Réchauffement climatique : "Si nos terres disparaissent, nous disparaissons avec elles", alerte la mannequin et activiste amazonienne Zaya Guarani
Sauver la forêt, sauver le monde. Pour la militante amazonienne Zaya Guarani, il s'agit d'un seul et même combat. Défenseure des droits des communautés autochtones, mais aussi porte-parole d'une nouvelle génération de femmes montée au front de la lutte contre la destruction de l'environnement, la mannequin de 22 ans met sa notoriété au service d'une cause qui s'impose : apprendre au reste du monde à respecter la nature pour se respecter soi-même.
A l'occasion du sommet ChangeNow, qui se tient à Paris du jeudi 25 au samedi 27 mai, Zaya Guarani explique à franceinfo pourquoi, à l'aune du réchauffement climatique, ce n'est pas à la ville d'éduquer la forêt, mais bien l'inverse.
Franceinfo : Comment êtes-vous devenue activiste ?
Zaya Guarani : A l'âge de 15 ans, je suis allée étudier à Rio de Janeiro. Je faisais partie d'un quota d'élèves autochtones. Quand je suis arrivée là-bas, avec mes peintures sur le visage et toute ma culture traditionnelle, j'ai compris que, pour nous, les peuples indigènes, notre simple présence dans cet espace, notre simple corps, est un acte militant. Dès lors, tout ce que j'y fais est important pour mon peuple, car ces espaces nous ont longtemps été interdits du fait du racisme et des discriminations. Cette expérience a complètement changé ma vie. C'est comme si je m'étais mise en marche.
Il s'agit de revendiquer le droit de prendre part aux discussions et aux décisions qui, jusqu'alors, se sont toujours faites sans nos voix. C'est d'autant plus vrai pour les filles, qui subissent le poids du machisme et à qui on ne laisse aucun choix. J'espère donc leur ouvrir la voie et encourager les filles des communautés autochtones à venir étudier en ville et prendre la parole.
Vous considérez-vous, d'une certaine façon, comme une influenceuse pour les jeunes générations ?
Je ne me considère pas comme une influenceuse, mais plutôt comme une porte-parole. J'essaie de le faire à ma façon, mais ce qui compte, c'est que les autochtones soient inclus dans les conversations et se réapproprient leur voix. Je vais prendre la parole ici, à Paris, sur une scène, pour décrire les dégâts que subissent nos terres, au Brésil. Ce n'est pas à un universitaire blanc européen renommé de le faire.
De quelles destructions avez-vous été témoin chez vous, en Amazonie ?
Jusqu'à il y a encore quelques mois, je n'étais pas capable de m'exprimer sur ces sujets sans être envahie par les émotions. J'ai grandi dans des conditions très difficiles et, depuis ma naissance, je n'ai connu que la survie et la fuite. En Amazonie, les fermiers et les bûcherons abusent des femmes des communautés autochtones. Ils demandent aux chefs pour épouser une jeune fille qu'ils ont remarquée et la soustraire aux siens. Ma mère a fui cette violence machiste pour aller dans une ville, mais cela l'a exposée à autant de violences. Partir a été un crève-cœur.
"Nous avons connu la faim car l'eau de la rivière a été empoisonnée, les arbres sont tombés malades et n'ont plus produit de quoi nous nourrir. La ville a empiété chaque jour davantage sur la forêt."
Zayaà franceinfo
Même de toutes petites villes apparaissent et détruisent la forêt dans laquelle nous avons toujours vécu. Tant de secteurs profitent de la destruction de l'Amazonie et de la déforestation... Le cuir que vous retrouvez sur les sièges des voitures, il vient de là. Quand les arbres sont coupés et que ce qu'il reste du tronc est sec, il est incendié. Pendant ce temps-là, le bois est utilisé par une autre industrie. La terre est empoisonnée pour empêcher que d'autres arbres repoussent, pour laisser la place à des champs ou des prairies pour les troupeaux qui servent à l'industrie de la viande. Sans changer de perspective sur ces industries et leurs pratiques qui détruisent l'environnement, nous n'avons même pas dix ans devant nous avant qu'il ne reste plus rien.
Comment trouvez-vous le courage d'affronter un ennemi si puissant ?
Nous nous battons contre un système qui pollue, qui gaspille et qui détruit. Cela se passe chez nous, mais aussi ailleurs dans le monde. Il n'y a plus de place pour recevoir les déchets des villes et des industries. Elles doivent arrêter de produire sans cesse pour pousser à consommer toujours plus de ce dont nous n'avons pas besoin, au détriment de la nature. C'est un combat très difficile car nous n'avons aucun droit sur nos propres terres, bien que ce soient les terres de nos ancêtres et que nous ayons une connexion spirituelle avec elles. Cette forêt abrite notre sagesse, nos racines et notre futur.
"Nous voulons récupérer les droits que nous avons sur nos terres pour que les générations qui suivent puissent y grandir sans avoir à se battre chaque jour pour leur survie, sans avoir peur de ce qu'il pourrait arriver demain."
Zayaà franceinfo
Si nos terres disparaissent, nous disparaissons avec elles. Nous nous battons avec autant de force car notre vie en dépend. Mais celle du reste du monde aussi. Les écosystèmes, la vie, les êtres vivants... Vous êtes des êtres vivants vous aussi. Nous avons un rapport unique avec la nature, nous en faisons partie. Nous avons toujours vécu en harmonie avec la forêt. Les arbres qui s'y trouvent ne seraient pas là sans les peuples autochtones qui en sont les gardiens. Il ne s'agit pas seulement de protéger nos communautés, mais de sauver la planète. Nous avons vécu si longtemps en harmonie avec la nature, en bénéficiant de ces ressources de façon durable. Nous n'avons jamais eu besoin des villes. Pour lutter contre le changement climatique, il faut que nous nous rassemblions et que nous partagions avec les autres notre culture et nos savoirs car c'est désormais au monde de s'en inspirer.
Comment attirer l'attention des Occidentaux alors que les conséquences de nos modes de vie, que vous subissez, se manifestent si loin de notre vie quotidienne ?
Quand je parle de ces sujets à des Occidentaux, j'essaie toujours d'apporter quelque chose de positif. Je ne viens pas ici pour accuser les gens et je les remercie de me donner l'occasion de leur dire ce que nous vivons. Parmi nos anciens, beaucoup considèrent que les Blancs leur ont infligé trop de souffrances et qu'ils sont donc mauvais. Mais d'autres, comme moi, pensent au contraire que les Occidentaux peuvent faire bouger les choses. La colonisation et ses conséquences ont fait tellement de mal... Mais les générations d'aujourd'hui peuvent réparer ces dégâts et je viens ici avec le cœur et les bras ouverts.
Je porte un message universel. Pour toucher les gens, je leur demande simplement s'ils veulent que leurs enfants grandissent sur une planète saine, qu'ils profitent d'un air et d'une eau pure et d'un ciel bleu. Si nous n'agissons pas dès maintenant, ce ne sera pas possible. Tout le monde se retrouve dans ce message.
"Nous avons tous intérêt à demander des comptes aux industries pour qu'elles arrêtent d'empoisonner notre planète, de surproduire, de surconsommer."
Zayaà franceinfo
Les sociétés occidentales séparent l'homme de la nature. Or, en se reconnectant avec soi-même, en se débarrassant de son ego et du matérialisme de la ville, il est surprenant comme il est simple de voir la nature différemment. Le contact avec la nature, c'est un contact avec sa propre humanité et ses propres rêves. Que voulons-nous tous ? Personne ne veut mourir demain. Tout le monde rêve d'un avenir prospère. Donc il faut se remettre à rêver d'un futur meilleur et se donner les moyens de le réaliser.
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