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Crise alimentaire : alerte mondiale et crainte pour la France

Selon la FAO, une pénurie comparable à 2007-2008 se dessine. En cause : la sécheresse, notamment aux Etats-Unis.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Dans une exploitation de Bondurant (Iowa, Etats-Unis), le 7 août. Les prix du maïs et du blé ont augmenté de 23% ces derniers mois en raison de la sécheresse. (JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

ECONOMIE - La sécheresse fait flamber le prix des céréales. A tel point que l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) redoute désormais une crise alimentaire comme en 2007-2008, une année marquée par des émeutes de la faim.

De son côté, Oxfam, une confédération d'ONG, estime que la hausse des prix pourrait conduire des millions de personnes à souffrir de malnutrition. FTVi vous explique pourquoi les associations sont inquiètes. 

Pourquoi la FAO a-t-elle déclenché une alerte ?

Pour construire son indice, la FAO remplit un panier virtuel de céréales, d’oléagineux, de produits laitiers, de viande et de sucre. Autant de denrées de première nécessité, qui lui permettent d’évaluer les tendances mondiales à l’occasion d’un bulletin mensuel. L’édition de juillet a livré de mauvaises surprises. En un mois seulement, le prix moyen du panier a bondi de 6% (213 points, contre 201 points en juin). Certaines denrées sont plus touchées que d’autres, puisque les prix du blé et du maïs se sont envolés de 23%. A l’inverse, ceux du riz n’ont augmenté que de 2%. Et le prix de la viande (bovins, volailles, porcins) est en baisse depuis trois mois.

Pour éviter une crise alimentaire majeure, le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, a demandé aux Etats-Unis de suspendre leur production de biotéthanol à partir de maïs, dans une tribune publiée vendredi 10 août dans le Financial Times (en anglais, article payant).

José Graziano da Silva écrit qu’ "une suspension immédiate et temporaire de la législation américaine" sur les quotas de ce carburant fabriqué à partir de céréales, "offrirait un répit aux marchés" tout en permettant d’utiliser "davantage de récoltes pour l’alimentation animale et humaine". 40% du maïs cultivé aux Etats-Unis est destiné au biocarburant, selon les stratégistes de CM-CIC.

Quelles sont les causes de cette envolée ?

Les mauvaises conditions météorologiques expliquent en partie cette flambée des prix. Principal producteur de céréales au monde, les Etats-Unis ont connu leur mois de juillet le plus chaud depuis la création des relevés météorologiques en 1895, d'après un document publié mercredi par l’Agence américaine océanique et atmosphérique. La sécheresse s’étend sur près de deux tiers du pays, et n’épargne pas les grandes cultures du Midwest, qui connaissent leur pire sécheresse depuis cinquante ans. Le département américain de l'agriculture (USDA) estime que seuls 23% des plants de maïs sont d'une qualité "bonne à excellente". 

Ailleurs dans le monde, les perspectives ne sont pas non plus au beau fixe. La sécheresse touche également la Russie et l'Ukraine, deux grands producteurs de céréales. Et ce vendredi, l’agence météorologique japonaise a annoncé l’arrivée d’El Niño, un phénomène météorologique qui combine de fortes pluies et des épisodes de sécheresse. Caractérisé par un réchauffement des températures à la surface de l’océan Pacifique, El Niño pourrait se maintenir "jusqu’à l’hiver", selon l’agence. Dévastateur, il peut provoquer une sécheresse jusqu’en Australie, en Asie du sud-est ou en Inde. 

Faut-il craindre des émeutes de la faim comme en 2008 ?

Contacté par FTVi, François Danel, directeur général de l’ONG Action contre la Faim, dit retrouver "aujourd’hui les mêmes alertes qu’au début de l’année 2008", marquée par des émeutes de la faim dans le monde entier, notamment au Cameroun, en Egypte ou en Haïti.

"Les denrées alimentaires sont devenues des denrées comme les autres, poursuit François Danel. Les dernières alertes font craindre une spéculation accélérée sur les marchés et donc, de lourdes tensions.  Nous savons déjà qu’il va manquer 100 millions de tonnes de maïs sur les marchés. Mais aussi 35 millions de tonnes de blé, soit l’équivalent de la production française sur un an !"

Sur le terrain, son ONG se tient en alerte. "Nous intervenons dans de nombreux pays, comme Haïti, le Bangladesh, la Centrafrique, la Sierra Leone… Nous y surveillons actuellement les prix sur les marchés. L’une de mes collaboratrices revient du Mali, marqué par la sécheresse qui sévit dans toute la bande du Sahel. Il y a trois mois, il fallait une chèvre pour acquérir un sac de riz. Il en faut trois aujourd’hui." François Danel craint que la communauté internationale réagisse trop tard. "Comme nous l'avons fait au moment du G8 avec Nicolas Sarkozy, nous demandons aujourd’hui que les pays les plus riches observent la même vigilance sur la sécurité alimentaire que sur la crise financière."

En revanche, le prix du baril de pétrole est en-deçà du niveau atteint en 2008. La flambée des cours avait alors alourdi la facture des importations de matière première. 

Quel sera l’impact de cette flambée sur la France ?

Si les producteurs de céréales bénéficient de la hausse des cours, les éleveurs sont en revanche menacés. "C'est terrible", estime Dominique Barrau. Contacté par FTVi, le  secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) estime que "sur un élevage bovin moyen, l’augmentation du prix des céréales et des protéines risque d’entraîner 10 000 à 15 000 euros de dépenses supplémentaires sur l’année. Ce qui correspondait en 2011 au revenu moyen d’un éleveur".

En France, des accords signés le 3 mai 2011 fixent le prix de vente de la viande entre producteurs et distributeurs. Mais face à la hausse des prix du grain, la FNSEA a saisi l’Observatoire des prix et des marges pour ouvrir des négociations en septembre (volailles) et octobre (viande porcine).

Et sur le porte-monnaie des consommateurs ?

En toute logique, si la matière première augmente, la hausse des prix sera répercutée dans les rayons. Les syndicats agricoles réclameront un centime de plus sur les six consacrés au lait nécessaire à la fabrication d'un yaourt, ensuite revendu 80 centimes pièce au magasin. La grande distribution, elle, applique une hausse sur le prix final.

Interrogé sur le site de La Croix, Olivier Andrault rappelle qu’"en 2007-2008, la flambée du cours des céréales avait causé une augmentation globale de 6 à 7%", avec des différences entre les produits, de "13% pour le lait UHT demi-écrémé" à "18% pour les œufs". 

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