COP26 : de la reine Elizabeth II aux princes Charles et William, la famille royale britannique est-elle vraiment écolo ?
Alors que le sommet pour le climat débute dimanche à Glasgow, la monarque et les deux premiers dans l'ordre de sa succession ont pris position en faveur de l'écologie. Mais les Windsor sont-ils aussi "verts" qu'ils l'assurent ? Décryptage.
Une petite pique qui a fait grand bruit. La reine Elizabeth II a exprimé son agacement face aux dirigeants qui ne se mobilisent pas assez contre la crise climatique, jeudi 14 octobre, faisant une rarissime entorse à sa réserve sur les sujets politiques. "C'est vraiment irritant quand ils parlent, mais qu'ils n'agissent pas", a critiqué la monarque britannique - qui ne se rendra finalement pas à la COP26 pour raisons de santé. Le Guardian* a décelé dans cette indiscrétion, saisie par un micro resté allumé pendant une discussion privée, une nouvelle preuve de la mobilisation des Windsor sur le dossier de l'écologie.
Et pour cause : le même jour, le petit-fils de la reine, William, a taclé les milliardaires qui préfèrent s'adonner au tourisme spatial plutôt que de chercher des solutions au dérèglement climatique. Trois jours plus tôt, le prince Charles appelait, lui aussi, le secteur privé à se mobiliser pour l'environnement. "Ça ressemble à une stratégie pour influer sur le sujet" alors que la COP26 démarre dimanche 31 octobre à Glasgow, relève auprès de franceinfo Dave Goulson, professeur de biologie à l'université du Sussex (Royaume-Uni).
Charles, le "prince vert"
Il faut dire que la protection de l'environnement est une cause chère à la famille royale. Le fils aîné de la reine, en particulier, s'illustre depuis plusieurs décennies par son engagement pour l'écologie. "Dans les années 1980, il était perçu comme un amoureux de la nature, ce qui n'était pas un compliment à l'époque", rappelle Anna Whitelock, historienne spécialiste de la monarchie et professeure à la City, University of London. En 1985, Charles crée une ferme biologique dans son duché de Cornouailles, relatait en 2015 Le Parisien. Les médias locaux raillent cette nouvelle lubie princière. Mais l'initiative marche et permet même au fils d'Elizabeth II de lancer sa propre marque, Duchy Originals, rapidement devenue une référence du "bio".
Au fil des années, le "prince vert" défend la protection des espèces rares, soutient l'urbanisme durable à travers ses associations caritatives, collabore au lancement d'une collection de vêtements écoresponsables et publie dès 2007 son bilan carbone annuel*. En pleine pandémie de Covid-19, qu'il voit comme la conséquence de la déconnexion entre l'homme et la nature, Charles milite pour des investissements plus verts. "Nous avons une opportunité unique mais fugace de tirer des leçons et de nous tourner vers une voie plus durable", lance-t-il en ouverture du Forum économique mondial de Davos*, en juin 2020.
Selon Annie Randall, du mouvement écologiste Wild Card, le prince Charles "a transmis ces valeurs à ses fils". L'aîné, William, vient de créer un prix doté de 5 millions de livres pour récompenser les initiatives en réponse à la crise climatique*. Harry, lui, a lancé une campagne appelant à l'arrêt de forages pétroliers dans un delta namibien classé au patrimoine mondial de l'Unesco. L'engagement d'Elizabeth II, qui ne s'exprime traditionnellement pas sur la politique, est moins évident. Mais sa récente sortie "montre que les problématiques environnementales sont de la plus haute importance, y compris pour la reine", juge l'historienne Anna Whitelock.
Au-delà du discours, quels actes ?
Certes, la famille royale britannique défend ardemment et très publiquement l'écologie. Mais comme le dit elle-même Elizabeth II : parler, c'est bien ; agir, c'est mieux. Sur ce second volet, le bilan des Windsor est moins reluisant. En 2019, les multiples voyages à l'étranger des "Royals" ont fait doubler l'empreinte carbone de leurs déplacements par rapport à l'année précédente, rapporte CNN*. Et il est fréquent de les voir sauter dans un hélicoptère pour se rendre dans l'une de leurs propriétés, insiste une éditorialiste dans les colonnes du Guardian*.
Pire encore : début septembre, le quotidien britannique* révélait qu'Elizabeth II a secrètement fait usage de ses prérogatives royales pour se soustraire à une loi écossaise visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. "Il est absolument honteux de contourner la loi alors que la population mondiale est face à une situation catastrophique", s'agace Annie Randall, de l'organisation Wild Card.
"Les discours ne suffisent pas. La famille royale doit passer à l'action, au risque de sembler hypocrite."
Annie Randall, membre du mouvement Wild Cardà franceinfo
Un domaine en particulier cristallise la frustration du mouvement écologiste : la gestion du patrimoine royal. Premiers propriétaires terriens du pays, "les Windsor détiennent 1,4% des terres du Royaume-Uni", selon les estimations de Wild Card*. "La totalité de leurs propriétés représente un territoire deux fois plus grand que la métropole de Londres", observe Annie Randall. Pourtant, l'immense majorité n'est pas gérée de façon écoresponsable, remarque le biologiste Dave Goulson. Balmoral, en Ecosse, est "un domaine de chasse, un terrain de jeu pour les riches", critique le professeur à l'université du Sussex. "Cette zone devrait naturellement être couverte d'une rare forêt tempérée humide, propice à une importante biodiversité. Mais ce n'est pas le cas."
Comme 100 000 Britanniques, Dave Goulson a signé une pétition initiée par Wild Card* qui appelle la monarchie à "réensauvager" ("rewild", en anglais) ses propriétés. L'objectif de ce "retour à la nature" : réintroduire des espèces rares, favoriser la biodiversité et la reforestation. "A si grande échelle, l'initative pourrait avoir de vraies conséquences sur le déréglement climatique, en permettant par exemple une importante captation de CO2 par les arbres, martèle Annie Randall. Et la famille royale pourrait inciter le reste de l'aristocratie à en faire de même." Lorsqu'on sait que la moitié de l'Angleterre est détenue par moins de 1% de sa population*, il y a de quoi démarrer une véritable "révolution du réensauvagement" dans le pays, assure la militante.
L'écologie, un tremplin pour le futur roi
Car l'influence de la famille royale sur les questions environnementales se résume très simplement, selon Dave Goulson : "donner l'exemple". "C'est le principe du 'soft power' : ils sont connus, écoutés et suivis par des millions de personnes dans le monde. Ils rencontrent de nombreux dirigeants", énumère le biologiste. "Les organisateurs de la COP26 eux-mêmes disent que la présence de la famille royale démontre le sérieux du sommet", abonde Annie Randall.
Attachés à des traditions et un mode de vie parfois incohérents avec leur discours écolo, les Windsor sont désormais attendus au tournant. L'avancée de leur propre "transition écologique" aura d'ailleurs des conséquences sur la cote de popularité des futurs rois Charles et William, estime l'historienne Anna Whitelock. Le prince de Galles, premier dans l'odre de succession au trône, "va devoir régner dans une société de plus en plus attentitve à l'inclusivité, la diversité, les écarts entre riches et pauvres, l'environnement..." Une société britannique dans laquelle la monarchie a de moins en moins de poids.
"L'écologie, qui est un combat de longue date de Charles, est sa meilleure chance de prouver sa valeur en tant que monarque. C'est peut-être le sujet qui va définir son règne."
Anna Whitelock, historienne spécialiste de la monarchieà franceinfo
Le futur roi a "de la crédibilité sur ce sujet, au Royaume-Uni comme à l'étranger", insiste l'universitaire. "S'emparer d'une problématique essentielle à l'échelle de la planète donnerait une autre dimension à son règne, développe Anna Whitelock. En particulier car il sera aussi à la tête du Commonwealth, qui regroupe plus de cinquante pays, dont certains sont particulièrement affectés par la crise climatique."
Les Windsor, Charles et William en tête, "ont une véritable opportunité à saisir s'ils veulent prouver qu'ils peuvent faire davantage que des discours", confirme Annie Randall. "Ils ne sont pas encore des pionniers de l'écologie, regrette la militante de Wild Card. Mais ils ont encore le temps de le devenir."
* Ces liens renvoient vers des articles ou des contenus en langue anglaise.
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