"On me disait que c'était complètement exagéré"
"L'écologie était secondaire par rapport à l'économie"
"J'étais la cinquième roue du carrosse"
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Douze ministres de l'Ecologie racontent 40 ans de tergiversations face à la crise climatique
Par Marie-Adélaïde Scigacz, Thomas Baïetto, Thibaud Le Meneec, Clément Parrot
Pour cet article, franceinfo a sollicité dix-sept anciens ministres de l'Environnement ou de l'Ecologie, restés plus de six mois en poste. Douze ont accepté de répondre et cinq ont décliné : Huguette Bouchardeau, Ségolène Royal, Nathalie Kosciusko-Morizet, Delphine Batho et Nicolas Hulot.
1970-1992
"Ce n’était la préoccupation de personne"
Les balbutiements de l’écologie en politique
1971
Création du ministère de l’Environnement
1979
Première alerte avec le rapport Charney
1988
Création du Giec
Nous sommes le 28 février 1970. Dans un discours prononcé à Chicago, Georges Pompidou met en garde l'humanité : "L'emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte le risque de destruction de la nature elle-même." Le président de la République crée, l'année suivante, le tout premier ministère de l'Environnement et le confie à Robert Poujade. "C'est une tâche nouvelle et très nécessaire", réagit dans sa première interview celui que l'on bombarde "ministre délégué chargé de la Protection de la nature et de l'Environnement". "Mon problème, c'est celui des moyens qu'il faudra trouver et dégager, et ce ne sera pas facile", anticipe-t-il. Plus tard, dans un livre, il surnommera son portefeuille "le ministère de l'impossible". Déjà.
Tandis qu'aux Etats-Unis, en 1979, le président Jimmy Carter reçoit sur son bureau un rapport (document PDF) qui fera date sur les conséquences des activités humaines sur les températures, en France, la question de la menace climatique n'approche guère le perron du pouvoir. Ce sont la lutte contre la pollution et l'amélioration globale du cadre de vie des Français qui animent le jeune ministère. Pourtant, à la télévision, le volcanologue Haroun Tazieff alerte : le gaz carbonique rejeté par nos voitures, nos chaudières et nos industries "risque de faire de l'atmosphère une espèce de serre". "Vous êtes en train de paniquer les populations, là", rétorque au scientifique le journaliste d'Antenne 2, perplexe.
"Quand Tazieff faisait ses déclarations sur le réchauffement, il était considéré comme un hurluberlu. (...) Ses thèses étaient très marginales et très contestées", confirme Alain Carignon, ministre délégué à l'Environnement qui entre dans le gouvernement Chirac en 1986. Cette année-là, la catastrophe de Tchernobyl met les risques naturels et technologiques tout en haut de la pile des dossiers prioritaires. "Les politiques sont quand même prisonniers de leur époque", regrette Alain Carignon. Le climat "n'est alors la préoccupation de personne, affirme-t-il*. Les associations environnementales et écologistes étaient très puissantes. Mais aucune n'est venue se battre sur cet impératif."* Toutefois, il remarque – et déplore – que, déjà, "l'écologie était secondaire par rapport aux préoccupations économiques".
En mai 1988, l'élu du RPR quitte son poste et il est remplacé par Brice Lalonde, qui intègre le gouvernement Rocard comme secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement. Qu'en est-il de l'état des connaissances à ce moment-là ? "Les scientifiques font déjà le lien entre la consommation des énergies fossiles et le réchauffement. On savait tout, il n'y a pas de problème", évacue l'écologiste. Mais ce savoir reste confidentiel. Le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) naît de ce constat. Dès 1990, l'organisme publie son premier rapport (document PDF) alertant sur des vagues de chaleur plus nombreuses et "des conséquences sur tous les secteurs d'activité".
En France, Michel Rocard prend l’initiative de lancer l’appel de La Haye, signé par 24 pays en 1989, prémices de la diplomatie environnementale. "Les conditions mêmes de la vie sur notre planète sont aujourd’hui menacées", alerte le texte. Pour autant, l'heure n'est pas encore aux mesures concrètes. Devenu ministre, Brice Lalonde a beau être convaincu de la menace, sa marge de manœuvre est limitée.
"Ministre de l'Environnement, à l'époque, c'était quand même la cinquième roue du carrosse. (...) Le changement climatique n'avait pas le même degré de gravité et d'urgence qu'aujourd'hui."
Brice Lalonde à franceinfo
Le ministre se "bagarre" tout de même contre le plomb dans l'essence et "pour des pots catalytiques", présente un "plan pour l'environnement" (jugé alors décevant par les militants écologistes) et convainc ses collègues de créer une mission interministérielle de l'effet de serre. "J'ai essayé d'être un écolo de gouvernement. C'est toute une affaire d'avancer, d'accepter des compromis, d'avoir des étapes… La tâche est énorme." Ni les politiques, ni les Français ne le savent, mais le début des années 1990 marque un tournant. Si les émissions de gaz à effet de serre commencent à se stabiliser en France, elles vont encore exploser au niveau de la planète, portées par une consommation d'énergies fossiles qui s'emballe dans le monde entier.
1992-2003
"Certains ont tout fait pour qu’on n’agisse pas"
L’indifférence malgré l’alerte des scientifiques
1992
Sommet de la Terre
1995
Première COP à Berlin
1997
Protocole de Kyoto
2003
Canicule en France
2003-2015
"J’ai eu le sentiment d’une grande inutilité"
Des espoirs déçus et une première contestation
2004
Premier plan climat
2007
Grenelle de l’environnement
2013
Recul sur l’"écotaxe"
2015-2023
"L’idée y est, la réalité non"
D’insolubles contradictions face à l’urgence
2015
Accord de Paris
2018
Mouvement des "gilets jaunes"
2020
Convention citoyenne pour le climat
2022
Année la plus chaude en France
Crédits
- Rédaction : Marie-Adélaïde Scigacz, Thomas Baïetto, Thibaud Le Meneec, Clément Parrot
- Vidéos et montage : Mathieu Dreujou, Jean-Marie Lequertier, Billie Comte
- Conception et design : Maxime Loisel
- Développement : Grégoire Humbert
- Illustration : Pauline Le Nours
- Relecture : Louis Boy
- Supervision éditoriale : Ilan Caro, Simon Gourmellet, Julie Rasplus