ai trouvé l'intervention de Marc Hay très bien. Il y a quelques années, si vous m'aviez parlé d'une canicule en juin, je vous aurais répondu que c'était de la science-fiction. Nous voyons ces événements extrêmes qui se multiplient. Et nous avons beau essayer d'alerter, nous avons l'impression qu'on en parle un peu sur le moment, et qu'ensuite les gens s'en moquent. On ne sait plus comment présenter les choses pour qu'ils réagissent. Je reçois pas mal de messages de personnes qui disent 'oui, il va faire chaud, mais on ne va pas pleurer'. Si, il faut pleurer.

Cela fait plus de quinze ans que je fais ce travail et j'ai vu les choses changer. Nous ne parlons plus du tout de la météo comme avant. La difficulté est de le faire sans être alarmiste. Si on l'est trop, les gens vont se braquer.

"Moi, je ne trouve plus les mots. C'est dingue d'avoir des températures pareilles un 15 juin. Et ce n'est pas normal d'avoir des canicules tous les ans."

Géraldine de Mori, présentatrice météo

à franceinfo

Il y a quinze ans, la météo, c'était superficiel, rigolo et sympa. Aujourd'hui, on a pris conscience qu'il y avait un enjeu et que le climat changeait. C'est devenu un sujet important et beaucoup plus sérieux. Ce n'est plus un truc qu'on met en fin de journal.

Je ne vais plus parler de 'beau temps' quand il y a un plein soleil, mais que ça dure depuis des jours et qu'il y a une sécheresse terrible. Quand la pluie va arriver, je ne vais plus parler de 'dégradation pluvieuse', mais d'une 'amélioration pluvieuse'. Ce n'est plus la mauvaise nouvelle, plutôt 'ouf, la pluie arrive'. Les vacanciers ne sont peut-être pas contents, mais il faut penser à la planète. Nous aimerions que les gens en prennent conscience. Il y a de moins en moins de climatosceptiques. Mais le problème est qu'on leur donne une place beaucoup plus importante que ce qu'ils représentent."

"Personne ne trouve que 40 °C, c'est agréable" : Karine Durand, CNews

"Je partage les sentiments de Marc Hay. Cela fait déjà plusieurs années que les présentateurs météo de la plupart des chaînes d'info alertent sur les effets du réchauffement climatique. Là, c'est mis en lumière par cette canicule exceptionnelle, mais ce n'est pas forcément nouveau. En revanche, quelques années en arrière, on aurait pu reprocher à Marc d'avoir été trop alarmiste ou pessimiste. Cela arrive encore que des téléspectateurs me le reprochent, y compris ces derniers jours. Mais comme c'est un discours réaliste et corroboré par d'innombrables études scientifiques, c'est mieux accepté aujourd'hui. La réalité du réchauffement climatique et de son origine humaine n'est pas quelque chose que l'on peut remettre en question.

Le problème, quand on est présentateur météo à la télévision, est qu'on a très peu de temps : une minute pour donner l'info et ajouter quelque chose de plus. Le défi est de résumer ce qui est important. Dans des situations de beau temps chaud, comme ce qu'on a connus au printemps, on ne retient pas forcément que cela aggrave une situation de sécheresse déjà extrême sur le sud-est du pays. Mais lors d'une vague de chaleur comme celle-ci, personne ne trouve que 40 °C, c'est agréable.

Je suis spécialiste des événements extrêmes et aux Etats-Unis, où j'ai étudié, on prend très au sérieux la météo. J'ai été un peu 'élevée' dans cette conception. En France, on a encore un peu cette vision de la 'météo loisir' : 'Est-ce qu'il fera beau pour mon pique-nique ou pour mon match de foot ?' Mais le rôle du présentateur météo, c'est aussi un rôle de conseil et de sécurité. On n'échappera pas à cette évolution.

"La notion de danger va apparaître de plus en plus, tout comme la question de la santé."

Karine Durand, présentatrice météo

à franceinfo

Il y a dix ans, on subissait déjà les effets du réchauffement climatique, mais on ne savait pas nécessairement attribuer certains phénomènes. Aujourd'hui, des organismes font des modélisations, avec ou sans les gaz à effet de serre, et des études capables établir un lien avec ces événements extrêmes. 

Il y a quelques années, on pointait du doigt les présentateurs qui parlaient du réchauffement climatique. Aujourd'hui, c'est l'inverse : on pointe les discours climatosceptiques. C'est bien le signe que ça évolue."

"Il ne faut pas banaliser ces événements" : Loïc Rousval, France 3 et CNews

"Au vu du changement climatique observé, il faut modifier notre façon de présenter les alertes météo, être un peu moins lisses. Quand on a une vigilance orange, c'est-à-dire un danger, et plus de 40 °C prévu pour une mi-juin, c'est très précoce et intense. Et donc inquiétant pour la végétation, les agriculteurs touchés par la sécheresse, la santé des personnes... 

"En France, contrairement à d'autres pays, les gens ne tiennent pas assez compte des vigilances oranges ou rouges, et ne se protègent pas assez. Et quand il y a une catastrophe, c'est trop tard."

Loïc Rousval, présentateur météo

à franceinfo

Ces phénomènes sont de plus en plus précoces, intenses et réguliers. Et de plus en plus de personnes banalisent cela et les vivent comme une fatalité. Le problème, c'est que c'est une vraie crise, un détraquement du climat, en France et au niveau planétaire. Comment l'aborder pour ne pas le banaliser ? Ce n'est pas toujours évident : on peut avoir l'impression d'en faire trop aux yeux du public. Sur les chaînes d'info en continu, on ne veut pas toujours faire peur, ni rajouter de la panique dans une ambiance déjà anxiogène, entre le Covid-19, la crise économique et l'Ukraine. On a envie d'apporter un peu d'évasion et de légèreté.

La solution est peut-être d'utiliser des termes moins conventionnels. D'être un peu moins sur la retenue, avec un langage un peu plus familier. Dire 'ça va chauffer' et 'ça va tomber' plutôt que 'on va avoir des températures au-dessus des normales' et 'de forts cumuls'. Hors-antenne, on mène énormément d'actions contre le changement climatique. Avec Laurent Romejko, j'ai lancé le premier jeu sur le climat, le grand quiz 'Préservons la planète'."

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